La Traversée du Pacifique


Sur le plus grand désert du monde ...
 Trois ans après.   par Pascal


Trois ans ont passé ... Imagine est en Nouvelle-Calédonie, son équipage sédentarisé en escale prolongée, comme en sas de décompression avant le retour probable à la vie terrestre. Trois ans après, que reste-t-il de cette traversée du Pacifique?

Le journal de bord est là pour nous rappeler les faits et les détails de ces 19 journées entre parenthèses, mais il ne suffit pas à décrire les sensations et les émotions, les images et les films imprimés dans nos têtes qui remontent à la surface quand on évoque ce grand moment de notre vie.

Que reste-t-il dans nos mémoires, quels souvenirs, quelles sensations, quelles émotions? C'est la question que j'ai posée à l'équipage ...




Des Galapagos aux Marquises ... que d'eau!
(cliquez sur l'image pour agrandir)

Pour Bastien, qui venait de fêter ses 11 ans aux Galapagos, ce sont juste quelques faits marquants:
"Des poissons volants, le panneau dessiné pour marquer le milieu de la traversée, la bouteille jetée à la mer, la pêche d'un marlin sans rostre, une grosse et longue houle, une traversée un peu longue sur la fin, mais tranquille".

Romain avait 14 ans. Il se rend compte qu'il a fait une expérience exceptionnelle, mais il ne l'a pas vraiment ressentie comme telle:
"C'était bien, tranquille, paisible. Long au milieu mais trop court à la fin. Je me rappelle des conversations avec Ushuaia et Aupaluk, de nos positions que l'on s'échangeait chaque jour, de la pêche du marlin, de la routine agréable de la traversée, lire, jouer, regarder un film, dormir ..."
Des sensations? "Oui, cette impression que le temps s'arrête, les mois les années on s'en fiche, tu as tout ton temps pour toi, freedom, aucune contrainte humaine, juste la mer. Et aussi cette impression que tu es tout petit, comme l'oiseau que l'on voit parfois seul au milieu de l'océan, en fait on est copains parce qu'il fait pareil que nous: il va là où le vent et la mer le poussent, en liberté, il passe sa vie sans aucune contrainte de temps sur l'eau, il est content tant qu'il y a du poisson, nous on est contents tant qu'il y a du vent, on n'est pas si différents."

Que du bonheur pour Pascale:
"Dans mon souvenir, c'est la plus belle traversée de notre voyage, agréable, sereine, en sécurité, accompagnés par les bateaux des copains (Aupaluk et Ushuaia) avec les rendez-vous quotidiens par BLU. J'étais comme dans une bulle avec mes hommes, une parenthèse dans la vie, et j'ai été presque déçue d'en sortir à l'arrivée, c'était la fin d'un rêve. Heureusement la Baie des Vierges fut une vision fantastique au coucher du soleil. C'était émotionnellement très fort, on a atteint notre but, le rêve de la Polynésie s'est réalisé, j'étais heureuse et fière d'avoir vaincu mes angoisses, vécu et partagé ces moments en famille. Que du positif, que du bonheur!"

Quant à moi, je me souviens d'abord d'un départ serein, aussi tranquille que s'il s'agissait de la petite sortie en famille du dimanche dans la baie d'Aigues-Mortes. Toute la magie des Galapagos que l'on quittait à regret ne suffisait pas à atténuer la jouissance de ce saut dans le vide, de l'accomplissement de ce rêve trop longtemps enfoui, depuis l'enfance que mes yeux fascinés erraient sur les cartes du monde. L'Océan Pacifique!

Je me souviens ensuite de ces journées à la recherche du vent, cette impatience de l'alizé, avancer enfin vers le but. Les conversations à la radio avec les copains partis en même temps que nous. Le rythme de la vie à bord qui s'installe. Les jours qui se confondent, le temps qui se dissout, les repères qui s'estompent. Nous quatre dans notre bulle, si bien.
Puis l'alizé nous prend, le sillage s'allonge et son bruissement continu devient le compagnon fidèle de ces journées qui se succèdent. Je l'entends encore aujourd'hui, je l'entendrai toujours. Comme je reverrai ces nuages, ces milliers de vagues, comme je ressentirai leur rythme, leur force, et tous les mouvements du bateau en marche vers la Polynésie promise.
Enfin, l'arrivée, l'enchantement du soleil couchant sur Fatu Hiva, si merveilleux qu'il referme sans douleur la parenthèse de cette traversée ...

 

Journal de Bord, du 03 au 22 mars 2007, Des Galapagos aux Marquises


03 mars, Départ d' Isabela

On lève l'ancre à 13h30 locale (soit 19h30 UTC, temps universel). Le temps est nuageux et le vent de 15 noeuds souffle d'ouest-sud-ouest, soit pile dans le nez pour aller vers les Marquises. On le savait, il faudra d'abord aller chercher les alizés dans le sud avant de faire cap à l'ouest.
On tire donc un bord de près serré vers le sud, la mer peu agitée ondule au rythme de la longue houle de sud. On est au près serré, mais on marche tranquillement à 6 noeuds est c'est très confortable comme début de navigation. La nature généreuse nous offre ses cadeaux de bienvenue: un groupe de cétacés croisé dans l'après-midi, un important banc de dauphins en chasse au coucher du soleil, la symphonie des roses, oranges et mauves du premier crépuscule, la lumière singulière d'une éclipse partielle de lune dans les premières heures de l'obscurité.
Quelques grains perturbent la nuit et me trempent jusqu'aux os!

4 Mars, 1er jour
Position à 2h UTC: 01°31S, 91°16W
Vitesse moyenne: 6,5 noeuds
milles parcourus depuis le départ: 39 (24 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 2882

Le matin est ensoleillé. Vacation radio en BLU avec les bateaux canadiens Ushuaia et Aupaluk, nos compagnons de navigation depuis les San Blas, partis d'Isabela quelques heures avant nous. Ils sont un peu plus à l'est, tout va bien à bord. Autre vacation radio avec Werner et Sylvette, nos amis du bateau Le Mineur, en route depuis plusieurs jours vers l'archipel des Gambiers au sud-est de la Polynésie Française. Ces conversations quotidiennes nous accompagneront pendant toute la traversée.
Les nuages s'amoncellent dans l'après-midi qui s'écoule gentiment, on a mis une ligne de pêche à l'eau. Le vent faible (8 noeuds) nous emmène toujours vers le sud, loin de la route directe, mais ça devrait nous épargner une période de pétole prévue dans les prochains jours dans notre ouest.

La nuit est encore perturbée par des grains et le vent variable. Moteur à partir de minuit, cap au 220, face au vent. On prend deux ris devant un grain plus menaçant que les autres, et on en reste là pour aujourd'hui.

5 Mars, 2ème jour
Position à 2h UTC: 03°25S, 92°56W
Vitesse moyenne: 6,8 noeuds
milles parcourus en 24h: 164 (122 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 2760

Pluie et grisaille, nuageux à 100%. Toujours au moteur face au vent faible. Cap au 220. Tant qu'à ne pas avancer, autant le faire sur la route directe.
A midi, lassé d'entendre le moteur on fait route à la voile plein sud, à 4 noeuds.
Toujours pas de pêche au bout de la ligne. C'est une journée morne, distraite seulement par les vacations radios et quelques grains.

6 Mars, 3ème jour
Position à 2h UTC: 04°58S, 93°39W
Vitesse moyenne: 4,5 noeuds
milles parcourus en 24h: 108 sur le fond (59 sur la route directe!), milles restants sur la route directe: 2701

La nuit a été calme, sans grains. La lune nous accompagne. On se traîne toujours autant, record de lenteur battu: on n'a parcouru que 59 milles sur la route directe dans les dernières 24 heures! Heureusement, on n'est pas spécialement pressés ...
Le soleil est radieux toute la matinée, ça fait du bien. Mais on retrouve une ligne de grains en milieu d'après-midi. Seul bénéfice: on marche à 7 noeuds pendant une heure, toujours ça de pris! Puis la pétole revient en début de soirée, les voiles battent, désoeuvrées et inutiles. On affale tout et on s'offre une nuit au moteur à petite vitesse, génial ...

7 Mars, 4ème jour
Position à 2h UTC: 05°35S, 94°41W
Vitesse moyenne: 4,5 noeuds
milles parcourus en 24h: 108 sur le fond (68 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 2633

Toujours pas de vent au réveil, il a été variable en direction et inférieur à 5 noeuds toute la nuit. Mais l'espoir est grand ce matin, car un signe ne trompe pas: derrière nous à l'horizon un gros grain nous rattrape à grande vitesse, donc il fait route à l'ouest, et poussé par qui? les alizés!
Ça ne serait que justice, ça fait maintenant plus de trois jours qu'on descend dans le sud à leur rencontre, et on n'a progressé que de 270 milles sur la route des Marquises, soit 3 noeuds et demi de moyenne, on irait aussi vite à la rame!
A 10 heures, l'espoir se transforme en certitude sous la forme d'une grosse averse: le grain nous tombe dessus et installe dans son sillage un bon vent de sud-est de 15 à 20 noeuds, c'est l'alizé tant attendu des navigateurs. On est mouillés mais contents! On avait hissé la grand-voile en prenant un ris juste avant la pluie, Imagine s'ébroue et accélère enfin, en plein sur la route directe.
La mer est chaotique et la pluie torrentielle, un déluge pendant plusieurs heures. La pluie s'arrête finalement vers 15h, et le vent aussi. Il y a des ratés dans l'alizé!
A 16h, on lance une bouteille à la mer (avec un message dedans!). Ce n'est pas un SOS, juste un jeu pour voir si quelqu'un un jour la trouvera quelque part. Le texte explique brièvement en français et en anglais qu'on est une famille en navigation autour du monde, et donne notre position (6°00S, 96°14W). Bastien glisse la feuille dans la bouteille de champagne conservée à cet effet depuis longtemps, on la ferme très hermétiquement, et Romain se charge de la lancer à la mer. On attendra patiemment la réponse ...
Dans la nuit, le vent et la mer forcissent, il passe cinq ou six grains avec rafales jusqu'à 30 noeuds. Le bateau file toute la nuit entre 8 et 12 noeuds: on engrange enfin des milles sur la route directe.
Le radar renvoie un écho vers 1h du matin, à 12 milles de notre position, qui fait route vers le NE. Nous ne verrons aucun feu, mais c'est le premier signe d'une présence autour de nous sur l'océan depuis le départ.

8 Mars, 5ème jour
Position à 2h UTC: 06°06S, 96°47W
Vitesse moyenne: 5,4 noeuds
milles parcourus en 24h: 130 sur le fond (128 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 2505

Moins de grains en fin de nuit, on voit du ciel bleu au lever du soleil. Le vent mollit légèrement en fin de matinée, à 15 noeuds. Les quelques grains visibles nous épargnent. La mer est toujours très agitée.
On prend le deuxième ris à 13h et on avance toujours aussi vite: 9 noeuds de moyenne, surfs à 14 noeuds.
On passe la journée à lire, jouer, écouter de la musique. Pas de CNED, ça remue un peu trop.
L'océan est vaste, mais plein de voiliers dont la BLU nous donne des nouvelles: certains toujours aux Galapagos, d'autres en navigation vers les Marquises, les Gambiers, ou même le Chili. Aupaluk et Ushuaia suivent à une centaine de milles, on se parle toujours deux fois par jour.
La nuit est rapide et tranquille, on a gardé deux ris dans la grand-voile pour ne pas avoir à réduire sous les grains, et bien sûr il n'y a pas eu un seul grain. Qu'importe, on dort bien et on avance vite.

9 Mars, 6ème jour
Position à 2h UTC: 06°11S, 100°20W
Vitesse moyenne: 8,9 noeuds
milles parcourus en 24h: 214 sur le fond (211 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 2294

Au relevé de position ce matin, nouveau record pour Imagine: 227 milles dans les dernières 24 heures, soit 9,5 noeuds de moyenne. Et sur la route directe en plus. Ça fait toujours sourire ces vitesses en bateau: mon Solex allait plus vite! Oui, mais il ne traversait pas le Pacifique.
Toujours peu de soleil, on n'a droit qu'à un ciel grisâtre que la lumière transperce par endroit. Le vent qui avait un peu molli nous laisse espérer plus de confort, mais il repart comme hier à 20 noeuds avec une mer agitée.
Avarie dans l'après-midi: Romain s'aperçoit que l'antenne fouet de la BLU (la perche blanche de 7 mètres de haut fixée sur la jupe arrière) s'est affaissée sur les panneaux solaires. Vite, on enfile les harnais et je vais sur la jupe bricoler une fixation à toute épreuve à l'aide de bouts. La pièce de fixation en plastique qui maintenait l'antenne sur un matereau a cassé net, heureusement qu'elle n'est pas tombée à l'eau et que les panneaux solaires n'ont pas souffert du choc.
Nuit agitée et rapide, toujours sous 2 ris, on dort bien à côté du radar.

10 Mars, 7ème jour
Position à 2h UTC: 06°28S, 103°51W
Vitesse moyenne: 8,8 noeuds
milles parcourus en 24h: 211 sur le fond (209 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 2085

Une semaine de mer aujourd'hui, nous avons fait le premier tiers de la traversée.
Encore un bateau détecté au radar à 6 milles, mais pas de visuel.
Le temps se calme progressivement jusqu'au soir, on continue d'avancer rapidement, mais on s'écarte un peu de la route directe pour éviter une grosse masse nuageuse observée sur les cartes satellites.
Le vent mollit dans la nuit, on ne fait pas l'effort de renvoyer de la toile et on dort très bien pendant que le bateau se traîne entre 4 et 6 noeuds!

11 Mars, 8ème jour
Position à 2h UTC: 07°07S, 107°11W
Vitesse moyenne: 8,4 noeuds
milles parcourus en 24h: 203 sur le fond (203 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 1882

Quand même, avoir un bateau si rapide et flemmarder à 5 noeuds! Ça nous donne des scrupules, et assez de motivation pour renvoyer la GV au premier ris et dérouler le gennaker. C'est enfin du beau temps, ciel dégagé presque toute la journée, vent autour de 12 noeuds, pas loin des conditions idéales de confort. Corollaire, c'est la reprise de l'école pour les enfants, mais on fait aussi des crêpes, on joue aux échecs, la vie est belle ...
La pêche ne donne toujours rien depuis le départ. A part les habituels poissons-volants et autres calamars qu'on retrouve sur le pont et dans le cockpit tous les matins, aucune prise pour nourrir l'équipage. Romain peaufine les leurres, on essaye même d'en fabriquer un avec un poisson-volant desséché, sans résultat.

Dans la nuit, le radar sonne encore, troisième fois depuis le départ des Galapagos. Cette fois, on aperçoit un feu vert sur notre bâbord à quelques milles, sans doute un voilier qui fait route vers l'ouest, que l'on dépasse assez rapidement. Le vent dépasse les 20 noeuds par moments, on enroule le gennaker quand Pascale prend son quart en milieu de nuit pour être tranquille.

12 Mars, 9ème jour
Position à 2h UTC: 08°05S, 109°43W
Vitesse moyenne: 6,75 noeuds
milles parcourus en 24h: 162 sur le fond (157 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 1725

R.A.S.
Sous gennaker et un ris dans la grand-voile, beau temps, chacun vaque à ses occupations, pendant qu'Imagine trace inlassablement son sillage dans un bruit feutré ...
Seul événement marquant: un leurre emporté alors que j'étais en train de remonter la ligne suite à une grosse touche. Le bas de ligne est coupé, il était pourtant en fil d'acier!

13 Mars, 10ème jour
Position à 2h UTC: 08°20S, 112°38W
Vitesse moyenne: 7,4 noeuds
milles parcourus en 24h: 177 sur le fond (175 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 1550

R.A.S. (encore!)
Les jours se suivent et se ressemblent. Seul le livre de bord permet de savoir le jour et la date. Sommet de cette journée: un steak-frite à midi! C'est vexant, Pascale avait prévu qu'on ne pêcherait pas forcément ...

Mais le vrai sommet, c'est la mi-parcours atteinte aujourd'hui: nous sommes à 3000 km des Galapagos, et encore à 3000 km des Marquises, la terre habitée la plus proche est l'Ile de Pâques à 2200 km dans le sud (mais contre le vent et la houle, elle serait bien difficile à atteindre pour un voilier). Au milieu du plus grand désert du monde ... on s'y sent bien!
Sauf qu'on continue à ne rien pêcher.

Encore une nuit calme, un ris dans la grand-voile et solent, on marche à plus de 7 noeuds. On n'en demande pas plus.

14 Mars, 11ème jour
Position à 2h UTC: 08°36S, 115°37W
Vitesse moyenne: 7,4 noeuds
milles parcourus en 24h: 179 sur le fond (178 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 1372

Soleil le matin, mais on s'approche d'un grain assez étendu. On commence à calculer des dates d'arrivée possibles, entre le 21 et le 23 mars, pas grande importance.
Ça y est, on a pêché aujourd'hui! Mais pas le genre de prise espérée hélas: une magnifique sterne royale qui a confondu notre leurre en plastique coloré avec un poulpe (le leurre est donc bien fait!). On ramène lentement le pauvre oiseau sur la jupe, le gros hameçon s'est fiché dans la tête, au dessus de l'oeil. Impossible de le retirer, il faut opérer. Pendant que Romain immobilise fermement la sterne, j'entaille délicatement la chair et dégage le crochet. Un peu de désinfectant pour terminer, on relâche l'oiseau qui s'envole et se pose sur l'eau, apparemment en forme. On espère qu'il survivra.
Après-midi tranquille, finalement le grain n'a pas duré longtemps.

15 Mars, 12ème jour
Position à 2h UTC: 09°07S, 118°34W
Vitesse moyenne: 7,4 noeuds
milles parcourus en 24h: 178 sur le fond (177 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 1195

C'est un grand jour, on sort le spi! Mais le vent mollit jusqu'à 8 noeuds réels, en plein dans le dos, autant dire qu'on se traîne toute la journée. Mais la voile est jolie, les dauphins doivent être contents.

Le vent revient en soirée, on remplace le spi par grand-voile et solent en ciseaux pour la nuit.


16 Mars, 13ème jour

Position à 2h UTC: 09°35S, 121°08W
Vitesse moyenne: 6,5 noeuds
milles parcourus en 24h: 156 sur le fond (154 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 1041

On attaque le dernier tiers de cette traversée, il reste 1000 milles à parcourir. Évidemment, avec le vent mollissant la moyenne a baissé, mais ce n'est pas pour autant qu'on va batailler pour arriver plus vite. Au contraire, profitons de ces jours exceptionnels au milieu du Pacifique, pourquoi se presser? D'ailleurs un beau grain avec plus de 30 noeuds de vent nous rappelle la prudence dès 6h du matin. J'enroule le solent et laisse passer l'orage...
Soudain, une touche. Timide. Puis une deuxième très franche celle-là. Typique des touches de marlin. Le fil part si vite que le frein du moulinet ne parvient pas à l'arrêter. Imagine est lancé à 8 noeuds sous gennaker, on s'active à la manoeuvre pour ralentir, il n'y a pas de pédale de frein sur ces bateaux! Le temps d'enrouler le gennaker, le poisson a dévidé 400 mètres de fil, on parvient à bloquer le moulinet juste avant la fin de la bobine. Il nous faudra une heure avec Romain pour le ramener près de la jupe arrière, pendant que Pascale contrôle la vitesse et la trajectoire du bateau pour fatiguer la prise sans la perdre.
Le poisson refuse de se montrer, on ne voit qu'une tache claire nageant à quelques mètres de profondeur, plusieurs fois il passe sous les coques, on dirait qu'il essaye de casser le fil. Finalement il capitule et se laisse traîner à la surface sur le flanc. C'est bien un marlin, un lancier, que l'on gaffe et que l'on remonte à bord après lui avoir glissé un noeud coulant autour de la queue. A la pesée: 18kg pour 1m85, on n'en demandait pas tant, le dépeçage et le découpage vont occuper le reste de l'après-midi, sans compter le nettoyage, la préparation des bocaux et des bons petits plats...
Au menu ce soir: cevice et sashimi!
La nuit se passe plein vent arrière, sous grand-voile seule.

17 Mars, 14ème jour
Position à 2h UTC: 09°38S, 123°38W
Vitesse moyenne: 6,3 noeuds
milles parcourus en 24h: 151 sur le fond (148 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 893

Le temps se maintient au beau fixe, le bateau avance facilement, on profite de notre marlin: encore du cevice et du sashimi, mais aussi poêlé, la chair est tendre et fondante, c'est excellent!

18 Mars, 15ème jour
Position à 2h UTC: 09°43S, 126°21W
Vitesse moyenne: 6,8 noeuds
milles parcourus en 24h: 163 sur le fond (162 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 731

Encore une journée exceptionnelle, mais pour une autre raison: aujourd'hui je fais la cuisine! Motivé par notre pêche, je me lance dans un massalé de marlin, une recette réunionnaise. Tout le monde se régale, et mes enfants m'adjugent une note de 18/20. Mais pourquoi ne cuisines-tu pas plus souvent me demande ironiquement Pascale?
Beau soleil et vent arrière constant de 15 à 20 noeuds toute la journée.
Bastien se met aussi aux fourneaux et nous fait une tarte jambon/mozarella pour le dîner.

19 Mars, 16ème jour
Position à 2h UTC: 09°41S, 129°07W
Vitesse moyenne: 6,8 noeuds
milles parcourus en 24h: 163 sur le fond (162 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 569

Il reste moins de 500 milles à parcourir au matin. Le vent passe à l'est-nord-est. On empanne vers le nord-ouest, tribord amure pour la première fois depuis les alizés.
Le vent mollit et hésite toute la journée. En fin d'après-midi, on ré-empanne. On passera la nuit à chercher le bon réglage, voiles en ciseaux, empannages ... tout ça pour marcher à 6 noeuds.

20 Mars, 17ème jour
Position à 2h UTC: 09°49S, 131°47W
Vitesse moyenne: 6,7 noeuds
milles parcourus en 24h: 160 sur le fond (159 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 410

RAS, c'est la même journée qu'hier. C'est toujours le beau temps. A part un grain qu'on n'avait pas vu arriver en début de nuit et qui nous oblige à prendre le deuxième ris dans les rafales à 30 noeuds. On ne relâche le ris qu'à 4h du matin, on s'est bien traîné depuis le grain!

21 Mars, 18ème jour
Position à 2h UTC: 10°01S, 134°27W
Vitesse moyenne: 6,7 noeuds
milles parcourus en 24h: 160 sur le fond (158 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 252

Cette journée devrait être la dernière complète en mer. L'atterrissage est prévu pour demain après-midi. On a changé l'heure du bord pour la troisième fois depuis le départ des Galapagos, chaque jour nous décalant un peu plus vers l'ouest.
Des oiseaux qui nichent à terre nous survolent et volètent au ras des flots, signe de la proximité des îles, mais on ne doutait pas de notre GPS.
On profite de ce dernier jour calme et ensoleillé, quelques cumulus inoffensifs nous dépassent lentement.
A 18h, nous commençons déjà à ralentir pour ne pas arriver trop tôt demain. On veut attendre la fin de l'après-midi pour profiter de la lumière qui embrase les falaises de Fatu Hiva, un spectacle magique à ne pas manquer. On navigue sous grand-voile à deux ris seule, à 5 noeuds, la nuit est bien tranquille. Le vent nous abandonne complètement avant le lever du soleil, on affale tout et on démarre un moteur.

22 Mars, 19ème jour, atterrissage à Fatu Hiva, Baie d'Hanavave, à 16h locale
Position à 2h UTC: 10°15S, 136°58W
Vitesse moyenne: 6,7 noeuds
milles parcourus en 24h: 152 sur le fond (150 sur la route directe), milles restants sur la route directe: 102

Le vent faible est suffisant pour nous pousser à 5 noeuds vers Fatu Hiva qu'on aperçoit maintenant sur l'horizon. On n'en demande pas plus, pas moins non plus! Une fois franchie la pointe nord de l'île, nous sommes à l'abri des montagnes et complètement déventés. On musarde à 2 noeuds en savourant chaque instant de ce merveilleux atterrissage. On contemple le somptueux décor de la baie d'Hanavave qui flamboie sous la lumière déclinante, les montagnes acérées qui plongent dans la mer, les colonnes rocheuses érigées vers le ciel, les cocotiers luisants sur fond de falaises noires, les nuages qui se déchirent sur les crêtes. Plus que quelques mètres, l'ancre coule à pic et trouve le fond, Imagine s'immobilise.
Des cloches sonnent dans le petit village, tout est calme, il va falloir se réhabituer au silence ...


3084 milles parcourus (pour 2906 sur la route directe), en 19 jours et 5 heures, vitesse moyenne 6,7 noeuds


Les photos de la Traversée