Imagine en Colombie - La traversée

Encore ce Christophe Colomb ! par Pascal


De Aruba à Cartagène, du 21 au 24 octobre 2006

21/10
Notre séjour officiel sur le territoire d'Aruba n'aura duré que 9 heures! Deux fonctionnaires de l'immigration se déplacent en début de matinée sur le quai où nous avons passé la nuit pour nous tamponner aimablement nos passeport, et nous voilà partis. Le vent n'est pas au programme, nous prenons le temps de compléter le plein des réservoirs à la marina d'Oranjestad, on va avoir besoin des moteurs.

A 11 heures, les amarres sont larguées, nous sortons lentement du chenal des cargos, quelques oiseaux de mer nous regardent distraitement, perchés sur les bouées de balisage. La chaleur est déjà écrasante, Imagine trace paresseusement son sillage à 4 noeuds sur une mer d'huile, vers un horizon vaporeux aux reflets blanchâtres. Régulièrement, des nuées de petits poissons volants rident la surface lisse de leurs battements frénétiques, parfois poursuivis par la nageoire effilée de leurs prédateurs. Impossible de les prendre en photos, la scène est trop fugace, insaisissable, juste une distraction pour les longues heures de cette traversée vers la Colombie.

Calme blanc au départ d'Aruba

Nous devions nous arrêter pour la nuit aux îles Monjes, petits cailloux posés au milieu du golfe du Venezuela, mais il est trop tard pour les atteindre de jour (nous n'avons pas de carte), nous faisons donc route directe vers la Punta Gallinas, l'extremité nord du continent sud-américain. Les gardes-côtes d'Aruba nous ont prévenus, "attention les côtes colombiennes ne sont pas sûres, ne naviguez pas de nuit", mais nous n'avons pas vraiment le choix, à 4 noeuds, il n'y a pas d'étape accessible avant l'obscurité. De toutes façons, nous naviguerons à bonne distance de la côte (20 milles), et puis ce n'est pas la première fois qu'on entend ce genre de mise en garde de principe, et nous ne serons pas le premier bateau à faire cette traversée ...
Je mets le radar en marche, le trafic des cargos dans cette zone pétrolière est assez important, et la visibilité est bien réduite par la brume de chaleur. "HD-SIG-MISS", c'est tout ce que l'appareil daigne afficher sur son écran! Sympa, c'est sa manière de nous dire qu'il faudra qu'on se passe de ses services ...
Nous pêchons successivement deux petits thons albacores, que nous relâchons, les jugeant trop petits. Ce n'est pas encore aujourd'hui que nous remangerons du poisson frais, ça nous manque!

Au crépuscule, un petit oiseau perdu vient chercher refuge chez nous, ça rappelle de tristes souvenirs aux enfants, lorqu'un de ses congénères épuisé était venu mourir sur Imagine au large des côtes de l'Afrique. Bastien essaye de le nourrir avec des miettes, sans succès, l'oiseau choisit finalement un cordage sous la bôme pour passer la nuit, on ne donne pas cher de sa vie.
Notre dernière navigation de plus de 24 heures remonte à la traversée de l'Atlantique, et c'est notre première nuit en mer depuis plus de cinq mois. On est un peu rouillés. Romain prend le premier quart, de 20h à 23h. J'ai toute confiance en lui, et je dors tranquille dans le carré jusqu'à 23h, malgré les nombreux cargos. Je sais qu'il me réveillera en cas de doute.

Bastien sauve le petit oiseau

22/10
A 2 heures du matin, Bastien prend son quart. C'est son premier vrai quart, jusqu'à 4 heures, avec Pascale qui dort à côté. On a donc maintenant un équipage de quatre personnes pour faire les nuits, c'est une bonne nouvelle pour les nombreuses nuits de traversée à venir dans le Pacifique!
A 6h30, le petit oiseau, qui piaillait depuis un moment, semble tout revigoré et s'envole, peut-être a-t-il senti la terre à moins de 30 kilomètres de là, au moment où nous amorçons notre virage vers le sud-ouest après la Punta Gallinas. Le Cabo de la Vela, cap redouté par vent fort pour ses vagues traîtresses et monstrueuses, est passé sans encombres, au large, vers midi.
Le vent n'est toujours pas suffisant pour que les voiles seules nous propulsent, nous avons toujours un moteur en marche et le gennaker en appoint. La chaleur est de plus en plus accablante, étouffante, il fait 39 degrés à l'ombre, le faible vent arrière ne ventile pas le carré, nous suons à grosses gouttes! En fin d'après-midi, Bastien qui avait mal à la tête depuis un moment, vomit plusieurs fois, sans doute victime de déshydratation.
De nombreux débris végétaux parsèment la surface de la mer, branchages imbriqués de palétuviers, noix de coco, mais aussi branches et gros troncs d'arbres à demi-immergés. C'est le fleuve Magdalena qui recrache loin en mer les déchets pris aux forêts et plaines de Colombie qu'il traverse du sud au nord. Comme il est impossible de rester à la barre à scruter l'eau en permanence, et que de toutes façons la nuit tombe. Nous décidons de ralentir en roulant le gennaker, nous passerons la nuit sous solent seul, sans moteur. Au moins les chocs sur les étraves seront moins violents.

23/10
Le début de nuit est tranquille, la fin beaucoup moins. Un orage nous rattrape, le vent monte, les éclairs aveuglants illuminent régulièrement les gros nuages menaçants. On fait le gros dos, l'orage passe, le vent est tombé, il faut à nouveau avancer au moteur.

Par dessus la grisaille des restes de cumulus déchirés, apparaissent au loin, à plus de cent kilomètres, les sommets de la Sierra Nevada de Santa Marta, et son point culminant (celui de toute la Colombie également), le pic Cristobal Colon (encore ce Christophe Colomb, depuis le début de nos voyages on ne fait que repasser sur ses traces!), à 5776 m d'altitude, recouvert de ses neiges éternelles. Ça fait drôle de voir la neige ici, mais malheureusement ça ne suffira pas à nous rafraîchir à bord!

Le sommet de la Colombie flotte sur les nuages

A midi, des dauphins viennent jouer dans nos étraves, c'est toujours le même enchantement de les voir fuser à quelques centimètres de nos coques, leurs ailerons fendant l'eau, tout en puissance.
La journée s'écoule tranquillement à 5 ou 6 noeuds, sous gennaker seul. Le soir les orages montent sur Santa Marta et Baranquilla, menaçants. Nous échangeons gennaker contre solent, prudents.

24/10
La nuit sera tranquille. Juste un petit orage pendant le quart de Pascale et Bastien, histoire de les maintenir éveillés. On renvoie le gennaker au matin, mais le vent tombe à l'approche de Cartagena. C'est au moteur sur une mer plate, comme au départ de cette traversée, que nous approchons du but. Vue du large, la ville coloniale qu'on nous a tant vantée ressemble plutôt à une quelconque mégapole balnéaire, avec ses rangées d'immeubles qui se découpent dans la brume. Ce sera sûrement plus joli à l'arrivée.
La pêche n'a rien donné depuis le départ, on s'est même fait emporter un leurre par une grosse touche, et c'est maintenant à quelques milles de la fin qu'on remonte enfin quelque chose de gros. Suspens, le temps de se battre avec la bête au bout de la ligne et ... déception, c'est un barracuda, de bonne taille (environ 1m17 si on fait la moyenne des estimations de l'équipage!). On n'en veut plus des barracudas! on en a trop mangé, on est écoeurés. Une barque de pêcheurs se trouve à proximité, on décide de leur offrir. Un premier homme nous rejoint à la nage, monte sur la jupe arrière. Première poignée de main colombienne, première rencontre. Il siffle ses collègues. Lorsqu'ils viennent à couple d'Imagine, on découvre que ce sont des pêcheurs de langoustes, et que quelques magnifiques spécimens jonchent leur plancher. Vont-ils nous en offrir une en échange? Nous ne voulons pas marchander, juste donner, nous leur offrons donc notre poisson, qu'ils embarquent visiblement contents. Mais ils ne nous donnent rien, juste une poignée de main et un sourire, c'est déjà ça. Bienvenue en Colombie.
Cartagena n'est plus qu'à une heure de navigation. Nous longeons la vieille ville coloniale, immédiatement suivie par de longues plages bordées de buildings tous plus hauts les uns que les autres. L'entrée de la baie se trouve au sud de cette folie immobilière. Boca Grande, c'est son nom, est large d'un mille environ (c'est une grande bouche), a priori c'est une entrée facile. Mais les habitants de l'âge d'or, qui redoutaient à juste titre les attaques des pirates, avaient édifié sur toute la largeur un mur sous-marin qui affleure presque à un mètre sous la surface, sur lequel les navires ennemis venaient lamentablement crever leur coque. Heureusement de nos jours, un passage large d'une cinquantaine de mètres a été aménagé, évitant un large détour par Boca Chica plus au sud. Pour notre part, nous n'avons pas vu moins de 5 mètres de fond dans ce passage, bien que certaines informations indiquent deux mètres.


Une pirogue ancestrale devant la modernité
de Boca Grande

Le mouillage du club nautique,
devant la vieille ville de Cartagene

A 14h, nous mouillons devant le Club Nautico, en face de la base des gardes-côtes, et en vue de la vieille ville, en compagnie d'une bonne trentaine de voiliers. Imagine est en Colombie, ça fait drôle de se le dire, et pourtant c'est vrai!


A suivre ...

Les photos de la traversée