La Route du Rhum

De Gran Canaria à St Lucie, par la famille "3000 miles"

Sommaire

Le Journal de Bord
Les Notes du Capitaine
Le Carnet de Romain
Bastien Raconte
La Carte de la Traversée

Les Photos de la Traversée

Les articles publiés par l'ARC, après l'arrivée:
- ARC2003 – A child’s perspective
- An audience for Helice


Le Journal de Bord, par Pascale

Dimanche 23 novembre
Lever 8h, copieux petit déjeuner, puis préparation des repas pour les prochaines 48h, car je n'aime pas cuisiner les premiers jours de navigation, j'ai en général le mal de mer, ainsi que les enfants, (état nauséeux voire plus) en fonction de l'état de la mer, même en prenant mes petits cachets régulièrement. D'ailleurs j'ai acheté un anti-naupathique que l'on ne trouve qu'en Espagne et qui parait-il fait des miracles. Je vous en dirai des nouvelles. La météo s'annonce excellente mais j'ai appris à ne pas m'y fier! Les enfants jouent et rangent leurs legos en attendant le départ. Les autres bateaux se préparent également, les adieux avec les familles repartant en avion (surtout des femmes?!) sont émouvants sur le quai et nous commençons tous à ressentir une certaine excitation en disant au revoir aux bateaux qui sortent un à un de la marina.

Les enfants crient "Bonne pêche!!! Bye Bye, A bientôt, See you" à tous les équipages connus (c'est-à-dire pratiquement tous), français et étrangers. Il est 12h00 quand nous larguons les amarres, aidés par nos amis espagnols venus une dernière fois nous souhaiter un bon voyage. Il y a beaucoup de badauds et les bateaux sont applaudis au sortir de la marina. Les enfants actionnent la corne de brume comme les grands navigateurs. Le spectacle est impressionnant, la baie de Las Palmas est remplie de plus de 200 bateaux en train de régler leurs voiles, spi dehors.

Nous sommes très vigilants et nous restons en arrière de cette meute de bateaux prêts à foncer au signal. Le départ, qui se fait moteur arrêté sous voile, est prévu à 12h30 pour la course, à 13h pour les autres. Tout se passe bien et nous passons la ligne de départ dans les derniers, avec les bateaux en équipage réduit, grand voile avec 2 ris et solent, et c'est parti pour de bon! La mer est belle et ce début d'après-midi est agréable. Même si je suis un peu inquiète car nous devons essayer le dessalinisateur qui a subi un démontage/nettoyage quasi complet la semaine précédente mais que nous n'avons pas refait marcher depuis, l'eau du port étant quelque peu douteuse par moment. Après plusieurs tentatives infructueuses, nous prenons la décision de nous arrêter dans un port au sud de l'île pour réparer, on est déçu par cet arrêt imprévu, mais d'un autre côté il n'est pas question de traverser sans dessalinisateur et il vaut mieux s'en apercevoir maintenant! Après l'avoir contacté par téléphone, l'agent réparateur local nous attend gentiment à 19h au port de Pasito Blanco pour réparer (et pourtant nous sommes un dimanche). A 21h, le problème mineur est résolu, tout est en ordre et le départ est prévu pour le lendemain matin... On a gagné une dernière nuit au port! qui est très mauvaise car je ne peux pas cette fois m'empêcher de m'angoisser pour ce long voyage qui nous attend!!!

Lundi 24 novembre, 1er jour
Position à 12h UTC: 27°38N, 15°41W
miles parcourus: 7, dont 7 sur la route directe
Vitesse moyenne: 3,5 noeuds
miles restants sur la route directe: 2652

A 10h nous sortons du port de Pasito Blanco. Les enfants sont contents, la mer est belle mais il n'y a pas de vent... A 12h, nous relevons notre position et nous l'envoyons par email à l'ARC, ce que nous ferons désormais tous les jours. Nous déjeunons tranquillement puis assez soudainement le vent atteint 25 à 30 noeuds, la mer devient très agitée, nous réduisons la voilure. Nous sommes probablement dans une de ces zones d'accélération du vent bien connues aux Canaries. Le mal de mer s'installe à bord, les enfants se reposent à l'intérieur, car les vagues arrosent régulièrement le cockpit et nous commencions à être mouillés, malgré le ciré! Le reste de la journée se passe tant bien que mal, ballottés dans tous les sens et le repas du soir sera fait d'un simple bol de riz. La nuit est pénible, avec les quarts qui se succèdent, et le mal de mer qui s'accentue. Heureusement les enfants dorment d'un sommeil de plomb, comme d'habitude. Patience, dans 2 jours ça ira mieux! Les autres équipages sont logés à la même enseigne.

Mardi 25 novembre, 2ème jour
Position à 12h UTC: 27°08N, 18°02W
miles parcourus depuis 24h: 138, dont 129 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,75 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 145,
miles restants sur la route directe: 2523
Toujours pareil, on est encore en service minimum, mode survie, tout le monde reste allongé dans le carré, sauf Pascal heureusement, les enfants dorment beaucoup et les repas se limitent à 1 bol de pâtes ou de riz suivant les envies qui sont plutôt rares... L'état de la mer ne s'améliore pas. Pour me remonter le moral je me dis que demain ça ira beaucoup mieux. Je surveille que les enfants ne se déshydratent pas et boivent régulièrement. Pour cela, chacun à sa bouteille à portée de main sur la table, marquée à son prénom et ainsi je peux surveiller la consommation journalière de chacun, et ça marche bien, pour nous aussi d'ailleurs. Toute la journée, un catamaran nous dépasse, plusieurs miles au nord. Le soir nos routes se croisent, et l'on reconnaît.. un Outremer 45. Le monde est petit! C'est "Way to Go", convoyé à Antigua par son propriétaire, et accompagné de Grégor, un américain qui avait navigué sur Imagine pendant la dernière Outremer Cup! On se parle à la VHF. La nuit est encore plus pénible car nous sommes pris dans un grain, grosse pluie, vent tournoyant. Le temps de manoeuvrer pour prendre un ris supplémentaire, on est trempés. Nous nous relayons aussi souvent que possible.

Mercredi 26 novembre, 3ème jour
Position à 12h UTC: 26°38N, 20°13W
miles parcourus depuis 24h: 126, dont 121 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,25 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 271,
miles restants sur la route directe: 2402
Après avoir été bien malade cette nuit, les enfants et moi nous sentons mieux, même si la mer est toujours très agitée. Le moral est meilleur, et je vais prendre une douche pour effacer les 2 premiers jours pénibles, c'est la première fois depuis le départ que je peux aller dans les coques plus de 5 minutes sans être malade après.... On est toujours autant chahutés, et si l'on veut faire une comparaison, on pourrait se croire dans un 4x4 roulant à grande vitesse sur une piste défoncée, ou en vélo sur le Paris-Roubaix, ballottés dans tous les sens... en plus confortable, mais en mode "non stop", un vrai bonheur! Les enfants déjeunent de quelques biscottes et je peux enfin cuisiner un premier repas léger mais consistent. Nous n'avons toujours pas touché aux provisions de frais ni aux fruits et légumes hormis quelques bananes. La journée passe tranquillement, ce n'est quand même pas la forme olympique, les enfant jouent aux cartes allongés. Nous n'avons pas vu de bateau depuis 24h.

Jeudi 27 novembre, 4ème jour
Position à 12h UTC: 24°36N, 21°41W
miles parcourus depuis 24h: 148, dont 98 sur la route directe
Vitesse moyenne: 6,16 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 419,
miles restants sur la route directe: 2304
Aujourd'hui, la mer est toujours aussi agitée. Les enfants veulent pêcher, mais on ne remontera rien. Tant mieux, Je ne me sens pas encore capable de supporter l'odeur du poisson, de le cuisiner, ni même de le manger... Je commence à m'inquiéter car l'état des enfants, même s'ils ne sont plus malades, est stationnaire. Ils mangent peu, et ne sont bien qu'allongés. Combien de temps cela va-t-il durer ?
A 10h, on met le gennaker et la grand voile à 2 ris, ça marche mieux, mais ça secoue toujours autant. A 16h, les enfants semblent mieux, absorbés par leur rendez-vous quotidien "ARC kid's net", le réseau radio des enfants de l'ARC sur la BLU (radio marine), à parler avec les autres enfants de la traversée. Cette année, le nombre d'enfants étant particulièrement réduit, il n'y a que 4 bateaux à y participer, Helice avec Emily et Elisabeth (anglaises), Bridget avec Jason (australien), Aurora avec Alicia et Jessie (américaines) et Imagine avec nos deux loustics et leur accent bien français. C'est d'ailleurs très drôle de voir Romain parler en anglais par radio avec notre concours, bien évidemment: "Helice, Helice, this is Romain from Imagine, Do you read me, over", ou bien encore d'entendre Bastien donner notre position en latitude et longitude "My position is 23.29 North, 25.53 West, over". Les discussions tournent autour de la météo, du mal de mer, et surtout de la pêche et des animaux marins.
On a mangé notre dernier repas de viande fraîche, et jeté le reste que nous aurions dû manger dans les premiers jours, mais nous n'en avions pas envie. Je le saurai pour la prochaine fois...

Vendredi 28 novembre, 5ème jour
Position à 12h UTC: 23°27N, 23°55W
miles parcourus depuis 24h: 163, dont 131 sur la route directe
Vitesse moyenne: 6,79 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 582,
miles restants sur la route directe: 2173
Pascal passe son quart à éviter les grains. Je le relaie de 1h à 6h du matin pour qu'il puisse bien récupérer. Lorsqu'il reprend son quart, au petit matin, il verra des dauphins. Ce sera le seul à en voir de toute la traversée!

A 13h, au moment de nous mettre à table, nous remontons notre premier coryphène, appelé aussi mahi-mahi, une femelle d'environ 3kg et 50 cm de long. On a à peine le temps de déjeuner, que nous remontons avec beaucoup de patience son compagnon, un coryphène mâle d'au moins 8kg et 1m03 de long! Ça suffit pour aujourd'hui, nous ne remettrons pas la canne à l'eau! Le soir, nous mangeons le plus petit en papillote, avec huile d'olive et épices, et nous dégustons quelques morceaux du plus gros à la tahitienne, c'est-à-dire, coupés en fines lamelles et mariné cru dans du citron vert pendant quelques heures, c'est un régal! Romain mange bien mais Bastien continue à chipoter!

Première avarie mineure à bord, remarquée par Pascal lors de son inspection journalière du bateau, une poulie sur la chute de la grand-voile est cassée, elle sera changée le lendemain. On réduit la voilure pour la nuit, en prévision des grains. Pendant la première partie de la nuit, la lune n'est pas encore levée, et dans la nuit noire on peut d'autant mieux observer le plancton illuminer la mer autour du bateau, les étraves ont l'air de plonger dans des gerbes de feu, et le sillage du bateau n'est qu'étincelles...c'est absolument magique!

Samedi 29 novembre, 6ème jour
Position à 12h UTC: 23°13N, 26°24W
miles parcourus depuis 24h: 143, dont 138 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,96 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 725,
miles restants sur la route directe: 2035
Toujours pareil, la mer est croisée et agitée, on se croirait en Méditerranée. Mais où est donc cette houle longue et régulière que mon capitaine m'avait tant vanté lors de la préparation de cette traversée ? J'entends encore certains dire qu'en traversant la Méditerranée, nous avions fait le plus dur, j'ai des gros doutes... Je n'ai pas trop le moral, car Bastien a encore été malade ce matin, et Romain n'a pas la grande forme non plus. Quant à moi, j'ai des vertiges, sûrement liées à la fatigue et aux mouvements brusques du bateau causés par les vagues croisées. Les enfants ne se plaignent pourtant pas et jouent aux cartes une bonne partie de l'après-midi. Nous devons prendre une route plus au sud, car la météo annonce une zone étendue de grains particulièrement violents avec rafales jusqu'à 50 noeuds, rassurant!!!

Dimanche 30 novembre, 7ème jour
Position à 12h UTC: 21°34N, 28°22W
miles parcourus depuis 24h: 168, dont 123 sur la route directe
Vitesse moyenne: 7,00 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 893,
miles restants sur la route directe: 1912
Ce matin, rien ne va, le moral est au plus bas, je me demande vraiment dans quelle galère j'ai été me mettre! Je ne vais jamais supporter de passer encore 10 jours dans ces conditions là. La mer est encore plus agitée, nous sommes épuisés par la nuit précédente, Bastien refuse toute nourriture, déjà qu'il n'a pas beaucoup de réserve..., je me fais beaucoup de souci, il a mal à la tête, et j'ai peur que ça ne soit un signe de déshydratation. J'arrive à lui donner un peu de coca-cola et une bouchée de biscotte au beurre toutes les demi-heures, je suis très inquiète, ça me rappelle de mauvais souvenirs quand il était plus petit et en crise d'asthme. Par contre, de ce côté là tout va bien, heureusement! Comme il y a sûrement une part d'inquiétude, aggravant son état, nous passons une partie de matinée à parler avec les enfants de leurs angoisses, leurs craintes, leurs attentes, leurs envies, enfin tout ce qu'ils ont envie de nous raconter. Et puis, dans l'après-midi la mer se calme un peu, et les enfants se sentent mieux, ils arrivent même à lire jusqu'au soir! Le moral remonte un peu.
On croise notre premier cargo depuis le départ de Gran Canaria. La météo annonce des forts grains orageux avec rafales à 60 noeuds, la nuit risque d'être agitée.

Lundi 1er décembre, 8ème jour
Position à 12h UTC: 19°43N, 30°21W
miles parcourus depuis 24h: 161, dont 124 sur la route directe
Vitesse moyenne: 6,70 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 1054,
miles restants sur la route directe: 1788
A 2h du matin, au changement de quart, on affale la grand voile en prévision des grains pour la nuit, et on ne garde que le solent, bien qu'aucun des grains annoncés ne soit visible (simple précaution pour éviter de le faire dans l'urgence, la nuit, obligés de réveiller l'autre). On ne perd que 1,5 noeuds mais on gagne en cap sur la route directe.

Au lever du jour, nous trouvons notre premier poisson volant (son vrai nom est exocet) sur le pont.
Ce matin, le moral remonte aussi vite qu'il n'était descendu, Bastien s'est levé en disant que maintenant il n'avait plus le mal de mer et qu'il avait faim!!! Il demandera même du ketchup au repas pour la première fois. Romain aussi est en forme. Ils ont terminé leur premier livre et attaquent le suivant. L'après-midi, nous pêchons un petit coryphène femelle de 30cm, 1kg, qui agrémentera notre repas du soir. Cette journée est la première véritablement sereine pour tout le monde. On avance à 5-6 noeuds sous solent seul, vent arrière et houle plus ordonnée, arrière également. Vers 20h, on entend un gros bruit sur le rouf, c'est un autre poisson volant qui vient de nous prendre pour une piste l'atterrissage, Pascal le remet à l'eau.

Mardi 2 décembre, 9ème jour
Position à 12h UTC: 19°38N, 32°47W
miles parcourus depuis 24h: 141, dont 138 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,87 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 1195,
miles restants sur la route directe: 1650
La nuit est paisible avec solent seul, on avance à 5-6 noeuds sur la route directe. La mer n'est pas trop agitée. Les grains annoncés n'ont pas encore montré le bout de leur nez mais on reste vigilants. Les quarts de nuit se passent maintenant à bouquiner, écouter de la musique, et c'est beaucoup mieux, le sommeil devient plus récupérateur pendant les temps de repos. Au matin le ciel est gris. L'après-midi, l'atmosphère est maussade, grise, la mer devient agitée avec une forte houle rapprochée. Il n'y a toujours pas de grain.
Nous pêchons un coryphène mâle de 83cm, et environ 4kg, qui nous fera deux repas. Les enfants lisent toujours beaucoup et jouent aux cartes. On est vigilants, car nous devrions croiser une autre course transatlantique (l'ARC nous envoie leur position régulièrement), une course de 14 bateaux traversant à la rame en binôme! Il y a pire que nous!

Mercredi 3 décembre, 10ème jour
Position à 12h UTC: 19°17N, 35°11W
miles parcourus depuis 24h: 138, dont 137 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,75 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 1333,
miles restants sur la route directe: 1513
Ce matin, nous faisons une tentative de navigation sous spi, mais le vent forcit et nous avons du mal à le redescendre. Donc nous remettons la combinaison "père de famille" comme dit Pascal, c'est-à-dire grand voile 3 ris et le solent. RAS à bord, on récupère. Les journées se succèdent tranquillement au rythme des quarts et des siestes, des repas que j'essaie de varier et des corvées habituelles (en navigation il faut économiser l'eau, aussi la vaisselle se fait à l'eau de mer et rinçage à l'eau douce). Le soleil commence à être chaud, on est en maillot de bain, ça sent déjà un peu les tropiques...

Jeudi 4 décembre, 11ème jour
Position à 12h UTC: 18°46N, 37°06W
miles parcourus depuis 24h: 115, dont 112 sur la route directe
Vitesse moyenne: 4,79 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 1448,
miles restants sur la route directe: 1401
Dans la nuit le vent tombe (< 10 noeuds), on se traîne à 3 noeuds, la mer est quasi plate. A 7h du matin, nous sommes à mi-parcours, 1420 miles soit 2630km derrière nous, autant devant!!! Ça se fête! Les enfants reçoivent un petit cadeau (un livre chacun!), et nous ouvrons le paquet que nous ont donné des amis avant le départ à ouvrir pour une grande occasion... On oublie les jours difficiles et on apprécie le calme. Les enfants marquent notre position journalière sur la carte, ça ne les impressionne pas d'être là, loin de tout.
Nous croisons la route d'un cargo, le deuxième depuis le départ, comme quoi il ne faut jamais relâcher sa vigilance. Le soir, scotchés au milieu de l'Atlantique, nous dégustons donc foie gras et champagne, l'ambiance est joyeuse. Dans la nuit, le bateau zigue-zague. Le champagne aidant, pourtant on avait bu qu'une demi bouteille, Pascal avait débranché le pilote automatique sans s'en apercevoir, et le bateau rentrait gentiment à la maison... Heureusement, il n'y avait pas de contrôle d'alcootest dans le secteur cette nuit-là!

Vendredi 5 décembre, 12ème jour
Position à 12h UTC: 18°21N, 38°22W
miles parcourus depuis 24h: 86, dont 75 sur la route directe
Vitesse moyenne: 3,58 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 1534,
miles restants sur la route directe: 1326
Après avoir soufflé à 12 noeuds pendant 2 heures, le calme revient avec des vents variables (< 5 noeuds), on affale tout et on se laisse dériver sans voiles. C'est calme comme au mouillage, sauf que l'on a 5000 mètres de profondeur sous le bateau! A l'aube, on subit un bon grain qui rince copieusement le bateau (vent 25 noeuds maxi), puis le calme revient. On avance à 3 noeuds sous gennaker, au gré du vent. Les enfants passent toute la journée à fabriquer des décorations de Noël. A ce rythme là, on n'est pas près d'arriver...
Vers 14h, des toilettes, Pascal observe 3 bonites qui nagent tranquillement à l'ombre de la nacelle. Soudain, elles détalent et il voit un requin passer à fond. Aussitôt, nous regardons à l'arrière du bateau, et nous le voyons repasser sous le bateau très vite. Il est de couleur bleu, il mesure environ 1m50 à 2 m. Son aileron ne sort pas de l'eau, il doit nager à environ 1m sous la surface. Et dire que la veille, il avait proposé aux enfants de se baigner, et j'avais dit non bien sûr...
Vers 17h, nous remontons un coryphène mâle de 90cm et d'environ 5kg. On commence à avoir la technique!
Le soir arrive sans que le vent ait daigné souffler à plus de 5 noeuds. Nous avons fait 7h de moteur aujourd'hui pour échapper à cette zone de calme, en vain! Nos réserves de gasoil étant limitées et surtout réservées à notre production journalière d'électricité et d'eau douce, on ne pourra pas avancer comme ça tous les jours.

Samedi 6 décembre, 13ème jour
Position à 12h UTC: 18°10N, 39°55W
miles parcourus depuis 24h: 95, dont 89 sur la route directe
Vitesse moyenne: 3,95 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 1629, miles restants sur la route directe: 1237

Le vent faiblit pendant la nuit et nous marchons à 2-3 noeuds jusqu'au matin. Un beau grain se profile à notre tribord que nous évitons de justesse. Puis, dans la matinée nous hissons le spi, et nous naviguerons ainsi, confortablement entre 3 et 5 noeuds toute la journée.
A midi, alors que nous mangeons notre coryphène de la veille, le même en plus petit s'accroche à notre ligne. Nous la remontons puis nous décidons de la relâcher, y en a marre des coryphènes, les enfants veulent du thon... En soirée, Romain fait son premier quart de la traversée, jusqu'à 11h45. Il y a de nombreux grains, Pascal veille à côté.


Grain à notre poursuite

Dimanche 7 décembre, 14ème jour
Position à 12h UTC: 17°22N, 41°36W
miles parcourus depuis 24h: 116, dont 102 sur la route directe
Vitesse moyenne: 4,83 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 1745, miles restants sur la route directe: 1135
Dans la nuit, on déroule le gennaker, qu'on gardera jusqu'au lendemain. Empannage dans la nuit vers l'ouest, car le vent revient un peu, on avance à 6 noeuds. Puis nous prenons un cap sud ouest car une zone de calme est annoncée à 72h, en plein sur la route directe, donc nous ferons un détour (un de plus!), vers le sud.
Beau temps, houle régulière de nord - Toujours pas de bateau à l'horizon. Le soir, Romain reprend son quart, Pascal peut dormir à côté pendant 1 heure. La lune est presque pleine, la température reste élevée la nuit, on peut veiller dehors en tee-shirt.

Lundi 8 décembre, 15ème jour
Position à 12h UTC: 16°02N, 43°17W
miles parcourus depuis 24h: 129, dont 105 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,37 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 1874,
miles restants sur la route directe: 1030
Le vent forcit vers 6h du matin, jusqu'à 20 noeuds. On essayera plusieurs réglages, gennaker seul, gennaker + GV 1 ris. On fera même une pointe de vitesse à 13,5 noeuds. A 17h32, le compteur passe sous les 1000 miles restant à parcourir. Côté équipage, le moral est bon, les enfants continuent à lire quasiment un livre par jour. Romain travaille un peu et fait les évaluations de la série 4 du CNED. Il faut en profiter tant que la mer est calme. Nous apprenons par l'email journalier de l'ARC que Galop'1, l'autre catamaran Outremer 45 participant de l'ARC vient d'arriver avec ses 5 membres d'équipage (adultes et motivés pour la course) à Sainte Lucie à 13h29, soit après 15 jours de navigation à fond. Bravo! Nous on fait plutôt dans la transat pépère...et mémère!

Mardi 9 décembre, 16ème jour
Position à 12h UTC: 14°45N, 45°17W
miles parcourus depuis 24h: 142, dont 118 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,91 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 2016, miles restants sur la route directe: 912

Le vent nous lâche à nouveau pendant la nuit., et l'on ne progresse plus qu'à 4 noeuds. Avant l'aube, on aperçoit la mythique croix du sud pour la première fois (ce n'est pas un poteau indicateur, c'est la constellation qui indique la direction du pôle sud aux marins qui ont oublié leur GPS). Au matin, plus de vent, il fait très beau, la mer est belle, la houle est longue et régulière, on se croirait presque en Atlantique... Nous restons au moteur de 11h à 19h, jusqu'à ce que le vent revienne, faible mais suffisant pour nous propulser entre 5 et 7 noeuds. A 19h, la ligne de pêche part, puis plus rien, un poisson nous a cassé le fil, emportant notre beau poulpe bleu et rose. En soirée, la GV bat lamentablement, las d'attendre la risée, nous l'affalons à 2h du matin.


On ne s'en lasse pas ...

Mercredi 10 décembre, 17ème jour
Position à 12h UTC: 14°12N, 46°07W
miles parcourus depuis 24h: 91, dont 78 sur la route directe
Vitesse moyenne: 3,79 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 2107, miles restants sur la route directe: 834
Nous passons la nuit à la dérive, sans voile, puis le matin Pascal renvoie le gennaker dans 8 noeuds de vent. Avant le déjeuner, le vent est suffisant pour mettre la GV haute et le gennaker. Finalement on s'en sort bien aujourd'hui. Les autres bateaux de l'ARC naviguant à quelques centaines de miles de nous, sont tous plantés et avancent au moteur. En début d'après-midi, un gros coryphène, le plus gros de tout ce qu'on a pêché jusqu'alors, nous occupe plus d'une heure, tant il résiste pour monter à bord. Pascal finit par lui planter le crochet, il saigne abondamment dans l'eau. Enfin sur la jupe arrière, il semble agoniser, mais l'hameçon se décroche et il réussit dans un dernier sursaut à donner un coup de queue et à repartir à l'eau! A mon avis, un requin aura fait un bon repas dans les minutes qui ont suivi!!! Le temps est encore magnifique aujourd'hui, la mer aussi. On se repose!

Jeudi 11 décembre, 18ème jour
Position à 12h UTC: 14°10N, 48°44W
miles parcourus depuis 24h: 123, dont 123 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,12 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 2230, miles restants sur la route directe: 711
La nuit est calme, sous GV et solent, par vent presqu'arrière. Le vent se maintient jusqu'à midi, puis faiblit et nous devons remettre le moteur. Vers 16h, nous décidons de préparer le spi. Pascal s'aperçoit soudain qu'on est en train de perdre une latte de GV par l'avant. En fait, elle est cassée en deux. En affalant la GV, la latte force sur le gousset qui se découd sur 1 mètre environ. On décide de n'utiliser la GV qu'en cas de nécessité absolue, pour ne pas risquer de l'endommager davantage. Dans la manoeuvre, le bateau s'est arrêté. Nous avions oublié de remonter la ligne de pêche qui bien évidemment se prend dans l'hélice tribord. On coupe le fil, marche arrière, marche avant, le moteur semble tourner rond. Pascal n'a pas besoin de plonger!

Vendredi 12 décembre, 19ème jour
Position à 12h UTC: 14°13N, 50°41W
miles parcourus depuis 24h: 116, dont 113 sur la route directe
Vitesse moyenne: 4,83 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 2346, miles restants sur la route directe: 598
Nous naviguons toute la nuit au moteur. Au petit matin, nous remettons le gennaker dans 8-12 noeuds de vent de NNE. Le rythme à bord est toujours cool, lecture, repos, jeux et cours du CNED pour les enfants. Côté cuisine, j'essaie de varier autant que je peux. En frais, il ne nous reste plus que quelques pamplemousses, du chou et des papas des Canaries, ainsi que des oeufs. Avec les oeufs, je prépare des quiches et des crêpes, et en dessert, flan, gateau de semoule, cake au citron et autres. Bastien aime bien m'aider à préparer les repas. Pour remplacer la salade, nous faisons germer de l'alfalfa, de la cressonnette, des lentilles ou du soja (haricot mungo). Les enfants se régalent, non seulement de les manger, mais aussi de les faire pousser. On n'a pas utilisé un quart des conserves et autres produits longue conservation que nous avions acheté. L'avantage c'est qu'on n'aura pas besoin de refaire de courses importantes en arrivant, l'inconvénient c'est qu'on était un peu trop chargé!
La nuit est sans histoire sous gennaker seul.

Samedi 13 décembre, 20ème jour
Position à 12h UTC: 14°28N, 53°11W
miles parcourus depuis 24h: 148, dont 146 sur la route directe
Vitesse moyenne: 6,16 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 2494, miles restants sur la route directe: 452

Ce matin, on a toujours le même temps, avec un vent à 10-15 noeuds. Le GPS nous annonce une arrivée dans 3 jours, sauf que le vent faiblit, alors ce sera plutôt 4! Personne n'est vraiment pressé d'arriver, mais quand même, on se traîne depuis tant de jours, que ça énerve quelque peu notre capitaine. Mais où sont dons les alizés stables et renommés de l'Atlantique qu'il m'a tant vanté?

 


C'est encore loin l'Amérique?

Dimanche 14 décembre, 21ème jour
Position à 12h UTC: 14°37N, 55°36W
miles parcourus depuis 24h: 141, dont 140 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5,87 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 2635, miles restants sur la route directe: 312
Est-ce d'avoir râlé un peu, le vent revient à 12-15 noeuds vers 2h du matin. On renvoie le gennaker, et on marche à 6-7 noeuds à 15° de la route directe. En début d'après-midi, le vent est bien établi et on essaie le spi pour gagner en route directe. C'est super, on gagne en confort, en route directe et au moins 1 noeud en vitesse! C'est le premier jour de cette traversée où toutes les conditions (météo + équipage en forme) sont enfin réunies pour faire avancer correctement ce bateau, il était temps! Dans l'après-midi nous passons à 0,4 mile d'une bouée Météo France ancrée par 4000m de fond. On la surveillait bien entendu, on aurait eu l'air malin de se la prendre entre les deux étraves en plein océan! Avant la tombée de la nuit, on affale le spi non sans mal car le vent forçit (20 noeuds de vent apparent, 27 noeuds de vent réel). Pour s'aider, on met les 2 moteurs à fond, pour diminuer le vent apparent. On met le gennaker pour la nuit.

Lundi 15 décembre, 22ème jour
Position à 12h UTC: 14°03N, 58°18W
miles parcourus depuis 24h: 160, dont 158 sur la route directe
Vitesse moyenne: 6.66 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 2795, miles restants sur la route directe: 154
Vers 2h du matin, il faut rouler le gennaker, car le vent forçit encore et la mer redevient agitée. On navigue le reste de la nuit sous solent. Dans la matinée, cap au 272 sur la route direct, ça sent l'arrivée! La mer redevient très agitée, notre bonheur de la veille a été de courte durée... Vers 16h, alors que je me reposais, Pascal vient me chercher en disant "on a un problème!", je crains le pire. En voulant dérouler le gennaker en vent arrière, masqué par le solent, le gennaker s'est mis en "cocotier", c'est-à-dire qu'il a été pris à contre par le vent et s'est en partie re-enroulé à l'envers. La situation s'aggrave quand il se déploie partiellement dans sa partie supérieure, empêchant toute tentative pour le dérouler/ré-enrouler proprement. La solution est de l'affaler, mais avec le vent il fait des mouvement violents qui ne permettent pas à Pascal de le ramener à bord, pendant que je descends la drisse. Heureusement qu'il est attaché car le gennaker a tendance à le soulever, dans la manoeuvre. Les enfants surveillent quelque peu inquiets, Romain demande s'il peut aider, il faut trouver une autre solution. Devant l'urgence, on arrête le bateau et on affale complètement le gennaker dans l'eau. Puis, on bataille un moment pour le remonter ensuite à bord, car il passe en partie sous le bateau (marche arrière) car la mer est très agitée, et puis c'est lourd 110m2 rempli d'eau. Enfin on y arrive, et on le range en vrac dans la soute, je suis épuisée! Pour couronner le tout, le soir, Pascal découvre des roulements à billes au pied du mât, nous ne trouvons pas d'où ils viennent. Plus de GV, plus de gennaker, pourvu que le solent résiste! Je commence à me dire qu'il est grand temps d'arriver!

Mardi 16 décembre, 23ème jour
Position à 12h UTC: 14°07N, 60°42W
miles parcourus depuis 24h: 139, dont 139 sur la route directe
Vitesse moyenne: 5.79 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 2934, miles restants sur la route directe: 13
La dernière nuit en mer s'est bien déroulée jusqu'à ce que tous les instruments de bord ne se mettent à délirer, lorsque j'ai allumé le radar pour surveiller un cargo. Les voyants rouges des pompes de cales s'allument, le radar ne fonctionne plus, l'afficheur de mesure des batteries affiche 9V puis plus rien, le GPS ne marche que s'il est connecté à l'ordinateur! On arrive dans 12h au maximum, là je crois que j'ai vraiment envie d'arriver! Je m'inquiète de savoir ce qui va encore pouvoir nous arriver...
TERRE! Enfin, à 7h20 du matin (heure locale), on distingue les montagnes de Sainte Lucie (enfin j'espère), dans la pénombre de l'aube. On fait un détour pour éviter un zone de filets de pêche, et à 11h09, nous coupons la ligne d'arrivée de l'ARC, à Rodney Bay. Ca n'a pas été simple, il a fallu tirer des bords sous solent seul (plus de gennaker et plus de GV), on s'est finalement aidé des moteurs! On ne va pas y passer la journée...


TERRE!!!

On a gagné ... les cocotiers

Puis on s'est amarré tant bien que mal avec 15-20 noeuds de vent dans la marina, ça aurait été trop beau si cela avait été facile! Heureusement, on a eu de l'aide de gens de l'ARC et de quelques uns des 185 bateaux arrivés avant nous! ... Mais pas de mauvais esprit, d'abord nous sommes partis avec 1 jour de retard, ensuite le but était de participer, d'arriver pas trop épuisés et en bon état, de le faire tous les 4 en famille (avec Helice nous étions les seuls de l'ARC, à être en couple et avec des enfants de -12 ans), y prendre du plaisir à le faire et ne pas divorcer à l'arrivée, et avoir envie de continuer notre périple... Et là, nous avons gagné, nous sommes tous les quatre très heureux d'avoir accompli cette traversée, même si il y a eu des moments très difficiles (après coup, ce sont ceux qu'on oublie en premier, il faudra quand même que j'essaie le patch contre le mal de mer, et que je trouve d'autres médicaments pour les enfants), il y en a eu plein d'autres exceptionnels. Les trois quarts de l'équipage (je ne dirais pas les prénoms mais ils sont masculins) sont même maintenant prêts à traverser le Pacifique! Mais il faut un vote à l'unanimité et ça... c'est une autre histoire... un jour... peut-être!

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Les Notes du Capitaine

Quelques notes sur cette traversée, avec deux semaines de recul, et déjà de la nostalgie. Le bilan est forcément positif, et on oublie facilement les problèmes et les moments difficiles. Pourtant il y en a eu!

La météo
Nous avions plusieurs sources d'information: les fax météo reçus par BLU, les prévisions envoyées par l'ARC, RFI (Radio France Internationale), les discussions occasionnelles par BLU ou VHF avec d'autres bateaux, le baromètre et l'observation locale. Et plus on en a, moins on sait ce qui va se passer! Les sources les plus utiles ont été les cartes météo BLU, en provenance des services météo américains de Boston et New-Orleans. Les cartes sont très complètes (pression, champs de vent, hauteurs de vagues, direction et période de la houle, prévisions à 24, 48, 72 et 96 heures). Ensuite, on se fait sa propre interprétation et on compare avec les autres sources. Ça permet de rester un peu critique et de ne pas subir sans réfléchir les fantaisies de certaines prévisions. Pendant cette traversée en particulier, une énorme zone de grains barrait la route du sud au nord sur 2000 km. La météo anglaise de l'ARC annonçait des grains violents avec rafales supérieures à 60 noeuds (120km/h). Un bateau ami qui s'était offert les services particuliers d'un routeur (un météorologue qui conseille la route à suivre moyennant paiement) en a eu pour son argent: ils se sont entendus dire un soir qu'ils allaient traverser une tempête avec des vents de 70 noeuds, et qu'ils ne pouvaient plus y échapper. Ils sont tous les deux partis vomir, terrorisés... Finalement, les vents subis par les concurrents dans les grains ont rarement dépassés 35 noeuds. Ce n'est qu'une semaine plus tard que cette zone s'est effectivement progressivement transformée en tempête tropicale (nommée Peter), alors que tout le monde indiquait qu'elle se dissipait. La météo allemande plaçait même un anticyclone à sa place! Heureusement, nous avions prudemment piqué au sud et elle était 500 miles plus au nord.

Conduite du bateau et de la traversée
Le bateau a été réglé avec le souci constant de confort et sécurité. Nous étions ce que l'on appelle un équipage "réduit": deux adultes dont un peu expérimenté, avec deux enfants "à charge" pendant la journée, et qui plus est malades pendant une semaine. Dans ces conditions, pas question de faire la course, il faut privilégier le confort au maximum, et gérer le sommeil. Privilégier le confort, c'est choisir le bon angle par rapport aux vagues même si on ne va pas tout à fait dans la bonne direction, et ne pas aller trop vite. Nous avons dû plusieurs fois remplacer le gennaker par le solent parce que Bastien le demandait (à partir de 8-10 noeuds, il n'était pas à l'aise au début). Gérer le sommeil implique d'anticiper les réductions de voilures lorsque des grains sont à prévoir, pour ne pas avoir besoin de réveiller celui qui dort. On a ainsi passé des nuits entières sous solent seul, (une voile facile à réduire) à cause des grains violents annoncés. C'était parfois très frustrant, surtout avec un bateau si rapide, mais il ne fallait pas se tromper de programme.
Nous avons fait quelques zigzags, parfois pour éviter des problèmes météo, parfois pour le confort. Au total, nous avons fait 3000 miles au lieu de 2660 sur la route directe, soit environ deux jours de plus. On n'était pas à deux jours près.

Les quarts
Certains solitaires rencontrés au cours de ce voyage affirment aller se coucher le soir et se réveiller en pleine forme le lendemain matin. Il est vrai que nous n'avons rencontré que deux cargos et une bouée météo sur notre route, mais ça suffit amplement pour justifier une veille sérieuse. La nuit dure environ 13 heures. C'est long! Nous faisions des quarts de 2 ou 3 heures chacun. Pendant le quart, le réveille sonne toutes les 20 minutes. On regarde l'écran du radar pour les cargos et les grains, mais les petits bateaux ne se voient pas au radar. Il faut donc se forcer à sortir du carré pour scruter l'horizon obscur à la recherche d'une lumière éventuelle. Si tout va bien, on retourne dormir pour ce qu'il reste des 20 minutes. Et ainsi de suite ... pendant 22 nuits. Il y a eu des nuits pires que d'autres, passées à manoeuver sous les grains (empannages). On grappille du sommeil, trempé, allongé sur les banquettes du carré. L'équipier de repos ne dort pas tellement mieux, à cause du bruit et du chocs des vagues. Les hallucinations sont fréquentes: on entend des voix, on voit des lumières à l'horizon, ou l'on se réveille en sursaut dans sa cabine en se demandant où sont les instruments de bords et pourquoi on a dormi si longtemps. Les quarts sont devenus moins pénibles sur la fin. D'abord, on s'habitue, même à ça. Ensuite le temps s'est calmé (un peu trop!), et puis Romain s'est mis à faire un quart de 10h à minuit, parfois plus, pendant que je dormais à ses cotés. J'entendais le réveil toutes les 20 minutes, mais le fait de ne pas avoir à se lever me donnait de délicieuses sensations de grasses matinées! Je réveillais Pascale plus tard, et ce surcroît de sommeil nous permettait de rester éveillés et de profiter pleinement de nos quarts (lecture, réception des cartes météo, musique, astronomie).

Le mal de mer
Rares sont les heureux navigateurs qui n'ont jamais le mal de mer. Cela peut prendre plusieurs formes, du simple état nauséeux sans conséquence, au calvaire à tendance suicidaire, avec toutes sortes de variantes entre les deux. Un dicton marin dit à propos du mal de mer: "au début on a peur de mourir, après on a peur de ne pas mourir!". Un équipier sur un autre catamaran de l'ARC, dont c'était la première navigation, disait effectivement vouloir mourir tout de suite. Ils ont commencé à se détourner sur le Cap Vert pour lui éviter ça, mais son état s'est amélioré avant. Une équipière sur un autre bateau a due être débarquée en état de sérieuse déshydratation. Les petites filles d'Helice ont été malades chaque jour de la traversée, jusqu'au dernier. Finalement on s'en est bien sortis en comparaison! Le premier soir, Romain me dit,: "si c'est comme ça la traversée de l'Atlantique, je ne veux plus le faire". Ça remonte le moral. Bastien et Romain ont été malade une semaine, vivant couchés dans leur cabine et dans le carré, mangeant des bols de nouilles ou de riz. Ça ne les a pas empêché de jouer aux cartes et de lire dès le troisième jour. Puis leur état s'est lentement amélioré. Pascale a souffert pendant toute la première moitié, avec des moments de rémission. Pour ma part, j'ai été légèrement nauséeux les deux premiers jours, sans que ça soit jamais handicapant pour gérer le bateau.

L'Angoisse
Angoissés s'abstenir! Et pourtant, nous en sommes deux de première classe! Ça rajoute au charme de l'aventure... Voir ma famille dans cet état de souffrance et d'angoisse pendant une semaine m'a fait douter (le classique "mais qu'est ce qu'on fout là ???"), angoisser (on ne va jamais y arriver, ou dans quel état!), culpabiliser (comment ai-je pu leur faire subir un truc pareil???), regretter (pourquoi je ne les ai pas mis dans l'avion??), et même jurer qu'on ne le referait jamais. On se sent vraiment seul dans ces moments là.
Mais une fois partis, il est très difficile de revenir en arrière contre la mer et le vent, et c'est très bien comme ça, sinon il serait trop facile de renoncer.

L'ARC
L'ARC est une excellente organisation. Tout est bien rodé, et les gens de l'ARC connaissent leur travail. Les enfants ont été choyés. Je le recommande à tous ceux qui veulent traverser l'Atlantique dans un rallye. Par contre, pour des gens comme moi, pour qui l'ARC n'était qu'un moyen de convaincre l'autre de traverser, c'est plus une contrainte qu'autre chose: contrainte de dates, d'itinéraire, d'équipement. Lorsqu'on ne fait pas la course, l'existence d'un classement finit par mettre la pression à cause des attentes qu'il crée chez les autres, alors qu'on demande juste à traverser tranquille.

Mais alors où est le plaisir dans tout ça?
La traversée en famille, c'est un cocooning total, une somme de bons moments ensemble, de jeux, de câlins, qu'il est rare de vivre à terre. Dans la deuxième moitié de la traversée, le temps s'était arrêté, et j'avais parfois la sensation que la mer était devenue comme l'espace dans lequel nous voguions depuis toujours dans notre vaisseau spatial. Pourtant pas d'alcool ni de fumette à bord. Inutile!
Au delà du plaisir en famille, il y a des moments plus personnels, difficiles à décrire, faits de contemplation de nuits, d'étoiles, de lune, de vent, de vagues, de sillages, d'infini, d'absolu, de méditation cosmique. Un bateau au milieu d'un océan, la nuit, parmi les étoiles, ça suffit à mon bonheur!
Il y a aussi les plaisirs plus tangibles: la pêche, le goût du poisson frais, la communication avec la famille et les amis (les emails et les SMS par Iridium sont devenus indispensables à bord), la musique, la lecture, la navigation, les enfants qui reportent le point sur la carte.
Il y a eu également quelques moments importants, comme la célébration de la moitié de la traversée, avec ouverture des cadeaux (merci!), champagne et foie gras.
Et puis on franchit la barre des derniers 1000 miles nautiques, des derniers 500, du dernier jour, du dernier degré de longitude, et un matin c'est la terre à l'horizon. Un curieux mélange de joie, d'incrédulité, de fierté, de nostalgie.
Et en tous cas l'immense plaisir de l'avoir fait, tous les quatre, ce n'est pas tous les jours qu'on accomplit ses rêves...

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Le Carnet de Romain

J'ai traversé !!!!!!!!!!!!!!??...

J'ai traversé!!!!!!!!!!!!!!??... Hourra! Terre!!! "The finish line"! Le photographe de l'arrivée! Yaoooou! Les belles plages des Caraïbes!!!... Tout s'est passé très vite. Pourquoi ces points d'interrogation? Parce qu'aujourd'hui je n'arrive pas encore à y croire! Pourtant??... Ces palmiers, cocotiers, bananiers et peut-être même dattiers... Oui je suis bien aux Caraïbes.. Le requin, le cocotier juste avant l'arrivée, la latte, le dessal, le mal de mer, ce n'est maintenant qu'un mauvais souvenir... Quand même... Ce requin était bien beau... Et puis le ... Oui??!... Ah oui c'est vrai vous n'êtes pas au courant... Ssshhhlurp! mmh...bon ce lait de coco... Bon, je vais vous raconter... euh, juste une petite minute... Yes, please! Another coconut... mmmhmh! Celle-ci est très bonne... Bon le récit...

"La maladie des marins"

La "maladie des marins", mal de mer si vous préférez, on l'a eu: c'est normal. Maman a un peu râlé contre Papa :"Alors, c'est ça ta houle belle et calme des Alizés???..." Alors Papa répondait "Ouais, t'inquiète, ça c'était imprévu, ça va s'arrêter..." Mais ça continuait. Et un jour, pétole et mer plate. Alors Papa injuriait "Bon sang, j'avais demandé moins de vent, pas pétole!". Alors Maman intervenait "Tu préfèrais avant!!???..." Et à partir de là, nous n'avons plus eu le mal de mer car la pétole est restée une semaine...
He!...heu... What's that?... Passion fruit... ok... ok.

Blue shark et pêche

Slchchlurp! mmmh... Demain j'irai à Grenade... Oui? A oui, la suite... "Au début, la pêche ne marchait pas mal et dès le 5ème jour nous pêchons du poisson. Le premier coryphène et premier poisson ne nous avait pas satisfait et dès qu'il fût remonté, nous avons remis la ligne. Dzzzzzzzzzz... un autre poisson retire aussitôt... la ligne se tord beaucoup et nous espérons de tout coeur qu'elle ne rompra pas. Heureusement, elle n'a pas cassé... et nous remontons... un énorme coryphène mâle de 1m03 et d'environ 8kg! Et puis la pêche continue avec des coryphènes de 83cm, 90cm ou des plus petits mais la taille n'est pas mémorable. Par contre, nous n'avons pêché que des coryphènes.

Toujours pendant la pétole,
A Papa, un requin surgit,
de l'océan qui caracole,
Voici le récit de ce qu'il vit:
"J'étais aux toilettes, regardant par le hublot situé au ras de l'eau et donnant sur la mer, quand j'aperçus quatre grosses bonites ou petits thons qui nageaient entre les deux coques. Tout à coup, ce petit groupe partit à "fond la caisse" vers la proue du bateau, suivi par... un gros requin de deux mètres environ"
En sortant des toilettes, Papa nous dit calmement
- "Vous savez il y a des poissons qui nagent autour du bateau."
- "C'est vrai!!!??? Quoi comme poissons??!!!"
- "4 petits thons ou grosses bonites."
- "Oh! la chance!!!"
- "Et..."
- "Quoi ???"
- "Et... un gros requin bleu de 2 mètres!!"
- "Bon sang, la chance!!!!"
Je pensais la même chose que Bastien mais je dis:
- "Vite, il est peut être encore autour du bateau!!!???"
Nous mîmes alors tous nos harnais de sécurité (car la sécurité passe en premier) et nous courûmes faire le guet sur le pont. Mais au bout de dix minutes, nous n'avions rien vu et nous allâmes nous asseoir dans le cockpit:
- "Ca m'énerve, on n'a rien vu!"
- "Bah! vous en verrez d'autres" essayait de nous consoler Papa. Mais moi, je me disais que j'avais raté un grand moment de ma vie. Soudain, Maman cria:
- "Le requin, là, à l'arrière du bateau!!!"
Il était bien là, en effet. Je dis aussitôt à Papa de mettre la canne mais le plouf du leurre ne fît que faire fuir l'animal vers l'avant du bateau. Nous le suivîmes mais nous ne le revîmes pas.
"I want a passion fruit please... thank you... mmhmhmlhmh, ces fruits de la passion sont très bons!

Petits problèmes sur le bateau pendant la transat

Au début de la traversée, le dessal ne marchait pas très bien. Nous avons donc rebroussé chemin ce qui nous a fait perdre 24h, plus tard un latte de GV a cassé. Nous avons donc stoppé le bateau et la ligne s'est prise dans le safran, nous avons donc coupé le fil et le leurre est parti. Mais nous l'avons repêché le lendemain grâce à un autre leurre car en fait il était accroché au bateau!!! ce qui à remis la joie perdue le jour précédent. Et vers la fin du voyage nous avons fait un "cocotier" avec le gennaker. Un cocotier sans noix de coco car faire un cocotier c'est la voile qui s'enroule sur elle-même. Mais ces problèmes n'ont pas été grand chose et le bateau s'est bien comporté.

J'ai adoré la transat !

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Bastien Raconte

Une traversée débordée!

Je dis une traversée débordée car nous sommes d'abord partis avec un jour de retard (nous sommes les rois du départ raté). Car les six premiers jours nous avons été malades, après il y avait pétole (et nous n'étions plus malades). Quelques jours après la pétole, une latte de la grand-voile a cassé! Puis un autre jour Papa est remonté des toilettes et nous a dit qu'il a vu trois ou quatre petits thons pendant quinze secondes, et qu'après ils sont partis à l'avant en fonçant et qu'un requin les suivait à la même allure. Quelques jours plus tard, le gennaker s'est gonflé de l'intérieur et nous n'arrivions plus à le dérouler alors nous l'avons mis à l'eau, et Papa et Maman l'ont remonté à la main (ceci s'appelle faire un cocotier, mais la noix de cocotier n'est pas tombée à l'eau). Et puis un matin quand je me suis levé, Papa m'a dit "va réveiller Romain pendant que je réveille Maman, je vais vous montrer quelque chose". Alors je suis allé réveiller Romain et nous sommes sortis, et en fait c'était la terre!
Nous avons franchi la "finish line" à 11h09, heure locale de Sainte-Lucie. J'ai bien aimé la traversée et elle s'est bien passée, et j'aimerais bien continuer et faire le tour du monde!
Si vous voulez m'excuser, je vais compter mes livres pour savoir combien j'en ai lu depuis La Grande Motte.... Ca y est, je suis revenu: j'ai lu trente-six livres depuis le départ dont une bonne douzaine pendant la traversée! Mes livres préférés s'appellent: "Poly et le mystère de l'Oasis", "Le club des cinq et le rayon Z", "Jessica et les dauphins", "Les six compagnons au goufre Marzal", "Oum le dauphin blanc", mais j'ai bien aimé tous les autres livres. Il ne m'en reste plus qu'un à lire...

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Les photos de la traversée