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Traversée et séjour à Porto Santo, par les champions de la pêche 14 Septembre, En route pour le Rhum. Ce n'est pas la motivation principale du voyage, mais la carte qui va nous accompagner durant toute cette traversée de l'Atlantique s'appelle "Route du Rhum". On va commencer modeste, avec en guise d'apéritif, un peu de Madère. L'archipel du même nom est situé à 450 miles nautiques au Sud-Ouest de Lagos, soit 3 ou 4 jours de mer. C'est pour nous la première grande traversée océanique en famille, et une certaine fébrilité transpire à bord. A 14h40, nous sortons du port et l'ambiance devient immédiatement marine: le vent portant prévu n'est pas au rendez-vous, sans doute perturbé par la proximité des côtes. Au contraire, nous prenons 20 noeuds de Sud-Ouest dans le nez, et cette traversée commence sous deux ris au près! "C'est ce qui était prévu ?" demande, l'air détaché, la femme du Capitaine. "Euh, ben oui, mais non, c'est à cause de la côte, ça va s'arranger au large" répond le mari de la femme du Capitaine, l'air d'y croire. En fait il fallait vraiment y croire, et après quelques heures, le vent devient progressivement moins défavorable. Nous sommes toujours au près, mais chose curieuse, c'est très confortable, même avec 20 noeuds de vent: le coup de vent qui sévit sur Gibraltar 300 km derrière nous génère une houle d'Est qui aplatit les vagues du vent local et nous porte gentiment. Au coucher du soleil, nous sommes presque sur la bonne route, le bateau glisse à 7 noeuds au près bon plein, je suis seul sur le pont à surveiller les chalutiers et les cargos, et je ressens une grande sérénité, allez j'irai même jusqu'au bonheur. On est en route pour Madère, je le savais, mais là je commence tout juste à le vivre, et c'est fort. La nuit s'installe, les quarts commencent. Nous avons laissé nos deux ris pour la nuit, par prudence. Excès de prudence car le vent faiblit dans la nuit et devient vraiment portant, notre vitesse chute et au petit matin nous avançons péniblement à 4 noeuds. Mais nous avons bien dormi ! (enfin je veux dire dans le contexte d'un équipage réduit naviguant au milieu d'une zone de cargos, sinon j'ai connu des nuits plus douillettes). Il faudrait hisser la Grand-Voile haute, on irait plus vite, oui mais une certaine torpeur nous incite à ne rien entreprendre d'aussi ambitieux, après tout, 3, 4, 5 jours, quelle différence? Entre 10 heures et 11 heures, nous observons successivement : des dauphins, une tortue, une palette en bois, une bouteille, un souffle de baleine au loin (mais pas la baleine, donc ce n'est pas homologué), un morceau de filet de pêche à la dérive. A 11 heures, pris d'un sursaut d'énergie, nous envoyons le Genaker (grande voile d'avant légère). Puis nous nous décidons à hisser la Grand-Voile haute, et même le Spi. Malgré tous nos efforts, la vitesse ne dépasse pas 6 noeuds, il faut dire que le vent se fait un peu oublier.
La deuxième nuit commence. Nous décidons de garder toute la toile (sauf le spi) pour la nuit, car nous sommes maintenant plein vent arrière et ça n'avance toujours pas très fort. Au cours de la nuit, la mer devient beaucoup moins calme, et au matin elle est carrément agitée. De grosses vagues nous rattrapent, le ciel est nuageux, la visibilité moyenne, ambiance marine quoi. Au réveil, l'équipage n'est pas en grande forme, et le petit déjeuner n'est pas vraiment le bienvenu. Pourtant il faut se forcer à manger. Tout le monde est allongé dans le carré. Je reste dehors à surveiller les horizons. A 9h15, nous croisons la route de deux bateaux, qui sont d'après leur silhouette, leur cap, et leur voilure (tout dessus, comme nous, avec le spi en plus), des concurrents de la mini-transat en route pour les Canaries. Des mecs gonflés qui traversent l'Atlantique en solitaire sur des petits bolides de 6m50 surtoilés. Une envie me prend d'empanner pour les rejoindre sur le même bord, mais ce ne serait sûrement pas du goût de ma petite famille. Je reste donc sur le même cap, plein Ouest, qui a l'avantage de nous éloigner du mauvais temps, et aussi l'inconvénient de nous éloigner du vent. Mais on y gagnera en confort, et en moral. La forme revient petit à petit, les enfants arrivent à lire et à jouer aux cartes. Pour les devoirs, on verra demain. Dans la matinée nous croisons une belle tortue, nonchalante, ainsi qu' une palme, bleue, pointure 45 à vue de nez. Et quelques papillons ! Nous sommes pourtant à plus de 400 km des côtes.
Les Quarts de Nuit La journée s'achève doucement, nous nous traînons à 4 noeuds, mais le moral est remonté grâce à ce poisson que nous avons dégusté le soir même, mariné au citron et arrosé d'huile d'olive. Les enfants vont faire de beaux rêves. Les parents vont essayer de ne pas trop en faire pendant les quarts de leur troisième nuit. La fatigue commence vraiment à se faire sentir, et le sommeil est difficile à contrôler. Nous n'avons pas planifié les quarts avant de partir, le système s'est mis en place tout seul: je prends le premier quart que j'essaye de faire durer le plus tard possible, jusqu'à environ 2 heures du matin. Pascale prend le relais de 2 heures à 6 ou 7 heures, et va se recoucher au matin. Ensuite, nous grappillons du sommeil dans la journée en fonction des événements. Pendant le quart, nous dormons aussi, mais par tranche de 15 à 20 minutes. Le radar est en veille, c'est-à-dire qu'il s'active toutes les 20 minutes pendant 30 secondes et émet une alarme si un bateau est dans les environs. Nous calons notre minuteur de cuisine sur la même période que le radar, et donc toutes les 20 minutes nous scrutons l'horizon dehors, et observons l'écran du radar. Si tout va bien, on se rendort. Si un bateau est repéré, on attend qu'il soit clairement sorti du périmètre de sécurité pour se rendormir 20 minutes. Enfin tout ça a bien marché pendant les deux premières nuits, mais la troisième, nous avons enchaîné quelques cycles de 20 minutes sans que le minuteur n'arrive à nous réveiller. Contents d'avoir bien dormi, mais inquiets de ne pas mieux maîtriser notre sommeil. Il va falloir qu'on perfectionne le truc. Et les enfants se lèvent guillerets vers 8 heures! Enfin l'aube se lève sur ce qui pourrait être notre dernier jour de navigation si le vent voulait bien souffler comme il faut là où il faut. Mais non, il ne veut pas. Il vient pile dans notre dos, à 11 noeuds. La plupart des voiliers mettent le moteur dans ces conditions. Pas nous ! Ce n'est pas que nous soyons devenus des fondamentalistes de la voile pure et dure, c'est plutôt que nous avons un magnifique Spinnaker. Nous affalons la Grand-Voile, et hissons donc le Spi seul. Nous avançons à 5 noeuds, dans un grand confort. C'est très reposant. D'ailleurs nous sommes tous bien en forme en ce début de quatrième jour. Peut-être commençons-nous à prendre le rythme? Les enfants se sont remis à leurs devoirs. Ils ont compris qu'il faudra être capable de travailler pendant la grande traversée, et ils font des efforts pour avancer le programme malgré l'inconfort et le mal de mer. Peu d'animaux marins aujourd'hui, si ce n'est ... un moineau, ou quelque chose du même genre. Un petit oiseau qui volette autour du Spi et essaye même de s'y poser, sans succès. Entendre cui-cui à 200 km des côtes, on se croirait dans un jardin. Il s'invitera à bord et nous accompagnera toute la journée. Vers 13 heures, nouvelle prise de notre canne à pêche. Bastien, qui comme son frère connaît le livre des poissons par coeur, l'a identifié alors qu'elle n'était même pas encore sortie de l'eau : "c'est une bonite à ventre rayé!" C'est une petite cousine du thon, et c'est bon. Comme elle est un peu petite pour nourrir quatre personnes, nous remettons la canne à l'eau, et je vais faire ma sieste. Mais une deuxième bonite succombera au charme de notre tombeur de coryphène avant que je n'ai pu m'endormir. C'est Pascale et Romain qui la remontent cette fois, c'est bon d'être bien secondé, je peux aller me recoucher! Mais comme il n'y a pas moyen d'être tranquille sur ce bateau, un petit banc de dauphins communs vient tourner autour ne nos coques, sans doute attiré par le sang des bonites. Nos deux bonites finiront leur existence au four, en papillote. Excellentes.
Dans la soirée, le vent nous abandonne cette fois pour de bon, et c'est à regret que nous devons affaler le Spi et faire route au moteur. Dans la nuit noire, assis sur le trampoline, je contemple le plancton phosphorescent qui jaillit comme une gerbe d'étincelles de chaque côté des étraves. A l'arrière le sillage de chaque coque ressemble à la voie lactée qui étincelle, là-haut. C'est la quatrième nuit, et je n'ai pas sommeil. Peut-être à cause de l'excitation de l'arrivée, Porto Santo n'est plus qu'à 35 miles devant. Pascale me relaye à 2 heures, je mets le réveil à 6 heures pour être debout à l'atterrissage sur l'ile. Dans la pénombre, les montagnes commencent à se dessiner. Il est trop tôt pour rentrer dans le port, nous coupons le moteur et nous laissons dériver dans le silence de l'aube pendant une heure. J'aime tout de suite cette île. Sans doute parce que j'en ai rêvé souvent, mais aussi parce qu'elle est spectaculaire avec ses montagnes volcaniques qui plongent dans la mer. Vers 8 heures, ce 18 Septembre, nous nous décidons à remettre en route, et une demi-heure plus tard, nous accostons au quai d'accueil, où l'on nous aide gentiment à l'amarrage. J'éprouve un grand bonheur à monter sur ce quai, et pour la première fois depuis le départ de La Grande Motte la sensation du grand voyage. L'ambiance est déjà presque tropicale, le port est petit (40 places), et tous les bateaux en escale ici sont des voiliers en route pour le Brésil ou les Antilles. Il n'y a plus ces gros yachts à moteur, rutilants avec leurs équipages en uniforme. On se sent vraiment en route nous aussi. Je jubile! Et encore, je n'ai pas vu ce qu'il y a derrière la digue du port. Ce n'est qu'en allant faire les formalités de douanes que je jette un oeil, et que finalement je m'assois pour contempler la baie de Porto Santo et sa super plage de sable. Il va falloir qu'on reste un moment pour profiter de tout ça !
Plus tard, on réfléchit au bilan de cette traversée. Trois jours et 16 heures de navigation pour 478 miles nautiques, c'était une bonne répétition pour LA traversée de l'Atlantique dans deux mois. Nous n'avons pas été très vite, notre moyenne a été de 5,4 noeuds. Je choisis la route et je règle le bateau avec le confort et le bien-être de tous comme premier objectif. Nous devrons régler le problème du sommeil pendant les quarts, et espérer que l'équipage ne souffre pas trop longtemps du mal de mer après le départ. Il faudra que les enfants arrivent à suivre le rythme des cours du CNED pendant trois semaines en mer. Pour le reste, nous sommes assez confiants (autant que l'on puisse l'être ...). En tous cas, personne ne s'est plaint (pas de "c'est quand qu'on arrive ?" à répétition) et tout le monde veut continuer. Pourvu que ça dure !!!
18 au 23 Septembre, Porto Santo.
L'eau du port est limpide, et les enfants y pêchent volontiers, en compagnie d'autres enfants. Le seul problème reste l'amarrage que l'on doit adapter à la marée et le passage du quai au bateau est quelque peu sportif à marée basse (le guide l'avait bien dit).
Cette île est en pleine expansion touristique, car les habitants de Madère, privés de plages, y font construire une maison secondaire et viennent y passer le week-end (2h en ferry). Car ici le joyau de l'île, c'est la plage qui s'étend sur presque toute la côte sud de l'île, l'eau y est très claire et chaude (plus de 25°, ça nous surprend agréablement après la mer fraîche des plages de Lagos). Les enfants y passent de super moments, à jouer dans les vagues et à bâtir des ouvrages de sable. Le lendemain, nous visitons le musée Christophe Colomb qui s'arrêta sur l'île lors de son troisième voyage en Amérique et s'y installa après avoir épousé la fille du gouverneur de l'île. Mais la visite du musée nous a déçu, on pensait apprendre plein de détails sur sa vie, mais à part quelques portraits, la maquette de la Santa Maria et son journal de bord en portuguais, on n'a pas appris grand chose et on a fait le tour de sa maison en 10 minutes. On comprend pourquoi la visite est gratuite. Puis Romain va pour la première fois chez le coiffeur depuis notre départ, il en avait besoin.
Nous allons donc en ville à la droguerie (qui a une rente à vie avec cette tradition!) acheter le matériel nécessaire et nous faisons notre modeste peinture en comparaison à de véritables oeuvres d'art. Les peintures tiennent en général dix ans au maximum, aussi si vous passez par Port Santo dans les années qui viennent vous nous y verrez peut-être, à moins que d'ici là on vienne y remettre une deuxième couche... Porto Santo, le 23 Septembre 2003.
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