Imagine au Vanuatu


Tanna, un autre monde
par Pascal



Du 24 mai au 7 juin 2009


Félicité ...

Une baie paisible, Imagine au milieu qui tire gentiment sur son mouillage, et nous sur Imagine à contempler le paysage et la végétation de Port-Résolution en se laissant réchauffer par le doux soleil de l'après-midi ... demain on débarquera, à la découverte de cette île de Tanna et de ces habitants, mais pour l'instant on goûte la félicité de ce moment de calme si particulier, l'arrivée à l'escale. L'arrêt des hostilités. Parce qu'il ne faut pas croire que ce bonheur soit gratuit, ça se mérite et ça se paye la félicité. D'avance, même. Spécialement dans ce coin mal pavé du Pacifique sud-ouest semble-t-il.

On avait pourtant sagement attendu la fin d'une dépression, et parcouru le lagon depuis Nouméa poussé par 20 noeuds de sud-ouest pour une fois appréciés, sous un beau soleil et toutes voiles dehors. C'est le lendemain que ça s'est gâté: au sortir de la baie naturelle de Port-Boisé après une nuit tranquille, on avait allègrement envoyé la grand-voile jusqu'en haut du mat malgré le petit jour grisâtre de 6h du matin qui incitait plutôt à un repli stratégique sous la couette. Le gennaker était gréé, prêt à être envoyé pour les longs surfs au portant jusqu'au Vanuatu. Quelle naïveté! Un quart d'heure plus tard, sous 2 ris et sous un grain, nous franchissions la passe de la Havannah la queue basse, conscients et fatalistes: on n'aurait pas encore cette fois-ci la traversée idyllique promise par les cartes météo.

Après tout, rien de grave, l'équipage était rodé et en avait vu d'autres: Pascale avait cuisiné pour 48h, et aucun de nous n'avait oublié comment occuper les longues heures d'inconfort d'une navigation agitée malgré ces 9 mois pendant lesquels Imagine n'avait plus connu l'océan, occupé qu'il était à nous promener sur le beau lagon calédonien. Ah la joie des retrouvailles! Le mer nous a fait une sacré fête, nous entraînant dans sa danse syncopée, à grands coups de claques dans le dos, de déhanchements chaotiques, d'étreintes écumeuses, le vent nous a hurlé son enthousiasme, soutenant le tempo jusque tard dans la nuit, nous laissant fourbu au petit matin, mais tout s'est apaisé à la vue de la silhouette dessinée devant les étraves: Tanna.

On a déroulé le gennaker, petit déjeuné, glissé le long de la côte verdoyante et sauvage, en direction de la colonne de fumée du volcan Yasur qui nous guidait vers Port-Résolution. L'ancre a rejoint le fond, tout s'est arrêté, relâchement, bonheur de l'arrivée, ... félicité.

Expédition à Lenakel

Comme chaque fois lorsqu'on arrive à l'étranger, la première visite doit être pour les diverses administrations pour obtenir le droit de séjourner sur le territoire. En général on essaye d'atterrir dans le port officiel d'entrée, mais sur l'île de Tanna la capitale administrative Lenakel n'offre aucun mouillage dès que le vent souffle de sud-est, et il se trouve que c'est justement le vent dominant dans ce coin du monde. Pas très adapté pour les marins donc, mais l'administration est suffisamment compréhensive ici pour autoriser les bateaux à mouiller de l'autre côté de l'île à Port-Résolution, à condition de rejoindre Lenakel par la route pour faire les formalités.

Stanley habite le village de Port-Resolution, il à l'habitude. Dès qu'un bateau accoste, il prend en charge les navigateurs et les accompagne à Lenakel. Nous sommes plusieurs bateaux, américain, suédois, anglais, arrivés la veille, à faire le déplacement. On nous a prévenu, ça ne sera pas confortable: il faut deux heures et demi pour parcourir les 40 kilomètres de piste. Elle vient pourtant d'être refaite au bulldozer à la fin de la saison des pluies, mais c'était juste un peu trop tôt: une dépression un peu tardive a ravagé la cendre boueuse fraîchement damée, quand on vous dit qu'il n'y a plus de saisons!

Nous sommes nombreux à nous entasser dans le 4x4 qui tient lieu de transport en commun: outre le chauffeur, dix navigateurs, ainsi que Sandra, volontaire américaine des Peace Corps qui vit ici depuis deux ans, Stanley notre guide, et deux villageois. Quinze personnes, dont treize dans la benne! On comprend pourquoi les primes d'assurance sont chères pour les voyageurs ...

Dès le départ, on bénit ceux qui nous ont précédé et conseillé de se munir d'un coussin pour amortir les chocs sous les fesses, ça cahote méchamment! Mais on est immédiatement sous le charme de cette escapade matinale dans la fraîcheur de la forêt tropicale luxuriante, des villages de cases que l'on traverse, des gens qui marchent sur la piste et nous saluent avec le sourire. Il a plu dans la nuit, le feuillage ruisselle, la piste aussi. La terre est noire, glaiseuse, sortie des entrailles du volcan Yasur. Le 4x4 franchit au pas les ornières boueuses et les roches glissantes, puis s'offre une pointe de vitesse (au moins 30 km/h!) jusqu'au prochain obstacle. Bientôt la piste quitte la forêt et longe le pied du volcan, les cahots se dissipent, la voiture glisse sur le velours d'un champ de cendre grise au milieu d'un paysage désertique, brûlé, volcanique. Des coulées de lave ocre rouges émergent de cette vallée de cendres, déchirée en son milieu par une rivière qui a formé un petit canyon. La voiture franchit un gué, s'éloigne du volcan qui nous salue d'un panache grisâtre, puis la piste retrouve la forêt qui abrite un nombre important de cases, de villages, d'écoles, quelques églises. Beaucoup de piétons sur cette piste, ici les gens marchent sans se poser la question de la distance ou du temps, si on doit aller quelque part on y va, parfois avec les enfants dans les bras. On croise une famille revenant de Lenakel, encore a plus de 20km...

Le 4x4 nous hisse laborieusement au point culminant de la piste, un col d'où l'on aperçoit au loin les îles voisines de Tanna: Aneytum, Futuna, Aniwa, Erromango ... puis nous entamons précautionneusement la longue descente vers Lenakel. En priant pour que les freins résistent. Les villages se font plus nombreux, nous croisons plus de véhicules, on s'approche de la capitale! Dernière difficulté: la piste est coupée sur une dizaine de mètres par des ornières profondes, boueuses, dans lesquelles un 4x4 est enfoncé jusqu'au châssis! Ses passagers, des touristes, attendent avec curiosité sur le talus de voir comment le chauffeur va se sortir de ce bourbier. Les enfants d'une école voisine ont déserté la salle de classe pour se délecter du spectacle. Et nous n'avons pas d'autre choix que d'attendre aussi. A force de tirer, pousser, et de remplir les ornières de cocos, le chauffeur se dégage en marche arrière, puis fait rugir le moteur pour passer en force. La voiture bondit des 4 roues, dérape, et franchit l'obstacle. A nous maintenant! Confiance ou inconscience, nous sommes tous remontés dans la benne malgré le spectacle pourtant édifiant du 4x4 bondissant. Une touriste américaine à peine remise de ses émotions nous hurle, hystérique, vous êtes fous, descendez, vous allez vous tuer! et je songe qu'elle n'a peut-être pas tort ... mais c'est trop tard, notre chauffeur a démarré, chacun s'accroche où il peut comme il peut, le 4x4 glisse dans l'ornière, gite dangereusement sur la droite et menace de verser sur nous, Romain est à moitié éjecté et se retient in-extremis, quelques cris d'angoisse fusent mais le chauffeur est déterminé et nous sort finalement de l'ornière sans ménagement et sans perte humaine! Après ce pic d'adrénaline, je ne desserrerai les fesses qu'à l'arrivée à Lenakel dix minutes plus tard. Ne pensons pas déjà au retour .... il nous reste d'autres épreuves, avec dans l'ordre: trouver des vatus (la monnaie locale), la douane, l'immigration, et le service de la quarantaine. Ça commence mal: contrairement à ce qu'on nous avait assuré, la seule banque de Tanna n'accepte pas les cartes de crédit, et nous n'avons pas de cash, donc impossible d'obtenir des vatus. Heureusement que la légendaire solidarité des gens de mer n'est pas qu'une légende: aussitôt, deux bateaux, suédois et anglais, que nous ne connaissions pas encore ce matin au réveil nous prêtent 400 dollars sans même savoir quand et comment on pourra les rembourser! Les bureaux des douanes sont juste à côté, les fonctionnaires sont aimables et accueillants, s'excusant presque de nous faire remplir tous ces formulaires en plusieurs exemplaires. Pendant que j'exécute la corvée, Pascale visite les alentours: Lenakel est un gros village, assez étendu, où l'on trouve une station service (en fait un dépôt de fûts de carburants dans lesquels le pompiste plonge un tuyau et pompe à la main), quelques magasins d'approvisionnement général, l'inévitable boutique de l'opérateur de téléphone mobile, ainsi que deux ou trois restaurants servant la cuisine locale. Il y a aussi un joli marché installé sous l'abri d'un arbre gigantesque, où l'on retrouve avec bonheur des fruits et légumes non traités et pas chers, ça change de Nouméa! Les avocats et les mandarines sont un régal. On peut aussi y acheter des arachides fraîches, de l'igname et du taro, des poules, et même une roussette, pendue morte à une branche basse, dont la viande est parait-il excellente.

Après un rapide repas de poisson frit et de riz dans un petit restaurant, nous poursuivons le parcours des formalités: immigration, et quarantaine. Au total, l'entrée dans le pays nous aura coûté 10000 vatus (environ 100 dollars) et une bonne vingtaine de formulaires.
Il est 14h30, l'heure de reprendre la piste de Port-Résolution, qui heureusement a bien séchée depuis ce matin. Nous aurons quand même droit à l'embourbement au même endroit qu'à l'aller, mais cette fois tout le monde descend pendant le franchissement de l'obstacle! A mi-chemin, nous nous arrêtons à un "road-market", un marché installé au bord de la piste sous un banian monumental, où nous complétons le plein de fruits et légumes. La lumière du soir nous offre un beau panorama du haut du col sur le volcan Yasur, que nous irons voir de plus près demain.
A l'approche de Port-Résolution, nous embarquons deux mamans et leurs 3 enfants qui reviennent à pieds du dispensaire, à deux heures de marche du village. Record battu: nous sommes dix-huit dans la benne! Ça n'empêche pas la très jeune maman d'allaiter son nourrisson avec le sourire.
Il fait nuit noire quand nous rejoignons Imagine, le sommeil soignera les courbatures ...

Port-Résolution

James Cook, encore lui, est responsable du nom de cet endroit, où il débarqua avec son navire le HMS Resolution en 1774, attiré par les lueurs rougeoyantes du volcan Yasur dans le ciel nocturne. C'est une baie assez profonde et abritée, que bordent plusieurs petits villages de cases inchangées depuis des siècles. Ici la vie est restée simple et traditionnelle, on la dirait encore en dehors de la folie du monde. La première chose qui frappe lorsque l'on découvre ces villages, c'est la propreté. Pas ou peu de déchets visibles, les habituels sacs plastiques, les canettes de bière ou de coca, les emballages et les sacs poubelles abandonnés, toutes ces souillures de nos civilisations surconsommatrices n'ont pas atteint cette partie de la planète. C'est assez simple à comprendre, le "niveau de vie" (ce curieux terme qui n'en désigne que l'aspect matériel) est encore très inférieur à la moyenne mondiale, la consommation est donc quasi-inexistante, réduite à ce qu'on ne trouve pas dans la nature généreuse et qu'on ne peut pas produire localement, les sollicitations sont réduites (on n'a pas vu une seule télévision). Seuls quelques éléments de modernité ont été introduits, sans doute les plus utiles dans ces lieux isolés: un réseau de téléphone mobile couvre l'île, on aperçoit quelques panneaux solaires, il y a un groupe électrogène, mais peu d'engins motorisés: une ou deux voitures pour tout le village, et pas la moindre tondeuse à gazon pour venir troubler le chant des oiseaux! Le carburant est trop cher. Pourtant le village est entretenu, on dirait un jardin, l'herbe est rase sur la vaste place centrale du village, il y a des fleurs, pas de friches malgré cette végétation qui ne demande qu'à pousser partout et tout le temps. Peut-être les bienfaits de l'organisation communautaire, où l'on ne travaille pas seulement pour soi mais aussi pour la collectivité?

Une vie simple donc, sans doute difficile. Les cases sont rudimentaires, on dort à même le sol, avec pour seul confort une natte de pandanus tressée. Les gens sont-ils malheureux ou déshérités pour autant? Ce n'est pas l'impression qu'ils nous donnent, il y a toujours un sourire sur leur visage, une nonchalance paisible dans leurs gestes, ici le temps n'est pas encore de l'argent, on ne le compte pas. Sont-ils incultes? mauvaise question, comment comparer les connaissances de ces deux mondes si différents que sont le leur et l'occident, qui cherche pourtant depuis des siècles à importer ici ses valeurs et sa culture. Les vanuatais (on dit aussi les ni-vanuatu) démontrent en tous cas leur aptitudes intellectuelles en pratiquant couramment trois ou quatre langues : les trois langues officielles qui sont le bislama, l'anglais et le français, ainsi que la langue locale de la région ou de la tribu, bien distincte. Le pays compte la plus forte densité linguistique de la planète, pas moins de 113 langues vernaculaires pour 200000 habitants!

La vie du village est très calme, les enfants sont à l'école, les femmes s'occupent des plus petits, jardinent, cuisinent, tressent des nattes, un vieil homme fabrique un arc. Deux jeunes enfants jouent devant une case, un autre remonte un chemin perché sur un vélo bien trop grand pour lui. Nous rencontrons un professeur de français, nous achetons quelques fruits et de la canne à sucre à croquer au road market (un étal solitaire et dégarni au bord du chemin). Nous visitons la case de Sandra, la volontaire des Peace Corps rencontrée la veille. Elle nous raconte brièvement son parcours, son action ici depuis deux ans, ses doutes face aux difficultés d'une aide humanitaire bien accueillie mais pas forcément désirée, ni supportée par la communauté locale. Les beaux projets font bonne impression dans le rapport annuel d'activité, mais n'ont souvent qu'une durée de vie limitée au temps de séjour des volontaires qui les portent. Nous rencontrons aussi un volontaire d'une association australienne. Avec 27 de ses camarades, il vient de consacrer trois mois de son temps pour construire bénévolement une église dans le village, qui en avait déjà une. Générosité sincère qui vient certainement du fond du coeur à en juger par le regard illuminé de cet homme, mais qui me laisse perplexe. Je croyais le temps des missionnaires révolu, apparemment ce n'est pas encore tout à fait le cas.

Jo le pêcheur

De retour au bateau nous observons les pêcheurs parcourir la baie sur leurs pirogues à balancier traditionnelles, inchangées depuis les temps anciens. Ils manoeuvrent parfois en flottille, rabattant les bancs de poissons vers les filets en les effrayant à coup de pagaies frappées sur l'eau, ou même à la nage. A la proue des frêles pirogues, impassibles dans leur équilibre instable, des hommes armés d'un grand harpon guettent le poisson. Un homme seul aborde imagine. Présentations, lui c'est Jo, il parle français, il habite le village sur la plage au fond de la baie. Je l'interroge sur sa pirogue: il l'a construite lui-même, dans un tronc d'arbre à pain. En bon occidental qui ne se refait pas, je ne peux m'empêcher de lui demander combien de temps de travail ça représente, il invente poliment une réponse, un mois, je le félicite. Il invite Bastien à pêcher avec lui et s'en va rejoindre deux autres pirogues dans la baie. Au retour il me demande si on a des piles à lui donner pour sa lampe, on lui donne en plus une de nos lampes frontales, il nous invite à visiter son village. Nous avons l'habitude des relations faussées par l'écart de richesse quand on arrive chez des gens pauvres avec un bateau qui nous classe à leurs yeux comme des milliardaires. Nous avons vécu cette gentillesse intéressée dans bien des pays, notamment en Atlantique et dans les Caraïbes. Nous ne ressentons rien de tel ici. Ce n'est pas un échange, ni un troc, mais plutôt des actes naturels et spontanés de gentillesse et d'accueil. Ou alors on est devenu des grands naïfs. Qu'importe, ce qui compte c'est comment on vit les choses, et ici on les vit bien.

Lorsque nous lui rendons visite le lendemain matin, Jo offre d'abord un arc et une flèche de sa fabrication à Bastien. Encore une question bête: quel est l'arbre utilisé pour cet arc? réponse: c'est l'arbre spécial pour les arcs. On en sait un peu plus sur la corde, faite de liane de banian séchée. Jo nous explique qu'il chasse et pêche avec ces arcs, et montre à Bastien comment s'en servir.
Puis il nous emmène dans son coin du village, à l'intérieur de la forêt. Là encore, c'est propre, rien ne traine. Il a planté un jeune arbre de santal devant sa case, c'est une espèce endémique ici. Il envoie un de ses jeunes fils dans les branches d'un pamplemoussier, le garçon grimpe agilement et se glisse comme un serpent sur les branches les plus frêles, qui ploient dangereusement, pour atteindre les grappes de pamplemousses à leur extrémité. S'il tombe de cette hauteur, il va se fracasser par terre, mais pourquoi tomberait-il? Nous revenons sur la plage chargé de poireaux, christophines, citrons, pamplemousses, que nous déposons dans l'annexe. Nous l'invitons à revenir au bateau, il viendra récupérer des choses qui lui seront plus utiles qu'à nous: vêtements inutilisés ou trop petits, une paire de palmes, des cordages, de la vaisselle ...

Nous terminons la visite de ce village par une promenade sur la plage de sable noir. Cette plage n'existait pas du temps de James Cook il y a seulement deux siècles. La baie était plus profonde, mais depuis le volcan l'a traversée d'une langue de cendre et de boue sur laquelle ce village est construit. Les signes de l'activité volcanique sont bien visibles: des sources bouillonnent juste sous la surface de l'eau de mer en bord de plage, dégageant un panache de vapeur, et un peu plus loin dans la végétation des fumerolles volcaniques envoient comme des signaux de fumée discontinus. Un pan de falaise d'une vingtaine de mètres de haut s'est écroulé juste sous les racines d'un arbre volumineux, qui continue sa vie à moitié suspendu au dessus du vide. Ça remue par ici: le Vanuatu est un archipel surgi de la mer, situé sur la ceinture de feu du Pacifique. La vitesse de subduction de la plaque australienne sous la plaque pacifique a été évaluée à 12 centimètres en moyenne par an dans cette partie de l'arc des Nouvelles Hébrides. En un peu plus d'un siècle, les mouvements tectoniques ont soulevé Port-Résolution de 20 mètres!
Il est temps que nous rendions une petite visite à la manifestation la plus visible de ce délire tellurique, le volcan Yasur ...

 

Le volcan Yasur

Le Yasur est en éruption permanente. Des explosions se produisent plusieurs fois par heure (environ 500 fois par jour), dans son cratère constitué de deux cratères secondaires, et ce depuis au moins 800 ans. C'est la grosse attraction des Vanuatu, les touristes viennent en avion, puis endurent la piste depuis Lenakel pour admirer ce spectacle rare et fascinant. Il faut dire que le Yasur est certainement le volcan en éruption le plus accessible du monde, son cratère ne culmine qu'à 360 mètres, dont les deux tiers sont grimpés en 4x4.
Nous quittons Port-Résolution vers 16h, pour nous il n'y a qu'un peu moins d'une heure de trajet. La piste franchit un péage, le volcan est situé sur les terres d'une tribu qui prélève un droit de passage sur ces terres sacrées. Dans la passé le Yasur était "tabu", il ne fallait pas fâcher les esprits (Cook n'a donc pas eu la chance d'y grimper), maintenant il est devenu une attraction touristique mais on reste quand même dans le domaine de la nature sauvage: plusieurs heures de 4x4 sur une piste défoncée, et à l'arrivée pas de boutiques de souvenirs, pas de barrières de sécurité non plus, ni de panneaux avertissant d'un danger quelconque. On peut suivant son degré de curiosité ou d'inconscience se promener en toute liberté sur le cratère, voire à l'intérieur. Quelques touristes l'ont payé de leur vie. Il y a d'ailleurs une boite aux lettres officielle au pied du chemin menant au sommet, sans doute pour permettre de poster ses dernières volontés?
Alors est-ce vraiment dangereux? L'activité du petit monstre est surveillé à distance par l'IRD, qui dans un de ses rapports donne son avis sur la question: "Le Yasur est assurément un volcan très dangereux. Les bombes qui sont expulsées avec violence par la bouche nord représentent une menace très sérieuse pour les touristes qui s’aventurent sur les bords du cratère. Grâce à sa très grande facilité d'accès, il attire de nombreux visiteurs, dont beaucoup voient là pour la première fois un volcan actif, et ne savent pas évaluer les risques qu’ils encourent. Le port d’un casque, élémentaire précaution, devrait être obligatoire." On n'avait pas lu cet avis avant, évidemment, nous voilà donc perchés juste au bord du cratère. Pour l'instant il ne se passe rien ou presque, la fumée monte tranquillement et prend une jolie teinte rosée dans le ciel du crépuscule. Le cratère est double, à une centaine de mètres en contrebas, mais on ne distingue pas le fond. La terre gronde sporadiquement, un bruit sourd, profond, amplifié par la cuvette du cratère, le genre d'avertissement qui nous ferait prendre la fuite immédiatement s'il n'y avait pas tous ces touristes autour de nous laissant penser que tout va bien. Puis soudain, première explosion. Le cratère expulse de la lave bien plus haut que le sommet, le bruit de l'explosion est décalé d'un fraction de seconde, nous suivons des yeux la courbe décrite par les bombes volcaniques qui retombent lourdement après quelques secondes, encore incandescentes. Waouh! Les feux d'artifice du 14 juillet sont des petits pétards mouillés à côté d'un tel spectacle! Quelques bombes sont retombées sur la pente externe du cratère, à une centaine de mètres de nous, effectivement ce n'est pas très rassurant ... Je repense au recommandations entendues ça et là: suivre la trajectoire des bombes au moment de l'explosion et se déplacer tout en anticipant le point de chute, surtout ne pas courir sans regarder les bombes! Sachant que la vitesse d'éjection est d'environ 200 mètres/seconde, ça ne laisse pas beaucoup de temps pour anticiper ...

Les grondements se poursuivent, les éruptions se succèdent toutes les quelques minutes, on est à la fois fascinés et effrayés, mais je comprends ce que ressentent les vulcanologues, on a envie d'en voir plus. Nous nous déplaçons avant qu'il ne fasse complètement nuit vers une partie plus élevée et plus acérée du cratère. Le sol est friable, on a l'impression que L'arête peut se réduire en poudre. Pascale et Bastien s'arrêtentà mi-pente, nous continuons avec Romain jusqu'au sommet. Effectivement, certaines personnes portent des casques. Nous nous allongeons sur le sol, avec vue plongeante sur le fond du cône qui révèle un mini lac de lave en fusion, seule source lumineuse du paysage maintenant complètement obscur. Il y a des mini éruptions très fréquentes, entre les explosions majeures et tonitruantes qui embrasent le ciel, dessinant de majestueuses arabesques de feu. Nous sommes au vent du cratère, mais la fumée âcre nous enveloppe parfois, et se transforme en brume rougeoyante quand la lave jaillit. On reste là, sans parole, hypnotisés par la beauté et la force du spectacle, conscients de contempler le coeur de la terre, "les entrailles du diable" comme le dit si poétiquement Romain.
On ne sait plus depuis combien de temps on est là, il faut peut-être songer à redescendre et à retrouver le groupe, il nous reste une heure de piste à la lumière des phares à travers la forêt, magique dans la nuit, pour retrouver notre baie tranquille. La nuit sera calme, on oublie vite qu'on est assis sur un volcan ...

Ces quelques jours à Tanna sont passés très vite, avec la formidable sensation de plonger dans un autre univers, encore préservé, et le bonheur retrouvé de la découverte d'autres gens, d'autres cultures, du contact rapproché avec les éléments et la nature. On a vu une infime partie du Vanuatu, suffisamment pour se promettre d'y revenir, malgré l'inconfort de la traversée aller, qui sera d'ailleurs confirmée par celle du retour vers Nouméa. Il nous faudra lutter contre un vent de sud, pile dans notre nez, des grains incessants et violents, et la mer qui va avec. Nous verrons notre fidèle solent se déchirer petit à petit en plusieurs endroits, il tiendra bravement jusqu'aux îles Loyautés, où nous lui accorderons une escale technique dans la baie de Drueulu.

A suivre ...

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