Journal des Îles sous le Vent - Raiatea et Mopélia - Mai 2008 |
Raiatea, suite ... et fin!
On peut enfin réparer! Ils ont fini par arriver à Raiatea, ces deux ridoirs tout neufs qui vont nous délivrer de notre paralysie dans cette marina depuis deux mois. |
Il ne reste plus qu'à les installer sans faire tomber le mât
si possible! Le plus difficile est de dévisser les anciens ridoirs,
grippés, mais avec l'aide de Fred et Sofiane, les copains du
ponton, ainsi que de quelques barres métalliques en guise de
levier, on a fini par les avoir.
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Y-a-t-il un pilote dans l'ULM?
Non, je regarde à ma droite, l'instructeur n'y est pas, et comme je ne suis pas encore pilote, il n'y a pas de pilote dans cet ULM! il y a juste moi, lâché tout seul pour la première fois aux commandes de Fox Juliet Ocar Bravo Echo (c'est son petit nom), qui roule pour remonter la piste 07, pas vraiment stressé, mais concentré.
Quel bonheur d'être lâché seul dans le ciel! |
C'est juste un tour de piste en solo, je m'aligne comme
d'habitude en bout de piste, "prêt pour décollage, Bravo
Echo", et tout s'enchaîne, les gaz à fond, je décolle,
virage à gauche à 500 pieds, montée jusqu'à
1000 pieds, virage à gauche pour se retrouver vent arrière
en palier parallèle à la piste, je suis un peu trop haut,
1200 pieds, pas grave, tout va bien, je réduis les gaz, tire sur
le manche, sors les volets, virage à gauche pour l'étape
de base, puis un dernier virage et je m'aligne en finale. La pente est
bonne, léger vent pas tout à fait dans l'axe, ça
ira, la piste approche, je suis bon, j'arrondis, les roues touchent en
douceur, je pose le nez, une onde de bonheur m'envahit, je l'ai fait! |
Voilà, j'ai mon brevet de pilote ULM, ça aurait été dommage de quitter la Polynésie sans finir cet apprentissage, et si vous passez par Raiatea, ne manquez-pas la visite aérienne avec l'Aéroclub des Îles sous le Vent, tout est encore plus beau vu du ciel.
Derniers préparatifs, et les adieux ...
Les deux dernières semaines à Raiatea sont une course contre la montre où l'on essaye de terminer les préparatifs techniques, l'approvisionnement, et de dire au revoir à tout le monde. C'est à cette occasion qu'on se rend compte du nombre de rencontres qui ont marqué notre séjour, de tous ceux qu'il va falloir quitter. Les derniers repas d'adieux se succèdent, les derniers apéros sur le ponton, on prend les dernières photos (cliquez ici pour un petit souvenir de la marina), tout le monde nous aide et nous rend service (on n'a jamais conduit autant de voitures différentes en si peu de jours), les jours passent vite. Les enfants commencent aussi à réaliser concrètement que l'on va partir. Dernière fête nocturne sur un motu avec tous leurs copains, derniers jours d'école. Bastien réussit à prendre un mauvais coup au pied pendant son dernier cours d'EPS, on doit l'amener aux urgences craignant une nouvelle fracture, ce sera juste une entorse, peut-être pour le plaisir de retrouver ses béquilles. Ils quittent l'école le 21 mai, et profitent à fond des derniers jours. C'est sans Romain, hébergé chez un copain, que nous quitterons la marina pour aller sortir le bateau de l'eau pour un entretien express des saildrive (la boîte de transmission, située sous la flottaison). Les coques ne resteront à sec que quelques heures, elles sont d'une propreté incroyable: le dernier carénage remonte à Curaçao en Octobre 2006 et le prochain attendra encore facilement jusqu'à Nouméa. Nous passons nos derniers jours au mouillage sur un corps mort devant le chantier. Je fais mes derniers vols ULM, Pascale fait la tournée de ses copines polynésiennes, Augustine, Evelyne, Engerie, Mamie Jeanne, ... on reçoit des cadeaux, des attentions touchantes, des colliers de coquillage, comme le veut la coutume locale: collier de fleur quand on arrive, collier de coquillage quand on part, pour être sûr qu'on va revenir.
Pascale avec Evelyne et sa fille Lahaina |
Des fruits, des légumes ... et des petits cadeaux |
Et pour être sûre qu'on ne manque de rien, Evelyne a rempli la benne d'un 4x4 de fruits et légumes! Dans les cartons, nous trouverons encore des cadeaux, objets en bois fabriqués pour nous. Imagine se couvre donc de bananes, six régimes entiers suspendus ça et là ou entassés dans le kayak. Pourvu que la météo soit calme!
Voilà, on dirait qu'on est prêt. |
A bientôt ! |
Mopélia, le bonus Polynésien
du 27 mai au 4 juin 2008
On est partis!
Après avoir repoussé le départ de dimanche à lundi
à force de passer notre temps à dire au revoir sans s'occuper
du bateau, il a encore fallu lundi matin dès 7
heures plonger dans les cales moteurs, déplacer le frigo et dévisser
quelques cloisons pour rechercher une fuite dans le circuit hydraulique de barre
qu'on n'a pas trouvée, et c'est finalement à 10h que Romain a
hissé les voiles dans la passe de Mirimiri. Dernière conversation
en VHF avec Claude, qui nous observe du haut de sa montagne, on échange
des signaux lumineux avec des miroirs, puis nous voilà seuls. Le vent
qui nous accompagnait pour nous souhaiter bonne route nous lâche au bout
d'une heure. Pétole sur tout le trajet, moteur donc, pas terrible comme
navigation mais après ces mois de lagon, ça permet de retrouver
la mer en douceur.
Prudemment, on met le cap sur Bora Bora où l'on pourra faire escale en
cas de problème technique, mais vers midi, tout semble fonctionner normalement,
alors on laisse la belle silhouette de la perle du Pacifique sur tribord pour
viser Mopélia, 140 milles plus à l'ouest. C'est un tout petit
atoll, la dernière terre habitée accessible
à l'extrémité ouest de la Polynésie Française,
onze personnes vivent là dans un grand isolement, sans
autre moyen de communication qu'une radio BLU et avec un ravitaillement
rare et aléatoire. Normalement, nous devrions sortir des eaux territoriales
sans escale pour respecter la loi, puisque nous avons fait notre sortie officielle
et que nous avons déjà dépassé de 2 mois le délai
légal. Mais nous sommes chargés de légumes, de fruits,
notamment les 6 régimes de bananes d'Evelyne, nous avons aussi du tabac
et du courrier, alors nous nous accordons un petit bonus polynésien,
pour la bonne cause ...
Nuit calme, au moteur. Quelques cachalots au petit matin, puis les cocotiers
de Mopélia qui émergent de l'horizon, et nous voilà devant
la passe à midi. C'est un passage réputé difficile: la
houle remplit le lagon par le sud, et toute cette eau doit ressortir par un
étroit chenal, qu'elle dévale comme un torrent de montagne créant
un très fort courant sortant. On hésite devant l'entrée,
on observe les remous, la couleur des fonds, les vagues qui brisent sur la droite
de la passe. Quelques centaines de mètres plus loin, les eaux paisibles
et lumineuses du lagon nous appellent. Mais pas question de risquer le naufrage
sur les récifs! J'y vais, j'y vais pas ... allez on y va!
Les 2 moteurs à fond, on n'entend même pas
leur rugissement, couvert par le bruit de l'eau qui dévale sous
les coques. Pascale est devant, Romain est sur la bôme, pour mieux
voir les fonds, Bastien m'annonce en hurlant la vitesse de progression
sur le fond indiquée par le GPS à l'intérieur, on
a l'impression de faire du sur-place mais on réussit à grappiller
quelques longueurs, puis on atteint la vitesse de 4 noeuds, il doit y
avoir 4 à 5 noeuds de courant contraire. Heureusement, la passe est rectiligne, franche, et le flot coule bien droit, il est donc assez facile de rester dans l'axe. On commence à se détendre quand la passe s'évase et que le courant diminue. On est passé! mais il n'y a pas que les moteurs qui ont fait de l'huile... |
La passe Taihaaru Vahine, dure pour les nerfs ... |
"C'était fort aujourd'hui hein? Je croyais pas
que vous passeriez" nous a dit Kalami le soir. Il habite ici avec Sophie
sa femme, Kalami junior, leur fils, et Tetuanui, leur petit-fils de sept ans.
Ils sont très contents de nous voir, apprécient les vivres, le
tabac et le courrier. Le lendemain, Kalami nous apporte quatre langoustes en
nous invitant pour le soir à manger chez eux sur la plage: "On a
tué un cochon, on va manger tous ensemble avec les autres bateaux",
il y a effectivement cinq autres bateaux, allemands et anglais, grosse affluence
pour un endroit aussi reculé et difficile d'accès!
Sophie et Kalami chez eux à Mopélia |
Nous occupons les jours suivants à découvrir les motus,
observer les oiseaux très nombreux ici, admirer le paysage qui
nous rappelle les Tuamotu. Chaque après-midi, nous rendons visite
à Kalami et Sophie et discutons de leur vie ici, de leurs projets.
Kalami est né sur l'atoll voisin de Bellingshausen, où
son père était employé à récolter
le coprah. Depuis, il a passé plus de quarante ans à vivre
sur ces îlots isolés de l'ouest Polynésien. Après
dix années vécues à Tahiti ou aux Tuamotu, c'est
ici à Mopélia qu'il est revenu installer son fare
et repartir à zéro. Ils vivent principalement du coprah,
de l'élevage de cochons, et parfois de troc avec les bateaux
de passage. Une vie simple et rude, très proche de la nature. |
Mais la mondialisation n'épargne plus personne aujourd'hui: Dans la chambre de Tetuanui, Romain et Bastien n'ont pas tardé à trouver leur bonheur: une console de jeux vidéo et deux télévisions! Vision surréaliste de ces enfants agités de soubresauts sur les manettes d'une console de jeu, les yeux rivés sur des soldats qui s'entretuent, dans une cabane de palmes tressées et de tôle ondulée, ouverte aux quatre vents. Emmenez-les au bout du monde!
Le fare de Kalami et Sophie |
Les enfants ont trouvé leur bonheur! |
Les jeux vidéo sont sans doute moins dangereux que le
foot: en chahutant avec le ballon, Romain nous fait une belle frayeur en se
tailladant le visage sur la tôle acérée du toit du fare
de nos hôtes, trois balafres sanguinolentes lui zèbrent le visage
en diagonale! Retour au bateau pour les soins, la baignade et le soleil seront
interdits pour le reste du séjour, en espérant que la cicatrisation
ne laissera pas de traces.
Tant pis pour Romain, je vais à la chasse avec Kalami et Kalami junior,
près du récif et de la passe. Les requins ne tardent pas à
nous rejoindre, dès les premiers tirs de fusil harpon. Ils sont rapidement
une douzaine, des pointe-noire et des pointe-blanche, qui nous encerclent et
nous regardent de leurs petits yeux. Malgré mon habitude de les côtoyer,
je reste sur mes gardes, et passe plus de temps à les surveiller qu'à
chercher une proie. Pourtant, je sais que ces requins ne s'intéressent
pas à l'homme, il ne veulent que le poisson. Un peu plus loin, Kalami
chasse tranquillement, sans se soucier de cette compagnie. Son calme me rassure,
je fais comme lui: au moment de tirer, il faut être sûr de ne pas
rater sa cible, et sortir le poisson de l'eau immédiatement avant que
les voraces ne se jettent dessus, puis rejoindre la barque où Kalami
junior le récupère et le nettoie immédiatement. On rentrera
avec de quoi nourrir tout le monde.
On chasse aussi le crabe de cocotier, le fameux kaveu, que l'on avait déjà goûté à Apataki, et que l'on aimerait bien déguster encore une fois. Avec Romain et Bastien, nous passons une partie d'un après-midi à disposer des pièges dans une cocoteraie, et à repérer notre chemin pour revenir à la nuit tombée. Dans l'obscurité totale, vers 21h, c'est l'expédition nocturne: on débarque et on s'enfonce sous les arbres jusqu'à la zone des pièges: comme on s'y attendait un peu, ils sont tous vides, on rentre bredouilles!
Celui-là est trop petit, il attendra un peu avant de passer à la casserole |
Heureusement, Kalami nous emmène le lendemain à un endroit
secret où il relâche depuis longtemps tous les kaveus
qu'ils attrape en nettoyant la cocoteraie. Pas besoin de pièges
pour leurs yeux expérimentés: ils repèrent une
trace de sable fraîchement remué près d'une vieille
racine ou d'une grosse pierre, et ils creusent avec une pelle. Le crabe
est bien là, enfoui sous plusieurs dizaines de centimètres
de sable. Ils trouveront ainsi trois spécimens, dont deux femelles
qu'ils laissent pour assurer la reproduction
de l'espèce. Gentiment, Kalami nous offre le mâle, qui
fera notre régal au déjeuner.
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Pendant que l'on chasse, Pascale s'occupe des bananes: nos
six régimes mûrissent en même temps, nous avons partagé
avec Sophie, mais il en reste encore beaucoup trop pour les manger si vite.
Pas question de gaspiller, Pascale les transforme en poe, confitures (avec citron
et gingembre), bananes séchées, et divers desserts, on fera même
de la bière de banane, très réussie grâce à
la recette du bateau Zingaya.
Mopélia est aussi un refuge pour les oiseaux marins. Nous explorons plusieurs
motus, sur lesquels nichent des colonies de fous de différentes sortes,
de frégates, de paille-en queue, de sternes royales ... Suivant les espèces,
les nids sont soit dans les arbres, soit sur le sol cachés sous des arbustes,
ou même sur le sable à découvert. Il faut faire attention
de ne pas écraser les oeufs en marchant, et approcher en silence pour
ne pas perturber la nidification. Nous observons les nouvelles générations,
à tous les stades: l'oeuf couvé, le petit poulet déplumé
qui vient de sortir de la coquille, le duveteux avec ses moignons d'ailes, et
le jeune prêt à prendre son envol. Il n'y a aucun prédateur
ici, à part les oiseaux entre eux, surtout les frégates qui sont
toujours prêtes à se nourrir au dépens d'autrui.
Un paille-en-queue couve en cachette |
Le fou masqué couve à découvert sur le sable |
Jeunes fous en duvet |
Les frégates mâles et leur jabot rouge |
Huit jours ont passés, trop vite. Il est temps de dire
au revoir à Kalami et Sophie, les vents d'est s'établissent et
n'attendront peut-être pas longtemps, il faut en profiter. Il reste 1200
milles jusqu'aux Tonga, et la route passe à proximité de plusieurs
escales possible aux îles Cook, à Niue, on verra ce que la météo
nous permettra de faire...
Le 4 juin, nous mettons en route par une belle
et lumineuse journée en fin de matinée, il nous reste à
franchir la passe vers la sortie du lagon. C'est beaucoup plus facile qu'à
l'aller, le courant est avec nous et nous emporte tout droit à près
de 10 noeuds, puis nous rend au grand océan.
Vent arrière, gennaker et solent en ciseaux, en route vers de nouvelles
aventures!
A suivre ...