Imagine au Panama - Les San Blas

A la découverte de la civilisation kuna! par Pascale


Du 4 décembre au 16 janvier 2007

Nous mettons 24 heures, de navigation peu agréable, pour arriver au mouillage de Pinos, première escale aux San Blas. En effet, quelques heures après notre départ, le vent s'établit puis forcit rapidement à 25-30 noeuds, la mer devient forte avec des creux de 3 à 4 mètres, heureusement au portant! Mais après 5 semaines passées au port de Cartagène, on n'est plus amarinés et l'équipage n'est pas au mieux de sa forme... Le soir il nous faut ralentir pour ne pas arriver de nuit, et même à sec de toile on avance encore à 5 noeuds! On renvoie le solent vers 1 heure du matin, car le vent faiblit brusquement mais la mer reste agitée jusqu'à notre arrivée en fin de matinée.

De Isla Pinos à Snug Harbour du 5 au 20 décembre 2006

Après la vie animée et citadine de Cartagène, nous voici maintenant dans l'archipel des San Blas, à quelques encablures du canal de Panama. Changement de décor et changement de vie: la comarca de San Blas, est un territoire situé le long de la côte atlantique du Panama; composé d'une bande de terre d'à peine 10 kilomètres de large entre la cordillère des San Blas et la mer, s'étendant sur quelques 300 kilomètres à partir de la frontière colombienne; il est bordé d'un archipel d'environ 360 îles ou îlots dont une soixantaine seulement sont habités. C'est là, que vivent la plupart des Indiens kunas (on dit kouna car le "u" se prononce "ou"), sur ce territoire aujourd'hui rebaptisé Kuna Yala, le pays des Kunas, depuis plus d'un siècle. Longtemps, cet isolement, cet éloignement des terres, fut leur meilleure défense contre les intrus. Aujourd'hui, environ 50 000 Kunas vivent dans les îles, une part importante de la population a émigré dans la capitale Panama City et seulement 2000 sont restés au coeur de la jungle dans la province du Darién

Mais commençons par un peu d'histoire...

Les premiers vestiges des Indiens kunas (poteries, statuettes, bijoux) ont été retrouvés dans le Darién et datent de 500 avant JC. En 1492, les Espagnols découvrent le Panama. Après des siècles de troubles, les Espagnols signent un traité de paix, abandonnant la cordillère aux Kunas en 1787; puis Panama, province colombienne, déclare elle aussi son indépendance vis-à-vis de l’Espagne en 1821.
A partir de cette période, les indiens kunas commencent à s’établir sur la zone côtière des caraïbes aux pieds de la cordillère et prennent le contrôle des quelques 360 îlots inhabités jusqu’alors.
En 1903, Panama prend son indépendance vis-à-vis de la Colombie tandis que les indiens kunas lui restent fidèles, et c'est le début d'un interminable conflit où les Kunas connurent une longue série de vexations, notamment à partir de 1915 avec la nomination d'un gouverneur du territoire qui impose une réglementation trop sévère pour la pêche et la culture, interdit le port du costume traditionnel et oblige la scolarité des enfants en langue espagnole. Mais c'est en 1923 lorsque des fonctionnaires et policiers, envoyés dans les îles pour administrer le territoire, se permettent les pires exactions (viols, assassinats, répression) que naît véritablement une résistance organisée des indiens kunas.
Février 1925, les Kunas proclament la république de Tule: ils tuent les policiers et leurs enfants bâtards. Panama City s’apprête à envoyer ses troupes mais les Kunas demandent une médiation des Américains présents via le navire US Cleveland qui sillonnait les eaux voisines. Le navire intercepte les troupes panaméennes et oblige les 2 parties à la négociation. Finalement, les Kunas renoncent à leur déclaration d'indépendance et Panama reconnaît une large autonomie aux Amérindiens. Ce n'est qu'en 1930 que le parlement entérine officiellement l'accord et en 1953 que Panama donne l’autonomie sous forme de “comarca” (territoire) aux indiens kunas, de manière constitutionnelle. Depuis 1972, Les indiens kunas sont représentés par trois députés à l’assemblée nationale panaméenne.

Aujourd'hui, les Kunas ont donc un statut d'autonomie au sein de la République du Panama et gèrent leur territoire selon leurs traditions et leurs coutumes. La pêche, la récolte de noix de coco et la confection de molas sont toujours les principales activités des Kunas. Ils vivent dans des huttes de bois au toit de palmes, serrées les unes contre les autres, entre d'un côté l'océan et de l'autre le lagon turquoise qui les sépare du continent, qu'ils appellent El Monte ou La Tierra Firme, où ils cultivent de petites parcelles de terre (fruits, légumes, racines, noix de coco) pour leurs besoins alimentaires. Le tourisme en expansion constante quoique très contrôlé (pas de chaîne d'hôtels), ainsi que la vente des molas, l'artisanat traditionnel local, sont également devenus une source importante de revenus.

Après tout ce qu'on avait lu ou entendu sur cette civilisation, on était évidemment impatients de découvrir ce peuple kuna qui a su préserver tout au long des siècles une culture unique.

Découverte de la communauté kuna de Pinos

Une des premières îles des San Blas en venant de la frontière colombienne est Pinos. Un peu à l'écart de la route habituelle des voiliers naviguant vers le Pacifique, ce secteur est encore authentique, préservé, tranquille, et l'île de Pinos est un peu différente des autres avec son sommet qui culmine à 200m, autant de raisons pour lesquelles nous avons décidé de nous y arrêter. Pinos appelée Tupbak en langage kuna, l'île de la baleine à cause de sa forme de baleine échouée, compte environ 250 habitants.

Un seul voilier au mouillage à notre arrivée. Après un déjeuner rapide, nous sombrons rapidement dans une sieste réparatrice après notre nuit sans sommeil. Pendant ce temps, un homme rejoint Imagine depuis le village en pagayant dans son ulu, la pirogue traditionnelle kuna creusée dans un tronc d'arbre (aussi appelée cayuco en espagnol). Il nous aborde, les enfants sortent, il leur demande une taxe de 6 dollars pour le mouillage. Romain n'ose pas nous réveiller et lui demande de revenir plus tard. Dans chaque village, une personne parlant espagnol est chargé du contact avec les étrangers. A Pinos, c'est cet homme, Horacio, qui sera notre interlocuteur. Après la sieste, nous partons donc à sa recherche dans le village, les enfants le reconnaissent et nous nous présentons. Nous payons 6 dollars contre un reçu en bonne et due forme, il nous explique les us et coutumes à respecter, et nous présente au chef du village, le sahila. Il nous reçoit dans le congreso, la maison du congrès (une grande case meublée de bancs pour les habitants et de hamacs réservés aux sahilas), où chaque soir après le repas, les habitants sont invités pour débattre des problèmes du jour et parler des affaires du village. Seuls sont exemptés les malades et les femmes enceintes.
Le sahila est un homme d'un certain âge, édenté, aux traits émaciés, habillé sobrement d'une chemise blanche, d'un pantalon noir, et coiffé d'un chapeau noir. Il est allongé dans un hamac quand nous entrons, et son accueil n'est pas particulièrement chaleureux. La conversation est brève, et le protocole impose apparemment qu'il nous parle en langue kuna. Horacio nous sert d'interprète. L'interdiction de pêcher nous est notifiée, activité réservée aux seuls habitants de l'île, dommage! Une fois l'entretien terminé, Horacio nous raconte que les sahilas sont élus par les villageois. On les choisit pour leur connaissance de la tradition, des incantations et des chants rituels, car ici le savoir est uniquement transmis de façon orale. Dans les gros villages, il y en a souvent plusieurs chacun avec un rôle précis.
Horacio nous fait ensuite visiter le village, nous lui posons plein de questions. C'est parfois difficile de comprendre ses réponses en espagnol, mais nous sommes dans un univers tellement différent de ce que nous connaissons que nous sommes vraiment fascinés par ce que nous découvrons.


Des cases au bord de l'eau

La maison du petit cochon

Les rues du village sont en terre battue, les maisons en palissade de bois avec un toit en feuilles de palmiers entourées d'un jardinet recouvert de chiendent très ras, comme une moquette. L'habitation est séparée en plusieurs cases, la cuisine où le foyer se trouve à même le sol, l'habitation principale qui sert de dortoir familial avec pour seul ameublement des hamacs et quelques chaises de jardins en plastique, et les vêtements sont pendus au plafond. Le hamac est l'élément central, on y travaille, on y allaite, on s'y balance, on y dort, ... La douche et les toilettes sont situées à l’écart et donnent généralement directement sur la mer. Les villageois engraissent des cochons qu'ils protègent des crocodiles en leur construisant une case spéciale sur pilotis, à côté de leur habitation.


Cuisine typique kuna

Chambre à coucher commune

Les Kunas vivent au rythme du soleil, la journée démarre dans l'obscurité avant l'aube, vers 4h du matin, pour être prêts à partir travailler la terre sur le continent dès les premières lueurs du jour, après un copieux petit déjeuner à base de riz, galettes de pain et autres mets consistants. Le déjeuner est souvent composé de bananes plantains, ignames ou riz au lait de coco, accompagné de poisson, poulpe ou crustacés selon la pêche, et le soir quand la nuit tombe une soupe ou une collation plus légère à base d'avoine avec du lait (mais ce n'est pas une règle et la composition et la répartition des repas dans une journée varie complètement selon les ressources, les familles et les îles). Le village s'endort rapidement après le congreso, vers 19h, sauf quand une séance de cinéma est organisée. Car ici à Pinos, il y a une télévision et un magnétoscope dans la maison commune, mais il faut pour les utiliser démarrer le groupe électrogène réservé aux veillées communautaires. Nous serons d'ailleurs mis à contribution en fournissant quelques litres d'essence un jour de pénurie. Sinon, le soir, chacun s'éclaire avec une lampe à pétrole rudimentaire ou reste dans l'obscurité. Vu du mouillage, la nuit on ne distingue aucune lumière sur l'île.

Le lendemain après-midi, nous retournons au village car Romain et Bastien ont rendez-vous avec les enfants kunas pour jouer au football, avec l'accord d'Horacio bien entendu. Nous rencontrons Marco, qui a bien connu nos amis Guy et Maryline lors de leurs différents séjours en voilier. Nous voulons également acheter une mola, une pièce d'étoffe constituée d'un grand nombre de tissus de différentes couleurs, superposés en plusieurs épaisseurs (jusqu'à 4 ou 5), et cousus aux points de surjet quasi invisibles pour former des motifs variés, comme des animaux, des personnages, des dessins géométriques ou encore représentant une scène de la vie.


Femmes kunas en tenue traditionnelle

                                   Une femme nous présente une mola

La vente des molas à Pinos se déroule selon des règles communautaires qui nous mettent mal à l'aise. Dans un souci d'équité, Horacio parcourt le village en criant "molas" et toutes les femmes du village arrivent et viennent étaler les molas à même le sol sur la place du village, comme un jour de marché, mais rien que pour nous! Il y en a des dizaines, tous magnifiques, on les admire, et pour finir ... on n'en choisit qu'un! L'heureuse élue nous accorde une photo, les autres femmes ne se formalisent pas, elles remballent tranquillement leurs molas et retournent chez elles en riant.
Celui que nous avons acheté est très figuratif, il a demandé presque un mois de travail et coûte 20 dollars. Au-delà de l'esthétique, cet art traditionnel amérindien vieux de plus d'un siècle perpétue un savoir, une identité culturelle de génération en génération. Dans leur costume traditionnel (qu'elles portent ici au quotidien), en plus des molas cousues sur un corsage coloré, les femmes sont vêtues d'une jupe faite d'un morceau d'étoffe roulé autour de leurs hanches, d'un châle rouge et or sur les cheveux qu'elle portent courts depuis leur puberté, de colliers de fines perles formant des dessins géométriques qui entourent leurs chevilles et leurs poignets, un anneau d'or, un trait noir le long du nez, destiné à éloigner les mauvais esprits et parfois un fard rouge aux joues, tiré d'une plante, le nizar, qui sert de protection solaire. Les hommes (à part les chefs qui portent le chapeau) ne portent plus d’habits traditionnels.

Pendant que Romain et Bastien jouent au foot, les filles m'invitent à une partie de volley-ball, elles s'entraînent pour un tournoi qui doit avoir lieu dans l'année avec les villages alentours, une manière de favoriser les relations et les rencontres entre jeunes de différentes îles. Puis Horacio nous invite à revenir demain matin, car c'est le jour de la fête des mères. Ils tuent le cochon et des activités diverses sont prévues toute la journée. De retour au bateau, je fais deux gâteaux pour offrir le lendemain.

Le 8 décembre, jour de la fête des mères, Horacio nous accueille et nous offre leur repas de fête dans la salle commune, une assiette de riz au lait de coco, lentilles et porc en sauce avec des légumes et des vermicelles, le tout accompagné d'un bol de "tang" (le jus d'orange en poudre!) fait dans un énorme tonneau avec l'eau de pluie récupérée de la montagne, chaque jour en période pluvieuse. Et moi qui ai emmené une bouteille d'eau pour ne pas boire d'eau locale, (nos organismes sont habitués à l'eau du dessalinisateur, pure...), mais impossible de refuser, c'est offert de si bon coeur, ce serait leur faire un affront, alors on verra bien! Romain et Bastien seront servis plus tard en même temps que les enfants du village, après leur partie de foot. Ils ont vite été adoptés et ils se débrouillent bien en espagnol, même si l'on sert quelquefois de traducteurs! Romain est au moins aussi grand que les adultes, on lui demande souvent son âge, il est vrai que les Kunas sont de petite taille. Romain a été surnommé Roman...tico par les enfants, quant à Bastien ils prononcent Bastian ce qui les fait beaucoup rire! Et quel fou rire lorsque Bastien et Romain ont mis du nizar sur le visage en guise de crème solaire! D'ailleurs c'est quelque chose que je remarquerai également dans les différents villages des San Blas, les enfants rient beaucoup et pas seulement en nous voyant! Nous faisons ensuite connaissance des parents de Marco, Rudelinda et Marceliano, instituteur à la retraite, ils nous montrent des photos et nous ouvrent des noix de coco à boire, puis nous allons ensemble voir les jeux organisés pour mettre à l'honneur les femmes en ce jour de fête des mères: match de volley ball, course de cayucos féminine, concours de rapidité d'enfilage d'aiguille.


Bastien, Romain et leurs copains de Pinos

Course féminine de cayuco pour la fête des Mères

Un peu plus tard, nous assistons au spectacle des enfants élaboré par l'institutrice, avec tout d'abord un discours du sahila en kuna, que personne n'écoute, on ne comprend rien mais visiblement soit les gens connaissent le discours par coeur soit c'est très rébarbatif car ils continuent pour la plupart à parler entre eux, certains dormant carrément sur leur chaise. Puis, on nous offre une part de cake et des bonbons pendant que les enfants du village défilent sur l'estrade pour réciter un poème ou chanter en groupe dans une cacophonie difficilement gérée par l'institutrice qui a du mal à faire écouter et applaudir les parents. Il y a régulièrement des intermèdes pour une loterie dont l'énoncé d'un lot nous surprend: "Dos dulces de Pascuala" (les deux gâteaux de Pascale), et la gagnante viendra gentiment nous remercier. Pourvu qu'elle les aime! Un peu plus tard, une jeune fille vient m'offrir un morceau de pain et une boisson tiède douceâtre à base d'avoine comme à toutes les mères présentes. Déjà plus d'une heure que la cérémonie a commencé, ça traîne en longueur, c'est très ennuyeux et pas très vivant, car l'institutrice lit les poèmes de chaque enfant de l'école en espagnol puis les traduit en kuna, puisque la plupart des adultes ne parle que kuna! Romain et Bastien s'impatientent sérieusement sur leur chaise, et c'est finalement une averse qui nous permet de nous éclipser discrètement au bateau avec l'accord d'Horacio que nous remercions pour cette journée passée avec eux.

Il pleut pratiquement toute la nuit, Pascal surveille l'orage qui gronde, range les instruments, GPS portable, Iridium, dans le four censé servir de cage de Faraday mais l'orage reste sur le continent, heureusement car ici ils peuvent être très foudroyants! Dans l'après-midi, nous avons la visite de Rudelinda et Marceliano avec deux de leurs petits enfants, des copains de Romain et Bastien. Ils nous racontent la vie dans leur village et leurs traditions. Ils sont également venus nous demander un service. Marceliano, doit se rendre deux jours à Mulatupu, un village proche (2 heures de navigation à la voile), pour recevoir le diplôme de fin de troisième à la place de son petit-fils qui s'est cassé la jambe et est actuellement soigné à Panama City. Malheureusement le cayuco du village avec lequel il devait s'y rendre a un problème moteur, et il nous demande si nous pouvons l'emmener sur Imagine dans deux jours avec sa femme et deux petits enfants. Nous acceptons volontiers, nous leur rendrons ce service et par la même occasion découvrirons un village plus important où peu de voiliers font escale. Marceliano voudrait qu'on fasse des photos pour montrer le déroulement de la cérémonie à son petit-fils. Je vais enfin pouvoir photographier sans enfreindre la loi! Car ici c'est un peu tabou (ou commercial?): les Kunas surtout les femmes demandent souvent 1 dollar pour accepter, sauf si l'on vient de leur acheter une mola. Nous ferons donc avec joie les reporters, et je lui graverai même un CD avec les photos numériques, la technologie moderne a aussi ses avantages si on ne se laisse pas trop envahir!

Rendez-vous au village de Mulatupu

Nous levons l'ancre à 14h avec nos invités Rudelinda, Marceliano et deux de leurs petits enfants Johan et Darwin, déjà bien copains avec Romain et Bastien. Pascal n'est pas au mieux de sa forme, il a été malade toute la nuit, gastro et nausées, peut-être l'eau bue à Pinos le jour de la fête des mères ?!, en tout cas le reste de l'équipage tient le coup. Pendant le court trajet nous séparant de Mulatupu, Rude m'initie à l'art des molas et m'en explique l'origine. Ils nous offrent des ignames et des bananes "quatro filo" qu'ils cultivent al monte, c'est à dire sur le continent. Puis Johan souffle les bougies de son neuvième anniversaire, sur un gâteau au chocolat que j'avais préparé. Les Kunas sont très gourmands, ils aiment les gâteaux, je n'en aurai jamais autant fait que ces jours-ci. Encore hier, Horacio, notre guide à Pinos, m'a demandé comme un service de lui en faire un au chocolat pour sa famille "comme celui de la fête des mères". C'est vrai qu'il n'y a pas de four dans la cuisine traditionnelle kuna, il y a seulement un foyer à même le sol, entretenu en permanence avec du bois qui se consume très lentement et de la bourre de coco séchée ajoutée lors de la préparation des repas pour ranimer le feu sous la marmite. Depuis peu, certains sont équipés de gazinières, notamment le boulanger du village, mais c'est encore rare.

A peine avons-nous jeté l'ancre devant le village de Mulatupu que des dizaines d'enfants de tous âges viennent nous voir en ulu. Si une cinquantaine de voiliers s'arrête chaque année à Pinos, ils n'en voient ici qu'une douzaine par an, et nous sommes donc considérés comme une curiosité, ils nous demandent nos prénoms, nous questionnent, toujours gentiment et en riant.


Enfant kuna dans son cayuco

Jeux d'enfants à Mulatupu

Après une nuit de repos salutaire, nous débarquons vers 10h dans le village, où Marceliano nous attend pour nous présenter au sahila, protocole oblige, et nous faire visiter le village jusqu'à l'école où se déroule la remise des diplômes appelée "la graduacion". Mulatupu est un gros village qui comprend 2000 adultes sans compter les enfants plus nombreux encore. Les maisons s'agglutinent autour d'un labyrinthe de ruelles étroites et empiètent sur le lagon, faute de place. Les seuls bâtiments "en dur" sont l'hôpital et l'école. Plus de 500 élèves d'ici et des villages alentours, dont Pinos, étudient au collège un peu excentré, puis ceux qui continuent leurs études au lycée partent à Panama City. A chaque fois des membres de la famille les prennent en charge tout au long de leur cursus. Rudelinda nous explique que la société kuna est essentiellement matriarcale et la grand-mère est le centre de la famille. C'est l'homme qui vient habiter au sein de la famille de sa femme, avec l'autorisation du chef de l'île. La séparation dans un couple est autorisée, et la coutume dit ceci: "La femme n'a qu'à mettre les affaires personnelles de son mari devant la hutte pour lui signifier son départ. La femme peut se remarier sans difficultés, tandis que l'homme doit attendre l'accord ou le remariage de son ex-épouse pour en faire autant", ils ne sont ni rétrogrades ni machistes pour deux sous! Et en plus ils ont de l'humour !!!
La naissance d'une fille contrairement à d'autres civilisations est l'objet de grandes festivités, car c'est elle qui assurera la lignée. Le mariage peut avoir lieu des l’âge de 14 ans c'est-à-dire après la puberté de la fille qui fait d’ailleurs l’objet d’une fête hors du commun pour célébrer la nouvelle femme: 4 jours de réjouissances, un rituel autour de la jeune fille (coupe court des cheveux qu'elle gardera jusqu'à la fin de ses jours, port de l'habit traditionnel, attribution d’un prénom définitif, ports de bijoux en or, etc.) et des beuveries où femmes et hommes boivent jusqu'à rouler par terre la chicha, alcool de canne à sucre pressée et fermentée quelques jours. Les femmes avaient en moyenne entre 6 et 12 enfants, mais ce nombre a tendance à diminuer fortement depuis la dernière génération. Il est courant que les grands-parents élèvent leurs petits-enfants dans les îles jusqu'à la fin de leur scolarité au collège pendant que leurs parents travaillent à Panama City ou sont séparés. C'est le cas pour Darwin, Johan et deux autres petits-enfants que Rudelinda et Marceliano élèvent à Pinos. C'est surtout pour éviter que les petits traînent et soient livrés à eux-même en ville nous confie Marceliano, la vie ici est plus saine et on leur apprend la valeur du travail et la culture kuna. Dans ces grandes fratries, c'est la petite dernière qui reste habiter avec ses parents et prend soin d'eux lorsqu'ils vieillissent. Et si c'est un garçon, il est élevé comme une fille pour tenir le rôle qui lui revient. D'ailleurs certains hommes se sentant plus femmes qu’hommes peuvent laisser leur penchant s’exprimer et vivre avec les femmes du village, ce sont souvent les meilleurs artisans de molas. C'est le cas de Lisa à Rio Sidra que nous rencontrerons un peu plus tard et qui est connu(e) pour ses molas, au-delà des frontières.

L'année scolaire s'étale de mars à décembre, ce sont donc déjà les grandes vacances et il y a des enfants partout qui nous accompagnent tout au long de la visite du village. Ils sont ravis dès qu'on leur parle les quelques mots de kuna que l'on connaît (nuedi: bonjour, deguimalo: au revoir ou panemalo: à demain) et rient beaucoup. C'est un contraste étonnant de vie aux rituels ancestraux où la civilisation moderne s'immisce peu à peu dans leur quotidien, avec les cabines téléphoniques et téléphones mobiles, les pistes d'atterrissage permettant de rejoindre Panama City en une heure,... avec ses conséquences bonnes (accès aux soins, à l'éducation, ...) ou mauvaises (tous les excès de la société de consommation, les sodas, chips et autres cochonneries, la télé diffusant des feuilletons débiles du matin au soir, ... et j'en passe) !!!
A midi, on rentre déjeuner au bateau et c'est encore un va-et-vient incessant d'enfants venant tourner autour du bateau, simplement pour nous parler, nous questionner, aussi curieux que nous pouvons l'être, sur nos différences de culture et de mode de vie. Puis nous repartons au village mais la cérémonie prévue à 15h tarde à commencer, tout le monde patiente calmement. Finalement, à 16h alors que l'orage menace, les lauréats se mettent en place en uniforme traditionnel de l'école et avancent solennellement à pas lents et cadencés. La cérémonie est longue (plus de deux heures) et visiblement ennuyeuse pour le public. Seuls les élèves et leurs professeurs semblent très émus, et ce n'est pas la musique de fond lors de la remise effective des diplômes qui ranime l'ambiance: aucun doute possible, c'est Richard Clayderman et son piano, mais oui vous avez bien lu, nous aussi ça nous a paru tellement incongru, insolite dans ce contexte, que j'ai failli éclater de rire,... sont-ils réellement fans ou est-ce encore un phénomène de mondialisation à rajouter sur la liste ???!!



Remise des diplômes de fin de troisième.
Émotion, concentration et ennui se succèdent
pendant la cérémonie qui dure plus de 2 heures

Le lendemain, nous levons l'ancre sous les adieux joyeux des enfants et retournons avec nos invités et quatre passagers supplémentaires au mouillage de Pinos. Nous allons encore rester une petite semaine ici, le temps s'écoule trop rapidement, au rythme des balades, visites à Rude et Marceliano, et bien évidemment du CNED. Nous serons quasiment seuls pendant notre séjour, avec une lancha colombienne traversant l’archipel pour vendre des produits manufacturés de Colombie et acheter les noix de coco kunas, réputées dans toutes les Caraïbes. C'est d'ailleurs le seul moyen d'approvisionnement régulier dans cette partie des San Blas. La coopérative kuna du village achète les marchandises en échange de noix de coco au prix négocié par les sahilas de la région (ici le cours actuel est de 9 noix de coco pour 1 dollar).

Après avoir donné quelques cadeaux à nos hôtes et reçu nous-même des bananes, noix de coco et une bouture d'aloe vera de la part de Rudelinda pour nous porter chance dans la suite du voyage, nous partons à regrets après ces 15 jours vraiment hors du commun.

Escale rapide au village de Mamitupu

Notre prochaine étape, Mamitupu, se trouve à 3 heures de navigation, nous sommes seuls au mouillage, le troisième voilier de la saison, sur le peu qui font une halte ici. C'est un village de 1200 habitants où vivent environ 130 familles. Pablo, nous accueille au ponton d'une pension de famille de 3 huttes qu'il tient depuis quelques années. Après les présentations, il nous emmène saluer les sahilas du village (ils sont 6), dans le congreso où ils sont en réunion allongés dans les hamacs qui leurs sont réservés, fumant du tabac roulé. Nous patientons sagement assis sur un banc pendant que Pablo traduit nos salutations et nous transmet le message de bienvenue du sahila principal qui ne parle pas espagnol. Puis maintenant que nous en avons l'autorisation officielle, Pablo nous fait visiter son village et nous emmène dans la maison de sa Maman pour nous présenter sa famille. Il y a là son neveu de 11 ans albinos et nyctalope, et sa nièce de 14 ans, en âge de se marier. Et Romain aussi non? nous dit-il en riant!!! Lui-même a été marié à une étrangère et a vécu 7 ans en Angleterre, avant de revenir au pays épouser une femme kuna. Mais les mariages interraciaux sont très rares chez les Kunas, mal acceptés et ont même été longtemps interdits. C'est entre autres raisons, et du fait de l'éloignement et de l'isolement des villages que de nombreux enfants naissent albinos à cause de la consanguinité. Nous en verrons dans chaque village visité, très handicapés par la lumière. Bastien va offrir une de ses paires de lunettes de soleil au neveu albinos de Pablo et nous donnerons également du lait en poudre pour un bébé de sa famille, handicapé et malade.

Pablo nous raconte l'histoire de son village installé sur cette île il y a 80 ans à peine; avant, les familles habitaient près du rio sur la tierra firme, mais la vie était plus risquée dans la forêt vierge à cause des maladies notamment apportées par les moustiques, des animaux sauvages, des inondations du rio, etc... Depuis, ils font tous les jours le trajet en cayuco pour aller cultiver leurs terres sur le continent à quelques encablures de l'île. Pablo nous raconte les problèmes de la nouvelle génération, avec toujours 10 enfants par famille, dont la plupart ne veulent plus continuer à travailler dans les champs après leurs études. Le pouvoir du sahila sur les jeunes s'effrite, ils écoutent les vieux sages mais n'en font souvent qu'à leur tête. Le village est pauvre et l'île déjà surpeuplée ne suffira bientôt plus si la démographie continue à croître si fortement. Les ressources de la mer s'épuisent rapidement. De plus en plus d'indiens kunas vivotent dans la capitale panaméenne Panama City, découvrant le chomage et la misère. Pablo est inquiet, comment vont-ils résoudre les problèmes, négocier ce tournant dans leur culture, et intégrer le monde moderne qui les aspire doucement mais sûrement? Et puis les îles San Blas sont directement menacées par le réchauffement de la planète: les scientifiques prédisent que dans 40 à 60 ans, une partie de l’archipel sera submergé! Les indiens kunas n'auront alors plus que le choix de retourner vivre dans la forêt vierge sur le continent ?! Nous passons des heures à discuter et notamment le soir dans son restaurant autour d'une assiette de poulet mijoté avec du riz coco et des bananes légumes accompagné d'une limonade maison. Le lendemain matin, nous partons à regrets, mais le mouillage est agité et le vent doit forcir.


L'hôtel-restaurant de Pablo à Mamitupu

Remontée du cayuco sur la plage par les femmes

 

De Nargana à Chichime du 21 décembre au 16 janvier 2007

Nous naviguons dans l'immense lagon des San Blas, et longeons sans nous arrêter Atchutupu, Ailigandi (berceau de la révolution kuna), et bien d'autres îles recouvertes de huttes, à tel point surpeuplées que toute trace du littoral semble avoir disparu. Ces îles de l'est que nous venons de quitter sont considérées comme les plus traditionalistes, moins touristiques, plus préservées. Nous filons maintenant vers notre prochaine étape, Nargana pour refaire un approvisionnement, en fruits et légumes notamment, enfin... ce que nous trouverons! A partir de là, c'est une zone plus fréquentée par les voiliers: le lagon s'élargit, la navigation est plus facile, les îles sont plus nombreuses et plus jolies, îles villages, îles cocoteraies, îlots désertiques au sable blanc, couleur turquoise. Nous devons aller rapidement faire les formalités d'entrée aux îles San Blas à Porvenir, capitale administrative, pour régulariser notre séjour sur le territoire de Panama où nous sommes maintenant depuis plus de deux semaines, puis nous pensons sillonner cette partie de l'archipel, y jouer les robinsons, voire les touristes pendant trois semaines environ avant de nous diriger vers le canal de Panama.

Nargana

A Nargana, Federico nous sert de guide dans le village de 1750 habitants, plus très authentique reconnaît-il lui-même. Le sahila a autorisé le port du vêtement moderne, moins cher (un costume traditionnel kuna pour une femme: blouse avec molas, jupe, bracelets, foulard,... coûte au moins 10 dollars, alors qu'un short et un tee-shirt reviennent à 4 dollars à Panama City).

Beaucoup de maisons sont en parpaing avec des toits en tôle, les antennes de télévision pullulent, des déchets de plastique traînent dans la rue, c'est assez sale. Federico nous explique qu'il est conscient du problème et qu'il essaye d'éduquer les gens mais c'est difficile. On ravitaille dans les deux magasins de la ville, avec le peu qu'on y trouve: oranges, concombres, un ananas, oignons et oeufs. Une famille en cayuco viendra nous vendre un saladier de tomates bio au bateau. On ne peut pas faire le plein d'essence pour l'annexe, plus de gazoline, la lancha colombienne qui les ravitaille devrait arriver bientôt...

Tant pis, il nous en reste encore, nous sommes impatients d'aller jouer les robinsons au mouillage devant une île déserte, sur fond de carte postale.

 

Du 21 au 28 décembre, Noël sur une île déserte

A notre arrivée au mouillage de Naguargandup cays (Salar), lieu dit "la piscine", quelle surprise de trouver deux bateaux qu'on n'avait pas revu depuis Cartagène! C'est le catamaran rouge "l'Ile aux Enfants", de notre ami polonais Kazimir avec sa fille Nell, et "Lumacotta", avec Pascale et Alexis. Puis dans l'après-midi, c'est l'arrivée de trois nouveaux bateaux francophones que l'on connaît ou dont on avait entendu parler, "Galdu", "Azzar", et "RockSafid". Et nous sommes à peine ancrés depuis une demi-heure, qu'une barque de pêcheurs vient nous proposer poulpes, crabes et langoustes, on achète deux crabes et trois langoustes pour 5 dollars, bon... les robinsons seuls au monde, à la recherche de noix de coco et de poisson pour survivre, ce sera pour une autre fois! Le soir on est bien contents de tous se retrouver sur "l'Ile aux Enfants" pour se raconter nos derniers périples autour d'un apéro.
Le lendemain, Pascale du bateau Lumacotta et moi allons nous promener seules sur la belle plage de l'île déserte où seuls quelques pélicans ont élu domicile, et nager au bord, dans la piscine naturelle à l'eau cristalline, le cadre est idyllique mais... en fait l'île est habitée... de nonos, ces petites mouches quasi invisibles aux piqûres douloureuses et provoquant des crises de démangeaisons interminables!!! Impossible de rester. La carte postale de rêve ? un mythe, ou alors de loin!!!
Quant aux hommes, ils trouvent les fonds décevants, le poisson est rare et ils rentrent souvent bredouilles de leur pêche, heureusement que les pêcheurs locaux viennent nous vendre poulpes, langoustes et crabes pour quelques dollars.

Nous décidons de passer Noël ici entre nous, tous les quatre, c'est une tradition à laquelle les enfants tiennent, et ils sont très excités et de plus en plus impatients. Nous passons un bon réveillon, puis les enfants vont se coucher heureux à l'idée qu'ils trouveront à leur réveil quelques surprises au pied de notre petit sapin installé sur la table. Présents colombiens, objets ou bijoux en noix de coco fabriqués par les enfants, nous avons tous appréciés nos cadeaux. Après le déjeuner, nous levons l'ancre pour Porvenir, à deux heures de navigation, pour faire les formalités d'entrée.

Nous ne restons qu'une nuit à Porvenir car le mouillage est rouleur. La capitale administrative des San Blas n'est qu'une petite île quasi déserte, avec un minuscule aéroport (une simple piste et un bâtiment d'accueil), un petit hôtel en bord de plage, un magasin de souvenirs pour les passagers (on y verra un motif représentant Mickey Mouse sur une mola!), et les administrations officielles (quelques baraques dans un état de délabrement avancé). Bien que les services de l'immigration soient fermés jusqu'au 2 janvier, nous obtenons sans problème, et sans bakchich malgré notre retard, notre permis de séjour et de naviguer. Formalités accomplies, nous partons pour Chichime, à 2 heures de navigation à peine, le temps est couvert mais le mouillage est bien protégé entre deux petites îles où quelques familles kunas se relaient au cours de l'année pour travailler dans la cocoteraie. Nous achetons une mola, des noix de coco et du pain cuit au feu de bois. Nous retrouvons avec plaisir "Téou", plus d'un an après notre rencontre à Lanzarote, "Lumacotta" et "My Lou". La pêche est également plus fructueuse, surtout pour Romain qui nous régale d'un crabe et d'un mérou.


Le mythe de l'île déserte...

Pêcheurs kunas dans leur ulu

 

Du 29 décembre au 5 janvier, Nouvelle année, nouvelles découvertes

Nous allons à Cayo Hollandes ouest, où nous sommes seuls au mouillage, mais le temps se dégrade et la houle est forte. C'est un bon coin de pêche, l'eau est claire, Romain et Pascal ramènent des carangues, des thazards, un pagre, pendant que Bastien et moi nous promenons sur l'île et nageons dans le lagon. Le soir, la houle a encore grossi. Elle parvient à contourner la pointe de notre abri pour venir nous pousser un peu trop près des récifs. Par sécurité Pascal dort près du GPS, alarme de mouillage activée, prêt à intervenir. Le lendemain nous partons pour l'est de Cayo Hollandes, au lieu dit 'la piscine" retrouver Lumacotta. C'est un lagon assez fermé et bien abrité, d'où l'on peut admirer tranquillement les rouleaux se fracasser sur la barrière de corail à quelques centaines de mètres devant nous. Encore un paysage de carte postale, quelques îlots ourlés de sable blanc sur lesquels ondulent les cocotiers, au milieu de la palette changeante des bleus et des verts. Il y a au moins 20 bateaux battant pavillon américain pour la grande majorité. On retrouve "Risho Maru" et on fait la connaissance d'"Aldora" un Outremer 45 sur lequel habite une famille américaine avec 3 enfants, également en voyage autour du monde.
Pascal et Romain explorent les coins de chasse, et ramènent 3 beaux et bons crabes, ainsi qu'un calamar. Mais il est impossible d'aller chasser derrière le récif à cause de la mer déchaînée, donc pas de gros poissons. Heureusement, il y a même une épicerie ici! C'est "Tienda Eddy", une lancha à moteur, qui vient une fois par semaine de Nargana ravitailler le mouillage: poulet, saucisses, patates, margarine, fruits et légumes, on réapprovisionne autant qu'on peut!
Le 31, nous fêtons le passage de la nouvelle année avec Pascale, Alexis et Alexandre, son fils en vacances pour deux semaines.

Puis nous faisons un stop à Coco Bandero, un petit groupe d'îlots déserts mais le mouillage est agité, le temps est gris, le vent souffle toujours à plus de 20 noeuds, ce qui enlève tout son charme à cet endroit paradisiaque. Le lendemain, nous allons nous réfugier derrière "Isla Verde" plus grande et plantée de cocotiers, au mouillage bien abrité par une petite barrière de corail. Il y a cinq ou six bateaux. Romain et Pascal font une pêche remarquable avec 5 thazards et 1 carangue que nous partageons le soir avec Lumacotta. Le lendemain matin, le mouillage est en effervescence car plusieurs personnes ont aperçu le célèbre et légendaire locataire des lieux, un crocodile de mer de taille respectable! Un pêcheur m'avait pourtant dit qu'on ne l'avait pas vu depuis au moins trois ans, mais il est bien là, ce n'est pas une légende! Il nage tranquillement à la surface près de l'île et plonge régulièrement pendant un bon quart d'heure... D'ailleurs, les pélicans, qui d'habitude barbotent tranquillement au bord du rivage en pêchant, ne s'y trompent pas, ils sont installés... en haut des cocotiers!
L'après-midi, Pascale de Lumacotta vient prendre le thé sur Imagine pendant qu'Alexis, Alexandre, Pascal et Romain partent pêcher avec les deux annexes sur la barrière de corail. A peine un quart d'heure plus tard, le crocodile fait surface à quelques mètres d'Imagine, il vient faire le beau avec son regard enjôleur, et son sourire ultra-brite, il se laisse photographier entre deux plongées, ça dure un moment, ça nous amuse. Puis, sans prévenir, il part tranquillement mais sûrement, dans la direction de la barrière de corail où se trouvent nos pêcheurs, jusqu'au moment où l'on n'arrive plus à le localiser. Là, le charme est rompu... et carrément inquiètes, on met en place le signal convenu avec nos hommes, au cas où: on hisse vite un pavillon dans le mât et on sonne la corne de brume à tue-tête! Ils finissent par entendre, et reviennent peu après, frustrés de cette interruption dans leur pêche sur des fonds très prometteurs. Mais pas découragés pour autant, ils repartent tout de même à l'opposé de l'île, sur un autre tombant d'où ils ramènent 3 thazards. Dernière soirée avec Lumacotta, car les vacances d'Alexandre se terminent, il repart bientôt en France et nous rend un grand service en emportant dans ses bagages une série du CNED à poster.


Le crocodile devant sa tanière

Sourire ultra-brite et regard enjôleur peu engageant...

Passage furtif de Téou, brèves retrouvailles d'Aldora, et arrivée d'Aupaluk et Ushuaia, deux familles québécoises, le mouillage d'Isla Verde s'anime, résonne des rires d'une dizaine d'enfants et adolescents, les annexes circulent d'un bateau à l'autre, parties de volley, jeux animés et bruyants sur la plage, c'en est sûrement trop pour notre crocodile qui ne montre plus le bout de son nez jusqu'à notre départ et doit se cacher dans sa tanière. Ouf!

Du 6 au 16 janvier, Nouvelles rencontres, encore des îles, et un raid dans la jungle

Aupaluk, avec Nathalie, Franck et leurs deux enfants Claire 11 ans et Yann 10 ans, et Ushuaia avec Isabelle, Charly et leurs 3 enfants Bastien et Thibaud 16 ans, et Laura 13 ans, c'est pour nous une belle histoire d'amitié qui démarre, Romain et Bastien sont ravis d'avoir chacun des copains/copines de leur âge, et s'entendent à merveille. Quant à nous, nous sommes également séduits par leur spontanéité, leur naturel et la bonne humeur qui règne à bord et qu'ils partagent volontiers notamment le soir vers 18h30 pour le debriefing quotidien, accessoirement autour d'un verre. On apprend qu'ils avaient entendu parler de nous par Téou, mais surtout qu'ils nous connaissaient depuis longtemps à travers notre site internet et que ça leur avait permis de montrer à leurs parents qu'il était possible de naviguer avec des enfants! Le monde est petit... et on apprécie cette rencontre inattendue!

Deux jours après, nous partons pour Banerdup, à 3 milles, une île déserte à l'eau limpide, avec une barrière de corail prometteuse, Aldora y a pêché deux crabes quelques jours auparavant. Effectivement, la barrière de corail est belle, et la pêche quasi miraculeuse, avec une langouste de 1,5kg pour Romain et un crabe de 1kg pour Pascal. Le mouillage est calme, on est bien et l'on décide à l'unanimité de rester une journée supplémentaire et d'attendre ainsi Aupaluk et Ushuaia restés à Isla Verde.


Le mouillage aux eaux limpide de Banerdup

On achète des crabes aux pêcheurs


Lors du debriefing quotidien, nous décidons de partir ensemble jusqu'à Rio Sidra, pour remonter un rio en cayuco et explorer un petit bout de jungle sur le continent, avec un guide kuna. Nous voilà donc repartis pour une belle navigation de quelques heures avec Aupaluk et Ushuaia, longeant les îlots déserts, et évitant les récifs affleurants qui parsèment le lagon. Mais le vent établi à plus de 20 noeuds ne nous permet pas de rester devant l'île-village de Rio Sidra, on continue jusqu'à Gaigar à quelques milles de là, un mouillage peu profond aux eaux troubles et boueuses relativement bien abrité derrière un ensemble d'îlots faits de mangrove et de cocotiers à proximité d'un autre village, Maquina, aussi appelé Mormaketupu, l'île des molas. Pendant que Pascal, Charly et Franck sont partis en annexe à Rio Sidra pour mettre au point la balade avec Lisa, la guide kuna, plusieurs cayucos nous abordent pour nous vendre du poisson, des crabes, des langoustes trop petites que nous refusons d'acheter, ou des molas, et c'est parfois difficile de dire non.

10 janvier, 8 heures du matin, Lisa et deux jeunes Kunas viennent nous chercher dans un immense cayuco très effilé pour notre expédition sur le continent. Avec Annaïg et Laurent, en vacances sur Ushuaia, nous sommes 18 au total. Le cayuco est relativement stable à condition de ne pas trop bouger, mais la mer est agitée à cause du vent fort, et même si le jeune Kuna qui conduit négocie bien les vagues, nos jeunes aventuriers installés à l'avant arrivent trempés à l'entrée du rio Mamargandi, un quart d'heure plus tard. Une fois la petite barre sablonneuse passée, nous remontons tranquillement le courant sur quelques milles, apercevant ça et là des indiens travaillant sur leurs terres, puis nous accostons lorsque la rivière devient impraticable, près d'un cimetière kuna. Le cimetière est un endroit sacré, entretenu régulièrement, où les tombes sommaires, faites de petits monticules de terre tassée, sont protégées par un petit auvent en feuilles de cocotier et sur chacune d'elle, des objets du quotidien ayant appartenu au défunt(e) sont laissés en souvenir, assiettes ou ustensiles pour les adultes et jouets pour les enfants.
Avant de vraiment commencer notre expédition dans la forêt, Lisa nous donne à chacun un bâton de marche taillé dans de longues branches très dures, pendant que les deux autres guides fabriquent des protections contre les mauvais esprits.

Les indiens kunas sont très superstitieux et pensent que ces objets, des feuilles d'arbre plantées sur une tige coupée en deux dans laquelle sont insérées 2 petits bâtons en croix, nous protègent des dangers de la montagne et sont censés nous permettre de retrouver notre chemin si l'on s'égare. Avec la graine rouge du nizar qu'elle cueille autour d'elle, Lisa nous peint des marques traditionnelles de protection sur le visage contre les maléfices de la forêt. Superstitieux ou pas, nous acceptons avec respect et sérieux, ces rites et chacun de nous prendra bien soin de son grigri.

Ainsi parée, la bande d'aventuriers suit gaiement Lisa pour une heure et demi de marche jusqu'à une cascade, but de notre balade. Le chemin est traversé en plusieurs endroits par des rivières que l'on doit franchir. La première fois, Pascal me porte dans ses bras musclés, pour que je ne mouille pas mes baskets..., puis comme il faut carrément marcher dans le lit de la rivière, l'amour a ses limites et c'est à grands coups d'éclaboussures rafraîchissantes que l'on continue notre marche jusqu'à la cascade. Le paysage est splendide et Lisa, très érudite, avec une connaissance approfondie de la nature qui nous entoure, nous raconte des tas de choses passionnantes sur les plantes et les fleurs, les animaux et les traditions kunas. Notre vocabulaire espagnol est limité mais on comprend généralement ses explications, même si malheureusement certaines subtilités nous échappent.
Nous atteignons la cascade à 11 heures, les enfants s'en donnent à coeur joie dans l'eau fraîche et font des concours de saut d'une paroi rocheuse surplombant la rivière de plus de 3 mètres. On pique-nique, on se repose à l'ombre et on observe des colonies de fourmis, des grenouilles, une belle araignée, et même un minuscule serpent que j'aperçois immobile entre deux feuilles au bord de l'eau et sur lequel Bastien a failli marcher, qui reste là impassible malgré l'agitation qui règne autour de lui. On va chercher Lisa pour en savoir un peu plus sur ce serpent, mais visiblement très effrayée, elle crie et lui jette des cailloux pour le faire fuir. Nous avons du mal à saisir ses explications agitées mais il nous semble comprendre qu'il est très dangereux malgré son air innocent !?! Pour le retour, Lisa nous propose de redescendre en suivant le lit de la rivière principale, ce qui enchante petits et grands. Il faut marcher dans la rivière sur des cailloux glissants, parfois escalader puis sauter du haut d'une retenue d'eau, ou se laisser glisser dans des toboggans naturels façonnés dans les rochers jusque dans une vasque d'eau profonde, marcher à l'aveuglette en s'enfonçant dans l'eau jusqu'à la taille ou nager pour les plus petits, enfin bref c'est l'aventure, les enfants s'éclatent, ravis de ce raid en territoire kuna, ils ne sentent pas la fatigue et arrivent bons premiers devant les adultes qui prennent le temps d'observer la nature. On admire un toucan, divers oiseaux, on entend des singes et presque arrivés à notre point de départ avant le cimetière kuna, nous observons longuement un caïman, immobile sur la rive d'un ruisseau aux eaux saumâtres, petit bras de la rivière que nous venons de quitter! Pas un cillement d'oeil, on le croirait en plastique; mais non, il finit par disparaître en quelques secondes dans les eaux troubles après nous avoir fait admirer sa superbe dentition en bâillant d'ennui ou de faim??? En tous cas, nos guides sont beaucoup moins impressionnés par ce caïman que par le minuscule serpent!


Le raid Aupaluk-Imagine-Ushuaia en territoire kuna

... sous l'oeil impassible d'un caïman

Retour au cayuco, dans lequel Lisa nous emmène chez elle à Rio Sidra, nous montre les molas qu'elle coud, un article d'elle dans une revue américaine, et nous parle de sa rencontre avec Antoine, le chanteur navigateur. Puis après une rapide visite du village, car les enfants sont épuisés, nous rentrons au bateau, fatigués mais heureux de cette journée exceptionnelle en compagnie d'Aupaluk et Ushuaia.

Après une bonne nuit de sommeil, nous levons l'ancre pour une courte halte à l'île-village de Mormaketupu. Le vent souffle toujours à plus de 20 noeuds, les enfants restent à bord, pendant que nous allons visiter le village avec Idelfonso. Puis nous allons rejoindre, au près, le mouillage de Salar bien mieux abrité. A la VHF, on apprend qu'un bateau américain qui s'était échoué sur des récifs à Mangle cays, a fini par couler malgré l'aide des navigateurs sur place pour le sortir de là, une fissure de plus d'un mètre sous la ligne de flottaison n'a pu être colmatée, triste fin de voyage!

Notre séjour aux San Blas tire à sa fin, et après 6 semaines exceptionnelles sur tous les plans, nous devons penser à continuer notre périple vers l'ouest, et pour cela nous préparer à traverser le canal de Panama pour quitter l'Atlantique et entrer dans le Pacifique! Tout un programme... qui coïncide aussi avec celui d'Aupaluk et Ushuaia à la grande joie de tout le monde. Le 12 janvier, nos trois bateaux se mettent en route vers Porvenir malgré une météo toujours peu clémente. De Salar à Porvenir, c'est un vent de travers à plus de de 25 noeuds qui nous fait surfer à 13 noeuds avec seulement deux ris dans la grand voile. Puis comme le mouillage de Porvenir est intenable par ce type de temps, dès que les formalités de sortie officielle des San Blas sont effectuées, nous retournons à Chichime au moteur face au vent et bien chahutés par une mer courte et désordonnée. Heureusement les distances entre les îles sont relativement courtes!
Pêche, jeux, snorkeling, balade sur l'île et autres activités, chacun profite au maximum de ces derniers jours aux San Blas. Nous organisons un dîner concert mémorable sur Téou venus nous faire ses adieux, et nous découvrons le talent de Bastien et Thibaud à la guitare et à l'accordéon, le top 50 québécois avec Laura et Claire à la guitare, et pour finir, les classiques français et québécois interprétés notamment par Francky et Charly, de vrais cowboys fringants! Suite à cette soirée, des vocations sont nées sur Imagine, Romain décide de jouer de la guitare (on en a une à bord depuis le départ, c'est celle de ma jeunesse!) et Bastien se découvre des talents d'imitateur, avec l'accent et le langage québécois... c'est pas si pire comme on dit là-bas!

Je prépare des repas froids en prévision de la navigation du lendemain, mais l'amélioration prévue n'est pas au rendez-vous: la mer est forte et le vent oscille entre 25 et 30 noeuds, on patiente et c'est finalement le 16 que nous quittons à regrets les San Blas en compagnie d'Aupaluk et Ushuaia, direction Colon, la porte du Pacifique!


Mormaketupu, une île-village typique des San Blas

A suivre ...

 

A voir:
Les photos de Isla Pinos à Snug Harbour
Les photos de Nargana à Chichime

A lire:
Les impressions de navigation aux San Blas d'Evelyne et Alain à bord de Iaorana, que nous avons rencontré depuis en Polynésie, avec leur perception sur la vie au Kuna Yala, leurs escales et leurs navigations pendant leur séjour aux San Blas.

Le site officiel d'information de la communauté Kuna