Le Venezuela- Los Roques

Rien que pour les yeux ...  par Pascal


Los Roques, du 6 au 24 mai

6 mai, Passe de "Sébastopol"

L'archipel de Los Roques me fait rêver depuis des années. Lors du premier voyage, nous avions du laisser le Venezuela de côté, en se disant, peut-être un jour, sur la route du Pacifique .... et voilà, nous voguons cette nuit vers le rêve, que nous atteindrons au petit matin.

Les Roques, c'est un vaste archipel d'environ 50 kilomètres sur 25, protégé sur une bonne partie par une longue barrière de corail, et parsemé d'une multitude d'îlots inhabités pour la plupart. C'est aussi une réserve naturelle dans laquelle il est interdit de chasser sous l'eau, seule la pêche à la traîne ou à la ligne est autorisée. Après les deux mois que nous venons de passer à Blanquilla et Tortuga, ça va être difficile, mais on arrive avec de bonne résolutions, ici, c'est rien que pour les yeux!


Magnifiques couleurs des Roques

Romain a tenu son quart jusqu'à 1 heure du matin. Je réveille Pascale à 3h30. A 7h, on voit l'île d'Orchilla par le travers tribord (c'est l'île du président, Hugo Chavez y a été assigné à résidence quelques temps). On franchit à 10 heures la passe dite de Sébastopol (heureusement plus déserte que le port éponyme sur la mer noire) et nous sommes sous la protection de la barrière de corail. On mouille devant l'îlot de Buchiyaco, un minuscule bout de sable mangé par la mangrove.
Les fonds jusqu'à la barrière sont inintéressants: quelques conches, du sable, des algues, peu de poissons. Pourtant des touristes sont amenés dans une barque à moteur pour une séance de "bonefishing", mais ils repartent apparemment bredouilles. Et oui, ici il y a des touristes, heureusement pas très nombreux et tous logés sur l'île principale de Gran Roque, mais ils font quelques incursions dans nos mouillages isolés.
L'après-midi, on tente en vain de trouver un passage à travers la barrière de corail pour aller plonger du côté au vent et voir du gros poisson.

7 mai, Passe de "Boca del radio"
Les fonds ne nous plaisent pas, on change de mouillage. Nous ancrons sur un tombant de sable et de corail, proche de la Boca del radio. On pose l'ancre sur un tombant de sable et de corail, la barrière est à 100m devant nous. Nous l'explorons l'après-midi avec La Casa Delmarre, ancré non loin de nous. Les fonds sont pas mal en vrac: les patates de corail sont entourées d'un désordre de cornes d'élan cassées, empilées et enchevêtrées. Pour compléter le tableau, l'épave d'un gros cargo, coupée en deux, est vautrée sur la barrière et l'on trouve ça et là des plaques de tôle rouillée, des câbles, des amarres que le corail ne s'est pas encore approprié.

Mais la faune est abondante et de taille plus importante que sur les îles où nous sommes passés. Les pagres jaunes sont nombreux et pas sauvages du tout. Savent-ils que nous n'avons pas de fusil? On aperçoit successivement deux requins: d'abord un requin citron, puis un requin gris des Caraïbes. Les deux squales mesurent entre 1m et 1m50. Il y a aussi nos amies les langoustes, mais on ne les touche pas! L' eau est très chaude, probablement supérieure à 30 degrés. Peut-être trop pour Romain qui rentre au bateau avec 39°5 de fièvre et mal à la tête. Tout le monde va au lit de bonne heure.

Heureusement, c'est plus joli en dessous !

8 mai, Soyoqui et Gran Roque
On a la bougeotte : on quitte notre mouillage pour se faufiler entre les bancs de sable et de corail vers un autre îlot minuscule, Soyoqui, couvert de mangrove. On s'amuse à couper à travers les zones non cartographiées, c'est facile quand il fait beau, on voit bien les fonds à travers l'eau cristalline. On mouille sous le vent de l'îlot vers 11 heures. Une rapide exploration des fonds et de l'îlot et le verdict tombe: c'est nul, sale, apparemment fréquenté par des pêcheurs qui y laissent leurs détritus. Mais qu'est ce que c'est que cette réserve naturelle?
Déçus, nous quittons le mouillage vers 16h30 pour Gran Roque, avec le soleil dans les yeux, donc plus question de voir les fonds à travers l'eau étincelante. Mais c'est une zone facile, et l'on arrive avant la nuit. Le mouillage est agité d'un méchant clapot soulevé par le vent et le passage des nombreux bateaux à moteur. Nous visitons le village, admirons le coucher du soleil en sirotant une caïpirinha, tout en nourrissant une horde de furieux moustiques (la plaga) avides de notre sang... Après une pizza dans un restaurant, on rentre vers minuit aux bateaux. Le mouillage n'est pas des plus tranquilles : on est réveillés à 2 heures du matin par des jeunes plus que joyeux qui essayent de passer sous notre catamaran dans leur annexe! Le temps que je me lève pour leur balancer un seau d'eau, ils abandonnent, hilares, mais vont tenter le passage sous un autre catamaran. Y'a d'la joie!


Gran Roque, une rue de sable

Maison colorée

9 mai, Gran Roque - Nordisqui, Isla Vapor
Ce matin c'est la course aux formalités d'entrée. A Gran Roque, elle est particulièrement intéressante car c'est un jeu de piste qui nous emmène aux quatre coins du village à la recherche de chacune des quatre administrations différentes qui doivent nous autoriser à séjourner dans l'archipel. Et il faut les faire dans l'ordre: les garde-côtes, les gardes du parc national, la garde nationale (la police) et enfin la "autoridad unica", qui porte bien mal son nom! On paye 315000 bolivars pour le permis de 15 jours. C'est pour contribuer à l'entretien du parc paraît-il ... Au vu des déchets aperçus dans les îles, on a des doutes sur l'utilisation de nos bolivars! Les petites supérettes ont des fruits et légumes frais ou presque. On repère aussi une boutique représentant MRW, le transporteur vénézuelien, pour envoyer la série 11 de Romain en France.
Après le déjeuner, on part pour un mouillage plus tranquille, désert à l'exception de quelques kyte-surfeurs de passage, à Nordisqui, devant l'îlot minuscule de Isla Vapor. Après une baignade autour du bateau, tout le monde rejoint la petite plage, en annexe et en kayak. Je vais en repérage plonger seul sur la barrière de corail, me faufilant entre les patates par moins d'un demi mètre de fond jusqu'à trouver un passage vers le tombant au dessus du grand bleu. Les fonds et la faune sont exceptionnels, l'eau très claire. Outre les grosses langoustes, il y a des bancs de dizaines de pagres, et beaucoup de gros spécimens de plusieurs espèces en grand nombre. Deux raies pastenagues de plus d'un mètre me frôlent nonchalamment et poursuivent leur chemin. Il faudra revenir demain pour faire profiter la famille de ce fabuleux spectacle.

10 mai, Nordisqui, Isla Vapor
Je m'offre une ballade en solitaire en kayak autour de l'île et cherche des langoustes dans les trous. Je tombe nez à nez avec un requin nourrice tapis dans une grotte à 50 cm sous la surface. On se regarde, poliment, et je le laisse tranquille. L'après-midi, tout le monde plonge sur le coin repéré la veille, mais comme souvent, il y a moins d'animation et c'est moins spectaculaire.

11 mai, Nordisqui - Francisqui
Grosse navigation ce matin, on doit bien faire un mille pour rejoindre Francisqui, un autre îlot en forme de fer à cheval, à l'intérieur duquel on pose l'ancre, à quelques mètres d'un banc de sable affleurant. Il y a une dizaine de bateaux au mouillage, la vraie surpopulation! Sur la plage, une construction en bois abrite un bar-restaurant, qui ne fonctionne qu'à midi pour les touristes qui viennent passer la journée depuis Gran Roque. Nous nous baignons et profitons de la plage, les enfants se régalent sur le banc de sable, dans l'eau très chaude. Le soir, les touristes laissent l'endroit désert vers 17 heures, on reprend possession des lieux. Romain finit aujourd'hui sa série 11 du CNED, l'avant-dernière de l'année. Il n'y a plus qu'à poster.


Mouillage à Francisqui

Les enfants jouent sur leur île

12 mai, Francisqui
L'exploration d'un mini-lagon, sorte de piscine naturelle d'un centaine de mètres de diamètre, est notre objectif de ce matin. Comme d'habitude, il y a de jolis poissons, quelques langoustes, et un un énorme barracuda, qui ne doit pas se fatiguer beaucoup pour se nourrir dans cet environnement. Nous ne somme pas seuls dans cette piscine: Romain fait la connaissance d'un touriste français à qui il explique les coraux de feu et montre une langouste. On est ensuite invités à l'apéro sur le bateau de ces Français en vacances, qui ont loué pour 4 jours un voilier de charter. Dans la série "le monde est petit", on apprend dans la discussion que l'un d'eux travaille dans la même entreprise que mon beau-frère et qu'il le verra bientôt! Très gentiment, ils nous proposent de se charger de l'enveloppe contenant la série 11 de Romain, pour la poster de France à leur retour dans deux jours. On récupère au passage quelques magazines français et le canard enchaîné, le moins que l'on puisse dire est que les nouvelles ne nous rendent pas nostalgiques du pays. Mais cette petite bouffée de France inattendue était bien sympathique.
Nous déjeunons au resto sur la plage avec La Casa Delmarre, puis l'après-midi s'étire en baignades et farniente sur la plage.

13 mai, Francisqui - Gran Roque - Sarqui
Nous retrouvons le mouillage animé de Gran Roque où nous passons faire un rapide approvisionnement de fruits, légumes et oeufs. Nous obtenons aussi un peu de carburant sur une lancha de pêcheurs. Pendant ce temps, des pélicans sans doutes attirés par le bleu de notre magnifique housse d'annexe toute neuve, y déposent généreusement leur guano qui dégouline sans pitié sur la toile propre ... c'est à ça que ça sert après tout une housse, à protéger l'annexe!
Nous partons après le déjeuner pour l'îlot Sarqui, à 8 milles à l'ouest de Gran Roque, un peu plus à l'écart des touristes. C'est une courte et paisible navigation, sous solent seul, qui nous laisse quand même le temps de prendre un petit thon rouge de 1,8 kg à la traîne, avant de poser l'ancre vers 16h dans un mètre d'eau, devant une jolie plage. Sans tarder nous allons visiter les lieux en plongée avec Pascale, sur la barrière toute proche, puis nous rejoignons les enfants sur la plage. Un vol de flamants roses, aux ailes ourlées de noir annonce la fin du jour. Au menu ce soir: thon en fondue, presque cru, un régal. Une petite couinche avec les enfants, et au lit.

14 et 15 mai, Sarqui
Romain attaque la série 12 du CNED, la dernière avant les vacances! Pas facile de travailler quand les bonites et les carangues chassent bruyamment autour du bateau en se cognant sur les coques, comme à Boa Vista.
Tous ces poissons qu'on ne peut pas chasser! L'après-midi nous plongeons au milieu des gros barracudas, de centaines de carangues, de raies pastenagues, de langoustes... L'eau à la bouche, nous faisons un essai de pêche à la traîne en fin de journée depuis l'annexe: je conduis et Romain tient la canne, plein d'espoir. Nous rentrons bredouilles...
Toujours motivés, le lendemain Romain, Bastien et Léo vont pêcher à la ligne sur la plage, en tentant d'attirer les pagres qui se cachent sous les plaques rocheuses au bord de l'eau. Ils n'attrapent que deux petites girelles. Déception! Nous continuons l'exploration sous-marine de la pointe ouest du mouillage, très jolie, et faisons quelques tentatives de photo avec un appareil bon marché (le safari photo sous-marin remplace agréablement la chasse, mais il ne nourrit pas l'équipage!). Il y a en particulier un gros diodon repéré la veille, qui se cache toujours au fond de son trou.
L'observation de la faune se passe aussi à terre: en fin d'après-midi, lorsque le soleil décline et que le ciel se teinte d'oranges et de mauves, nous lançons une expédition ornithologique. Après nous être aspergés de répulsif à insectes, particulièrement agressifs à la tombée du jour, nous parcourons l'îlot à la recherche d'oiseaux divers, et nous nous postons au bord d'une lagune dans l'attente de l'arrivée des flamants roses.
Sans tarder, un premier groupe d'une trentaine vient se poser sous nos yeux, bientôt suivis par quelques retardataires. Nous retenons notre souffle et parlons à voix basse pour ne pas troubler ce moment magique.
Les flamants sont de deux sortes: les roses, parfois presque rouges (les flamants du continent américain se distinguent de leurs cousins du reste du monde par leur couleur rouge vif), aux ailes ourlées de noir, et les gris et noirs, peut-être des jeunes. Nous les mitraillons de notre appareil photo, sans oublier d'en garder pour nos yeux. Tout en me gavant du spectacle, je me dis que c'est quand même un comble de venir s'extasier aux Roques sur des flamants roses, alors que nous en avons sous les yeux à longueur d'année là où nous vivons près de Montpellier. L'herbe est toujours plus verte ailleurs ... en tous cas les flamants roses sont plus rouges ici!


Vol de flamants roses sur Sarqui

Couleurs de Carenero

16 mai, Carenero
Trente minutes de navigation nous mènent au mouillage de Carenero, deux îlots plus à l'ouest. Il ne fait pas très beau, des vents de plus de vingt noeuds, des grains avec un peu de pluie. Nous ne craignons rien ici, ce pourrait être un bon trou à cyclone en cas de besoin, bien protégé entre deux îles à la végétation dense et assez haute. Comme partout aux Roques, nous baignons dans une symphonie de bleus, de verts, de transparences et de reflets, c'est magnifique. Seule tache dans le paysage, une décharge sauvage d'ordures sur la plage, juste au pied d'un grand panneau demandant d'aider à garder le parc national propre ...
L'eau est très chaude dans ce petit lagon presque entièrement fermé. Dès le matin nous retrouvons nos paysages sous-marins préférés et leurs habitants familiers, langoustes, barracudas, ainsi que quelques "bonefish", que deux pêcheurs tentent de capturer à la ligne (c'est un poisson sans intérêt culinaire mais pour lequel les amateurs de pêche sportive n'hésitent pas à voyager au bout du monde).
Les enfants restent tous sur La Casa l'après-midi, on sent un peu de lassitude de la plongée. Nullement rassasiés, les adultes partent pour une longue promenade avec palmes de plus de deux heures, qui nous fait contourner la barrière de corail autour de l'îlot Felipe.

du 17 au 21 mai, Dos Mosquises
Encore un saut de puce aujourd'hui, pour rejoindre les îlots de Dos Mosquises, une navigation de 6 milles en contournant des bancs de sable et de corail, avec un méchant clapot de travers. Vers midi nous sommes au mouillage, devant les quelques baraques de pêcheurs et celle des biologistes d'une station d'étude et de sauvegarde de tortues marines. C'est un très bel îlot de carte postale, avec plage de sable blanc et cocotiers. Je nage dans l'eau claire pour aller vérifier l'ancre, le fond est parsemé de conches, que nous ne ramasserons pas non plus, pour respecter le règlement.


Dos Mosquises, îlot sud

Nous visitons le centre d'élevage des tortues marines. Des biologistes résident ici pour étudier, soigner, et protéger les populations de tortues. Ils surveillent les pontes, protègent les oeufs de leurs prédateurs, et les ramènent parfois à la station lorsqu'ils sont directement menacés. Ils élèvent alors les tortues qui naissent en captivité jusqu'à ce qu'elles puissent être relâchées huit ou neuf mois plus tard. Ils nous expliquent que le taux de survie d'une tortue jusqu'à l'âge adulte où elle peut se reproduire est de 0,2%, soit deux tortues sur 1000 seulement. Il faut dire que la maturité sexuelle n'est atteinte que vers 35 ans (pour les tortues à écaille). Les tortues reviennent alors pondre sur la plage où elle sont nées. Le responsable de la base, Pedro, qui travaille depuis 26 ans ici, n'a pas encore vu revenir pondre les premières tortues qu'il a relâchées! Il faut être patient dans ce métier ... Deux autres biologistes, Angela et Favel, sont occupés à inspecter les animaux pour compter et extirper à la pince à épiler des champignons parasites.
Nous observons les tortues dans leurs bacs, ce sont des tortues à écailles, également appelées tortues imbriquées ou tortues de Caret. Elles sont en voie de disparition à cause de l'homme, alors qu'elles ont survécu à ce stade de leur évolution depuis une centaine de millions d'années, Les pêcheurs les ramassent par centaines, elles sont appréciées non seulement pour leur chair, mais aussi pour leurs écailles avec lesquelles on fait des bijoux. Comble de la stupidité, certaines de ces tortues ne sont tuées que parce qu'on utilise les écailles épaisses et affûtées du bord de leur carapace comme ergots artificiels dans les combats de coqs!
Bien que strictement protégées par la loi vénézuelienne, ces animaux continuent d'être massacrées impunément, faute de moyens pour appliquer le règlement. Même les garde-côtes mangent les tortues, ici! Le travail des biologistes est donc vital pour l'espèce, et ils comptent beaucoup sur l'éducation des enfants pour que cesse le carnage à la prochaine génération, en espérant qu'il ne sera pas trop tard... Nous sommes conviés à assister à une remise en liberté de tortues le lendemain, une chance car cela n'arrive qu'une fois par mois. Nous visitons également un musée ethnologique racontant l'histoire de ces deux îlots, initialement choisis par les amérindiens pour s'y établir et pêcher les conches il y a mille ans. Le soir, nous fêtons la saint Pascal sur Imagine.


Les enfants assistent au repas des jeunes tortues


c'est où la mer ?

Le lendemain, nous sommes ponctuels au rendez-vous des biologistes pour assister au petit déjeuner des tortues. Elles sont nourries avec de petits poissons fraîchement pêchés, et des algues. Pedro mesure et pèse les tortues qui vont être relâchées. En attendant ce grand moment, nous allons faire le tour du deuxième îlot de Dos Mosquises pour essayer de voir des traces de ponte, mais nous ne trouvons rien. Par contre, il y a par endroit des amoncellements impressionnants de coquilles de conches, certaines érodées et friables comme le sable datent peut-être de l'époque amérindienne!
L'après-midi, c'est le moment de relâcher les tortues. Pedro appelle les enfants qui l'aident à les porter dans des bassines de la station jusqu'à la plage. Le moment est solennel. Pedro demande notre attention, et nous fait un discours simple, qu'il nous demande de traduire pour les enfants, leur rappelant les faibles chances de survie des animaux qu'ils ont entre leurs mains, et leur demandant de faire un voeu pour chacune des petites tortues qu'ils vont laisser partir aujourd'hui. Ça y est, les enfants posent délicatement les tortues sur le sable, il faut même en aider quelques unes à prendre la bonne direction, on dirait qu'elles étaient trop bien dans le centre de recherche! Mais finalement, elles finissent toutes par gagner le bord de l'eau et plonger, assez timidement, dans leur nouvel univers. Nous les suivons sous l'eau, avec palmes masque et tuba, elles ne semblent pas très pressées de se disperser, et ne sont vraiment pas effarouchées par notre présence. Il faudra qu'elles se méfient un peu plus à l'avenir! Nous remercions les scientifiques pour cette émouvante cérémonie et les invitons à l'apéro le soir sur La Casa pour venir voir les photos et le film de l'évènement. Nous passons une bonne soirée, avec de très intéressantes discussions sur leur travail de biologiste marin (Pedro a été invité sur la Calypso de Cousteau, qu'il vénère), sur la faune, le Venezuela et la Colombie dont deux d'entre eux sont originaires.


Les enfants relâchent les tortues,


qui voient la mer pour la première fois ...

Pedro nous parle également de la réglementation de la pêche à la langouste et de son application, qui concerne surtout les professionnels et l'interdiction de la vente, mais qui laissent une certaine marge de manoeuvre pour se nourrir ... La langouste brésilienne, plus petite et toute aussi abondante, n'est pas commercialisée et ne fait donc pas l'objet d'une protection particulière. Le fusil est interdit, mais on peut toujours pêcher à la main, comme les locaux. C'est ce que nous nous autorisons le lendemain, sur la pointe ouest de l'îlot nord, qui ressemble à un bon coin à langoustes. Effectivement, on ne tarde pas à en trouver une dizaine, et Romain réussit à en déloger une du fond de son trou après une lutte acharnée qui lui vaudra quelques cicatrices, et c'est un beau spécimen de 2 kg et 92 cm! On se régale d'avance ...
La fin de l'après-midi est marquée par un épisode aussi cocasse qu'étonnant. Un yacht à moteur arrive du large en suivant une trajectoire très bizarre, en dehors de la passe, pour arriver jusqu'au mouillage derrière nous. Il semble régner une grande confusion à bord. La manoeuvre d'ancrage est assez surprenante: un équipier saute tout habillé du bateau avec une ancre à la main (!), et coule. Pourtant il ne s'agit pas d'un suicide, mais bel et bien d'une tentative pour aller planter une deuxième ancre à l'arrière, d'ailleurs complètement inutile vu la configuration des lieux et le vent. Puis, pendant que ses camarades s'affairent à préparer l'annexe, il abandonne son projet et nage vers Imagine en appelant à l'aide avec ses bras. Je saute dans l'annexe pour aller à sa rencontre. "Où sommes-nous ici?" me crie-t-il, dans un anglais fortement accentué d'Amérique du sud, avant même que je l'ai rejoint. Épuisé et ahuri, il se hisse difficilement dans l'annexe pendant que je lui réponds, ne semble rien comprendre, et me demande d'aller le débarquer sur la plage. Il m'explique brièvement que le capitaine de son yacht est complètement saoul et qu'ils doivent absolument se rendre à Gran Roque tout de suite, mais qu'ils ne savent pas où c'est. Je lui dis que c'est à 18 milles d'ici, que la nuit tombe, et que ce serait dangereux de nuit, sans cartes, avec ce vent et cette mer agitée. Ses copains, des gros blacks balaises, genre gardes du corps avec lunettes noires, nous rejoignent dans leur annexe et insistent lourdement, et promettent de me payer très cher si je pilote leur yacht jusqu'à Gran Roque. Ça sent la belle embrouille... Comme je ne tiens pas à finir en nourriture à poisson, je refuse fermement, arguant que je ne connais pas la route. Énervés, ils vont discuter avec des pêcheurs mais reçoivent le même refus car ils passeront finalement la nuit au mouillage et ne repartiront que le lendemain matin au lever du jour. En ramenant le gars au bateau, je constate effectivement que le capitaine est en piteux état... Je ne cherche surtout pas à poser plus de questions, leur souhaite bonne chance, et rentre au bateau déguster la belle langouste de Romain.
Nous consacrons encore une journée à plonger et à admirer les fonds. Sur un tombant que nous longeons, Bastien voit sa première raie pastenague en pleine eau. Plus loin, de nombreuses langoustes bien retranchées dans leur abri nous narguent de leurs antennes sans que l'on puisse les attraper à la main. Tant pis pour cette fois.

du 21 au 24 mai, Cayo de Agua, derniers jours aux Roques
Nous quittons à regret ce petit paradis à 9h30, mais nous savons que nous voguons certainement vers un autre, Cayo de Agua. Il n'y a que quelques milles en ligne droite, mais notre route est sinueuse, à l'aplomb du tombant d'une barrière de corail sur des fonds de 10 à 30 mètres: la canne est à l'eau, on cherche le gros poisson ... et on le trouve!

D'abord une touche sérieuse, puis plus rien. Mais quelques minutes plus tard, grosse touche, on a du mal à freiner le moulinet et surtout à rembobiner les quelques centaines de mètres de fil que notre proie a déroulé. Après beaucoup d'efforts, la bête est enfin proche, on aperçoit une grosse tâche bleue au bout du fil, sous le bateau.
C'est un thon albacore, il reste encore à le fatiguer suffisamment pour le gaffer, le faire rentrer dans la grande épuisette, et le ficeler de tous côtés en attendant l'arrivée au mouillage. Un verre entier de rhum ne suffit pas à le tuer. C'est un coriace de 85 centimètres qui pèse 8 kg.
Une fois ancré à l'intérieur du lagon, dans le sud de Cayo de Agua, on découpe le thon pendant que Romain nettoie le sang séché sur la jupe arrière. Il nous reste 4 kilos et demi de bonne chair fraîche, on va manger du thon sur Imagine ces jours-ci. Pour commencer: sashimis et filets poêlés tourne/retourne, un régal!


Pêcheurs de choc

Nous découvrons l'île l'après-midi, à la recherche de sites de ponte de tortues marines. Toujours aucune trace, par contre on observe de nombreux volatiles, dont des fous bruns qui nichent dans les pierres entre les lagunes roses et la mer. On aperçoit des oeufs sous les oiseaux.
Le soir, nous invitons La Casa à dîner sur Imagine. Au menu: thon!
Le lendemain matin, des tortues pointent le bout de leur nez de temps en temps autour du bateau, c'est un appel de plus à la baignade, mais il sera difficile de les retrouver dans leur élément. Le vent est toujours assez fort, supérieur à 20 noeuds. Nous passons le temps agréablement entre les plongées et les excursions dans l'île. Nous allons plusieurs fois à la "plage aux rouleaux", sur West Cay après l'isthme qui le sépare de Cayo de Agua. Il faut bien une demi-heure de marche mais la récompense, c'est la baignade dans les rouleaux. Quatre gros chalutiers mouillent dans cette baie, et y resteront plusieurs jours sans pêcher, sans doute pour s'abriter du mauvais temps. Dans le centre de l'île, un bouquet de palmiers isolé semble sortir tout droit d'une oasis saharienne, et nous offre chaque soir un coucher de soleil de carte postale.


L'oasis de Cayo de Agua

Une femelle couve ses oeufs

Nous n'avons pas été déçu pas les Roques: le rêve s'est matérialisé, c'était un plaisir permanent pour les yeux, un enchantement sous-marin, un terrain de jeu idéal pour une famille en bateau. Il est temps de partir, pourtant, nous voudrions aussi profiter des Aves, le prochain archipel sur notre route, avant de préparer notre retour en France pour les vacances scolaires. Et puis la chasse sous-marine nous manque, on a faim! A 9 heures pile ce 24 mai, nous levons l'ancre pour quelques heures de navigation vent arrière, sous solent seul, rien ne presse ...
La mer est peu agitée tant qu'on est encore à l'abri des Roques, puis se creuse franchement. On pêche successivement deux barracudas, de 70 et 50 centimètres, que l'on relâche, dans l'espoir de pêcher mieux. Mauvais calcul, car on sera finalement bredouille...

A suivre...

Les photos de Los Roques

On relâche les tortues: le film (attention, fichier mpeg de 5 Mo, ça peut prendre du temps à charger ...)


Romain et Bastien à Cayo de Agua