Rien que pour les yeux
... par Pascal
Los Roques, du 6 au 24 mai
6 mai, Passe de "Sébastopol"
L'archipel de Los Roques me fait rêver
depuis des années. Lors du premier voyage, nous avions du laisser
le Venezuela de côté, en se disant, peut-être un jour,
sur la route du Pacifique .... et voilà, nous voguons cette nuit
vers le rêve, que nous atteindrons au petit matin.
Les Roques, c'est un vaste archipel
d'environ 50 kilomètres sur 25, protégé sur
une bonne partie par une longue barrière de corail, et parsemé
d'une multitude d'îlots inhabités pour la plupart.
C'est aussi une réserve naturelle dans laquelle il est interdit
de chasser sous l'eau, seule la pêche à la traîne
ou à la ligne est autorisée. Après les deux
mois que nous venons de passer à Blanquilla et Tortuga, ça
va être difficile, mais on arrive avec de bonne résolutions,
ici, c'est rien que pour les yeux!
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Magnifiques couleurs des Roques |
Romain a tenu son quart jusqu'à 1 heure du matin.
Je réveille Pascale à 3h30. A 7h, on voit l'île d'Orchilla
par le travers tribord (c'est l'île du président, Hugo Chavez
y a été assigné à résidence quelques
temps). On franchit à 10 heures la passe dite de Sébastopol
(heureusement plus déserte que le port éponyme sur la mer
noire) et nous sommes sous la protection de la barrière de corail.
On mouille devant l'îlot de Buchiyaco, un minuscule bout de sable
mangé par la mangrove.
Les fonds jusqu'à la barrière sont inintéressants:
quelques conches, du sable, des algues, peu de poissons. Pourtant des
touristes sont amenés dans une barque à moteur pour une
séance de "bonefishing", mais ils repartent apparemment
bredouilles. Et oui, ici il y a des touristes, heureusement pas très
nombreux et tous logés sur l'île principale de Gran Roque,
mais ils font quelques incursions dans nos mouillages isolés.
L'après-midi, on tente en vain de trouver un passage à travers
la barrière de corail pour aller plonger du côté au
vent et voir du gros poisson.
7 mai, Passe de "Boca del radio"
Les fonds ne nous plaisent pas, on change de mouillage. Nous ancrons sur
un tombant de sable et de corail, proche de la Boca del radio.
On pose l'ancre sur un tombant de sable et de corail, la barrière
est à 100m devant nous. Nous l'explorons l'après-midi avec
La Casa Delmarre, ancré non loin de nous. Les fonds sont pas mal
en vrac: les patates de corail sont entourées d'un désordre
de cornes d'élan cassées, empilées et enchevêtrées.
Pour compléter le tableau, l'épave d'un gros cargo, coupée
en deux, est vautrée sur la barrière et l'on trouve ça
et là des plaques de tôle rouillée, des câbles,
des amarres que le corail ne s'est pas encore approprié.
Mais la faune est abondante et de taille plus importante
que sur les îles où nous sommes passés. Les
pagres jaunes sont nombreux et pas sauvages du tout. Savent-ils
que nous n'avons pas de fusil? On aperçoit successivement
deux requins: d'abord un requin citron, puis un requin gris des
Caraïbes. Les deux squales mesurent entre 1m et 1m50. Il y
a aussi nos amies les langoustes, mais on ne les touche pas! L'
eau est très chaude, probablement supérieure à
30 degrés. Peut-être trop pour Romain qui rentre au
bateau avec 39°5 de fièvre et mal à la tête.
Tout le monde va au lit de bonne heure. |
Heureusement, c'est plus joli en dessous ! |
8 mai, Soyoqui et Gran Roque
On a la bougeotte : on quitte notre mouillage pour se faufiler entre les
bancs de sable et de corail vers un autre îlot minuscule, Soyoqui,
couvert de mangrove. On s'amuse à couper à travers les zones
non cartographiées, c'est facile quand il fait beau, on voit bien
les fonds à travers l'eau cristalline. On mouille sous le vent
de l'îlot vers 11 heures. Une rapide exploration des fonds et de
l'îlot et le verdict tombe: c'est nul, sale, apparemment fréquenté
par des pêcheurs qui y laissent leurs détritus. Mais qu'est
ce que c'est que cette réserve naturelle?
Déçus, nous quittons le mouillage vers 16h30 pour Gran Roque,
avec le soleil dans les yeux, donc plus question de voir les fonds à
travers l'eau étincelante. Mais c'est une zone facile, et l'on
arrive avant la nuit. Le mouillage est agité d'un méchant
clapot soulevé par le vent et le passage des nombreux bateaux à
moteur. Nous visitons le village, admirons le coucher du soleil en sirotant
une caïpirinha, tout en nourrissant une horde de furieux moustiques
(la plaga) avides de notre sang... Après une pizza dans
un restaurant, on rentre vers minuit aux bateaux. Le mouillage n'est pas
des plus tranquilles : on est réveillés à 2 heures
du matin par des jeunes plus que joyeux qui essayent de passer sous notre
catamaran dans leur annexe! Le temps que je me lève pour leur balancer
un seau d'eau, ils abandonnent, hilares, mais vont tenter le passage sous
un autre catamaran. Y'a d'la joie!
Gran Roque, une rue de sable |
Maison colorée |
9 mai, Gran Roque - Nordisqui, Isla
Vapor
Ce matin c'est la course aux formalités d'entrée. A Gran
Roque, elle est particulièrement intéressante car c'est
un jeu de piste qui nous emmène aux quatre coins du village à
la recherche de chacune des quatre administrations différentes
qui doivent nous autoriser à séjourner dans l'archipel.
Et il faut les faire dans l'ordre: les garde-côtes, les gardes du
parc national, la garde nationale (la police) et enfin la "autoridad
unica", qui porte bien mal son nom! On paye 315000 bolivars pour
le permis de 15 jours. C'est pour contribuer à l'entretien du parc
paraît-il ... Au vu des déchets aperçus dans les îles,
on a des doutes sur l'utilisation de nos bolivars! Les petites supérettes
ont des fruits et légumes frais ou presque. On repère aussi
une boutique représentant MRW, le transporteur vénézuelien,
pour envoyer la série 11 de Romain en France.
Après le déjeuner, on part pour un mouillage plus tranquille,
désert à l'exception de quelques kyte-surfeurs de passage,
à Nordisqui, devant l'îlot minuscule de
Isla Vapor. Après une baignade autour du bateau, tout
le monde rejoint la petite plage, en annexe et en kayak. Je vais en repérage
plonger seul sur la barrière de corail, me faufilant entre les
patates par moins d'un demi mètre de fond jusqu'à trouver
un passage vers le tombant au dessus du grand bleu. Les fonds et la faune
sont exceptionnels, l'eau très claire. Outre les grosses langoustes,
il y a des bancs de dizaines de pagres, et beaucoup de gros spécimens
de plusieurs espèces en grand nombre. Deux raies pastenagues de
plus d'un mètre me frôlent nonchalamment et poursuivent leur
chemin. Il faudra revenir demain pour faire profiter la famille de ce
fabuleux spectacle.
10 mai, Nordisqui, Isla Vapor
Je m'offre une ballade en solitaire en kayak autour de l'île et
cherche des langoustes dans les trous. Je tombe nez à nez avec
un requin nourrice tapis dans une grotte à 50 cm sous la surface.
On se regarde, poliment, et je le laisse tranquille. L'après-midi,
tout le monde plonge sur le coin repéré la veille, mais
comme souvent, il y a moins d'animation et c'est moins spectaculaire.
11 mai, Nordisqui - Francisqui
Grosse navigation ce matin, on doit bien faire un mille pour rejoindre
Francisqui, un autre îlot en forme de fer à cheval,
à l'intérieur duquel on pose l'ancre, à quelques
mètres d'un banc de sable affleurant. Il y a une dizaine de bateaux
au mouillage, la vraie surpopulation! Sur la plage, une construction en
bois abrite un bar-restaurant, qui ne fonctionne qu'à midi pour
les touristes qui viennent passer la journée depuis Gran Roque.
Nous nous baignons et profitons de la plage, les enfants se régalent
sur le banc de sable, dans l'eau très chaude. Le soir, les touristes
laissent l'endroit désert vers 17 heures, on reprend possession
des lieux. Romain finit aujourd'hui sa série 11 du CNED, l'avant-dernière
de l'année. Il n'y a plus qu'à poster.
Mouillage à Francisqui |
Les enfants jouent sur leur île |
12 mai, Francisqui
L'exploration d'un mini-lagon, sorte de piscine naturelle d'un centaine
de mètres de diamètre, est notre objectif de ce matin. Comme
d'habitude, il y a de jolis poissons, quelques langoustes, et un un énorme
barracuda, qui ne doit pas se fatiguer beaucoup pour se nourrir dans cet
environnement. Nous ne somme pas seuls dans cette piscine: Romain fait
la connaissance d'un touriste français à qui il explique
les coraux de feu et montre une langouste. On est ensuite invités
à l'apéro sur le bateau de ces Français en vacances,
qui ont loué pour 4 jours un voilier de charter. Dans la série
"le monde est petit", on apprend dans la discussion que l'un
d'eux travaille dans la même entreprise que mon beau-frère
et qu'il le verra bientôt! Très gentiment, ils nous proposent
de se charger de l'enveloppe contenant la série 11 de Romain, pour
la poster de France à leur retour dans deux jours. On récupère
au passage quelques magazines français et le canard enchaîné,
le moins que l'on puisse dire est que les nouvelles ne nous rendent pas
nostalgiques du pays. Mais cette petite bouffée de France inattendue
était bien sympathique.
Nous déjeunons au resto sur la plage avec La Casa Delmarre, puis
l'après-midi s'étire en baignades et farniente sur la plage.
13 mai, Francisqui - Gran Roque
- Sarqui
Nous retrouvons le mouillage animé de Gran Roque où nous
passons faire un rapide approvisionnement de fruits, légumes et
oeufs. Nous obtenons aussi un peu de carburant sur une lancha de pêcheurs.
Pendant ce temps, des pélicans sans doutes attirés par le
bleu de notre magnifique housse d'annexe toute neuve, y déposent
généreusement leur guano qui dégouline sans pitié
sur la toile propre ... c'est à ça que ça sert après
tout une housse, à protéger l'annexe!
Nous partons après le déjeuner pour l'îlot Sarqui,
à 8 milles à l'ouest de Gran Roque, un peu plus à
l'écart des touristes. C'est une courte et paisible navigation,
sous solent seul, qui nous laisse quand même le temps de prendre
un petit thon rouge de 1,8 kg à la traîne, avant de poser
l'ancre vers 16h dans un mètre d'eau, devant une jolie plage. Sans
tarder nous allons visiter les lieux en plongée avec Pascale, sur
la barrière toute proche, puis nous rejoignons les enfants sur
la plage. Un vol de flamants roses, aux ailes ourlées de noir annonce
la fin du jour. Au menu ce soir: thon en fondue, presque cru, un régal.
Une petite couinche avec les enfants, et au lit.
14 et 15 mai, Sarqui
Romain attaque la série 12 du CNED, la dernière avant les
vacances! Pas facile de travailler quand les bonites et les carangues
chassent bruyamment autour du bateau en se cognant sur les coques, comme
à Boa Vista.
Tous ces poissons qu'on ne peut pas chasser! L'après-midi nous
plongeons au milieu des gros barracudas, de centaines de carangues, de
raies pastenagues, de langoustes... L'eau à la bouche, nous faisons
un essai de pêche à la traîne en fin de journée
depuis l'annexe: je conduis et Romain tient la canne, plein d'espoir.
Nous rentrons bredouilles...
Toujours motivés, le lendemain Romain, Bastien et Léo vont
pêcher à la ligne sur la plage, en tentant d'attirer les
pagres qui se cachent sous les plaques rocheuses au bord de l'eau. Ils
n'attrapent que deux petites girelles. Déception! Nous continuons
l'exploration sous-marine de la pointe ouest du mouillage, très
jolie, et faisons quelques tentatives de photo avec un appareil bon marché
(le safari photo sous-marin remplace agréablement la chasse, mais
il ne nourrit pas l'équipage!). Il y a en particulier un gros diodon
repéré la veille, qui se cache toujours au fond de son trou.
L'observation de la faune se passe aussi à terre: en fin d'après-midi,
lorsque le soleil décline et que le ciel se teinte d'oranges et
de mauves, nous lançons une expédition ornithologique. Après
nous être aspergés de répulsif à insectes,
particulièrement agressifs à la tombée du jour, nous
parcourons l'îlot à la recherche d'oiseaux divers, et nous
nous postons au bord d'une lagune dans l'attente de l'arrivée des
flamants roses.
Sans tarder, un premier groupe d'une trentaine vient se poser sous nos
yeux, bientôt suivis par quelques retardataires. Nous retenons notre
souffle et parlons à voix basse pour ne pas troubler ce moment
magique.
Les flamants sont de deux sortes: les roses, parfois presque rouges (les
flamants du continent américain se distinguent de leurs cousins
du reste du monde par leur couleur rouge vif), aux ailes ourlées
de noir, et les gris et noirs, peut-être des jeunes. Nous les mitraillons
de notre appareil photo, sans oublier d'en garder pour nos yeux. Tout
en me gavant du spectacle, je me dis que c'est quand même un comble
de venir s'extasier aux Roques sur des flamants roses, alors que nous
en avons sous les yeux à longueur d'année là où
nous vivons près de Montpellier. L'herbe est toujours plus verte
ailleurs ... en tous cas les flamants roses sont plus rouges ici!
Vol de flamants roses sur Sarqui |
Couleurs de Carenero |
16 mai, Carenero
Trente minutes de navigation nous mènent au mouillage de Carenero,
deux îlots plus à l'ouest. Il ne fait pas très beau,
des vents de plus de vingt noeuds, des grains avec un peu de pluie. Nous
ne craignons rien ici, ce pourrait être un bon trou à cyclone
en cas de besoin, bien protégé entre deux îles à
la végétation dense et assez haute. Comme partout aux Roques,
nous baignons dans une symphonie de bleus, de verts, de transparences
et de reflets, c'est magnifique. Seule tache dans le paysage, une décharge
sauvage d'ordures sur la plage, juste au pied d'un grand panneau demandant
d'aider à garder le parc national propre ...
L'eau est très chaude dans ce petit lagon presque entièrement
fermé. Dès le matin nous retrouvons nos paysages sous-marins
préférés et leurs habitants familiers, langoustes,
barracudas, ainsi que quelques "bonefish", que deux pêcheurs
tentent de capturer à la ligne (c'est un poisson sans intérêt
culinaire mais pour lequel les amateurs de pêche sportive n'hésitent
pas à voyager au bout du monde).
Les enfants restent tous sur La Casa l'après-midi, on sent un peu
de lassitude de la plongée. Nullement rassasiés, les adultes
partent pour une longue promenade avec palmes de plus de deux heures,
qui nous fait contourner la barrière de corail autour de l'îlot
Felipe.
du 17 au 21 mai, Dos Mosquises
Encore un saut de puce aujourd'hui, pour rejoindre les îlots de
Dos Mosquises, une navigation de 6 milles en contournant des bancs de
sable et de corail, avec un méchant clapot de travers. Vers midi
nous sommes au mouillage, devant les quelques baraques de pêcheurs
et celle des biologistes d'une station d'étude et de sauvegarde
de tortues marines. C'est un très bel îlot de carte postale,
avec plage de sable blanc et cocotiers. Je nage dans l'eau claire pour
aller vérifier l'ancre, le fond est parsemé de conches,
que nous ne ramasserons pas non plus, pour respecter le règlement.
Dos Mosquises, îlot sud |
Nous visitons le centre d'élevage des tortues
marines. Des biologistes résident ici pour étudier, soigner,
et protéger les populations de tortues. Ils surveillent les pontes,
protègent les oeufs de leurs prédateurs, et les ramènent
parfois à la station lorsqu'ils sont directement menacés.
Ils élèvent alors les tortues qui naissent en captivité
jusqu'à ce qu'elles puissent être relâchées
huit ou neuf mois plus tard. Ils nous expliquent que le taux de survie
d'une tortue jusqu'à l'âge adulte où elle peut se
reproduire est de 0,2%, soit deux tortues sur 1000 seulement. Il faut
dire que la maturité sexuelle n'est atteinte que vers 35 ans (pour
les tortues à écaille). Les tortues reviennent alors pondre
sur la plage où elle sont nées. Le responsable de la base,
Pedro, qui travaille depuis 26 ans ici, n'a pas encore vu revenir pondre
les premières tortues qu'il a relâchées! Il faut être
patient dans ce métier ... Deux autres biologistes, Angela et Favel,
sont occupés à inspecter les animaux pour compter et extirper
à la pince à épiler des champignons parasites.
Nous observons les tortues dans leurs bacs, ce sont des tortues à
écailles, également appelées
tortues imbriquées ou tortues de Caret. Elles sont en voie
de disparition à cause de l'homme, alors qu'elles ont survécu
à ce stade de leur évolution depuis une centaine de millions
d'années, Les pêcheurs les ramassent par centaines, elles
sont appréciées non seulement pour leur chair, mais aussi
pour leurs écailles avec lesquelles on fait des bijoux. Comble
de la stupidité, certaines de ces tortues ne sont tuées
que parce qu'on utilise les écailles épaisses et affûtées
du bord de leur carapace comme ergots artificiels dans les combats de
coqs!
Bien que strictement protégées par la loi vénézuelienne,
ces animaux continuent d'être massacrées impunément,
faute de moyens pour appliquer le règlement. Même les garde-côtes
mangent les tortues, ici! Le travail des biologistes est donc vital pour
l'espèce, et ils comptent beaucoup sur l'éducation des enfants
pour que cesse le carnage à la prochaine génération,
en espérant qu'il ne sera pas trop tard... Nous sommes conviés
à assister à une remise en liberté de tortues le
lendemain, une chance car cela n'arrive qu'une fois par mois. Nous visitons
également un musée ethnologique racontant l'histoire de
ces deux îlots, initialement choisis par les amérindiens
pour s'y établir et pêcher les conches il y a mille ans.
Le soir, nous fêtons la saint Pascal sur Imagine.
Les enfants assistent au repas des jeunes tortues
|
c'est où la mer ? |
Le lendemain, nous sommes ponctuels au rendez-vous des
biologistes pour assister au petit déjeuner des tortues. Elles
sont nourries avec de petits poissons fraîchement pêchés,
et des algues. Pedro mesure et pèse les tortues qui vont être
relâchées. En attendant ce grand moment, nous allons faire
le tour du deuxième îlot de Dos Mosquises pour essayer de
voir des traces de ponte, mais nous ne trouvons rien. Par contre, il y
a par endroit des amoncellements impressionnants de coquilles de conches,
certaines érodées et friables comme le sable datent peut-être
de l'époque amérindienne!
L'après-midi, c'est le moment de relâcher les tortues. Pedro
appelle les enfants qui l'aident à les porter dans des bassines
de la station jusqu'à la plage. Le moment est solennel. Pedro demande
notre attention, et nous fait un discours simple, qu'il nous demande de
traduire pour les enfants, leur rappelant les faibles chances de survie
des animaux qu'ils ont entre leurs mains, et leur demandant de faire un
voeu pour chacune des petites tortues qu'ils vont laisser partir aujourd'hui.
Ça y est, les enfants posent délicatement les tortues sur
le sable, il faut même en aider quelques unes à prendre la
bonne direction, on dirait qu'elles étaient trop bien dans le centre
de recherche! Mais finalement, elles finissent toutes par gagner le bord
de l'eau et plonger, assez timidement, dans leur nouvel univers. Nous
les suivons sous l'eau, avec palmes masque et tuba, elles ne semblent
pas très pressées de se disperser, et ne sont vraiment pas
effarouchées par notre présence. Il faudra qu'elles se méfient
un peu plus à l'avenir! Nous remercions les scientifiques pour
cette émouvante cérémonie et les invitons à
l'apéro le soir sur La Casa pour venir voir les photos et le film
de l'évènement. Nous passons une bonne soirée, avec
de très intéressantes discussions sur leur travail de biologiste
marin (Pedro a été invité sur la Calypso de Cousteau,
qu'il vénère), sur la faune, le Venezuela et la Colombie
dont deux d'entre eux sont originaires.
Les enfants relâchent les tortues,
|
qui voient la mer pour la première fois ... |
Pedro nous parle également de la réglementation
de la pêche à la langouste et de son application, qui concerne
surtout les professionnels et l'interdiction de la vente, mais qui laissent
une certaine marge de manoeuvre pour se nourrir ... La langouste brésilienne,
plus petite et toute aussi abondante, n'est pas commercialisée
et ne fait donc pas l'objet d'une protection particulière. Le fusil
est interdit, mais on peut toujours pêcher à la main, comme
les locaux. C'est ce que nous nous autorisons le lendemain, sur la pointe
ouest de l'îlot nord, qui ressemble à un bon coin à
langoustes. Effectivement, on ne tarde pas à en trouver une dizaine,
et Romain réussit à en déloger une du fond de son
trou après une lutte acharnée qui lui vaudra quelques cicatrices,
et c'est un beau spécimen de 2 kg et 92 cm! On se régale
d'avance ...
La fin de l'après-midi est marquée par un épisode
aussi cocasse qu'étonnant. Un yacht à moteur arrive du large
en suivant une trajectoire très bizarre, en dehors de la passe,
pour arriver jusqu'au mouillage derrière nous. Il semble régner
une grande confusion à bord. La manoeuvre d'ancrage est assez surprenante:
un équipier saute tout habillé du bateau avec une ancre
à la main (!), et coule. Pourtant il ne s'agit pas d'un suicide,
mais bel et bien d'une tentative pour aller planter une deuxième
ancre à l'arrière, d'ailleurs complètement inutile
vu la configuration des lieux et le vent. Puis, pendant que ses camarades
s'affairent à préparer l'annexe, il abandonne son projet
et nage vers Imagine en appelant à l'aide avec ses bras. Je saute
dans l'annexe pour aller à sa rencontre. "Où sommes-nous
ici?" me crie-t-il, dans un anglais fortement accentué d'Amérique
du sud, avant même que je l'ai rejoint. Épuisé et
ahuri, il se hisse difficilement dans l'annexe pendant que je lui réponds,
ne semble rien comprendre, et me demande d'aller le débarquer sur
la plage. Il m'explique brièvement que le capitaine de son yacht
est complètement saoul et qu'ils doivent absolument se rendre à
Gran Roque tout de suite, mais qu'ils ne savent pas où c'est. Je
lui dis que c'est à 18 milles d'ici, que la nuit tombe, et que
ce serait dangereux de nuit, sans cartes, avec ce vent et cette mer agitée.
Ses copains, des gros blacks balaises, genre gardes du corps avec lunettes
noires, nous rejoignent dans leur annexe et insistent lourdement, et promettent
de me payer très cher si je pilote leur yacht jusqu'à Gran
Roque. Ça sent la belle embrouille... Comme je ne tiens pas à
finir en nourriture à poisson, je refuse fermement, arguant que
je ne connais pas la route. Énervés, ils vont discuter avec
des pêcheurs mais reçoivent le même refus car ils passeront
finalement la nuit au mouillage et ne repartiront que le lendemain matin
au lever du jour. En ramenant le gars au bateau, je constate effectivement
que le capitaine est en piteux état... Je ne cherche surtout pas
à poser plus de questions, leur souhaite bonne chance, et rentre
au bateau déguster la belle langouste de Romain.
Nous consacrons encore une journée à plonger et à
admirer les fonds. Sur un tombant que nous longeons, Bastien voit sa première
raie pastenague en pleine eau. Plus loin, de nombreuses langoustes bien
retranchées dans leur abri nous narguent de leurs antennes sans
que l'on puisse les attraper à la main. Tant pis pour cette fois.
du 21 au 24 mai, Cayo de
Agua, derniers jours aux Roques
Nous quittons à regret ce petit paradis à 9h30, mais nous
savons que nous voguons certainement vers un autre, Cayo de Agua.
Il n'y a que quelques milles en ligne droite, mais notre route est sinueuse,
à l'aplomb du tombant d'une barrière de corail sur des fonds
de 10 à 30 mètres: la canne est à l'eau, on cherche
le gros poisson ... et on le trouve!
D'abord une touche sérieuse, puis plus rien. Mais quelques
minutes plus tard, grosse touche, on a du mal à freiner
le moulinet et surtout à rembobiner les quelques centaines
de mètres de fil que notre proie a déroulé.
Après beaucoup d'efforts, la bête est enfin proche,
on aperçoit une grosse tâche bleue au bout du fil,
sous le bateau.
C'est un thon albacore, il reste encore à le fatiguer suffisamment
pour le gaffer, le faire rentrer dans la grande épuisette,
et le ficeler de tous côtés en attendant l'arrivée
au mouillage. Un verre entier de rhum ne suffit pas à le
tuer. C'est un coriace de 85 centimètres qui pèse
8 kg.
Une fois ancré à l'intérieur du lagon, dans
le sud de Cayo de Agua, on découpe le thon pendant que
Romain nettoie le sang séché sur la jupe arrière.
Il nous reste 4 kilos et demi de bonne chair fraîche, on
va manger du thon sur Imagine ces jours-ci. Pour commencer: sashimis
et filets poêlés tourne/retourne, un régal!
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Pêcheurs de choc
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Nous découvrons l'île l'après-midi,
à la recherche de sites de ponte de tortues marines. Toujours aucune
trace, par contre on observe de nombreux volatiles, dont des fous bruns
qui nichent dans les pierres entre les lagunes roses et la mer. On aperçoit
des oeufs sous les oiseaux.
Le soir, nous invitons La Casa à dîner sur Imagine. Au menu:
thon!
Le lendemain matin, des tortues pointent le bout de leur nez de temps
en temps autour du bateau, c'est un appel de plus à la baignade,
mais il sera difficile de les retrouver dans leur élément.
Le vent est toujours assez fort, supérieur à 20 noeuds.
Nous passons le temps agréablement entre les plongées et
les excursions dans l'île. Nous allons plusieurs fois à la
"plage aux rouleaux", sur West Cay après l'isthme qui
le sépare de Cayo de Agua. Il faut bien une demi-heure de marche
mais la récompense, c'est la baignade dans les rouleaux. Quatre
gros chalutiers mouillent dans cette baie, et y resteront plusieurs jours
sans pêcher, sans doute pour s'abriter du mauvais temps. Dans le
centre de l'île, un bouquet de palmiers isolé semble sortir
tout droit d'une oasis saharienne, et nous offre chaque soir un coucher
de soleil de carte postale.
L'oasis de Cayo de Agua |
Une femelle couve ses oeufs |
Nous n'avons pas été déçu
pas les Roques: le rêve s'est matérialisé, c'était
un plaisir permanent pour les yeux, un enchantement sous-marin, un terrain
de jeu idéal pour une famille en bateau. Il est temps de partir,
pourtant, nous voudrions aussi profiter des Aves, le prochain archipel
sur notre route, avant de préparer notre retour en France pour
les vacances scolaires. Et puis la chasse sous-marine nous manque, on
a faim! A 9 heures pile ce 24 mai, nous levons l'ancre pour quelques heures
de navigation vent arrière, sous solent seul, rien ne presse ...
La mer est peu agitée tant qu'on est encore à l'abri des
Roques, puis se creuse franchement. On pêche successivement deux
barracudas, de 70 et 50 centimètres, que l'on relâche, dans
l'espoir de pêcher mieux. Mauvais calcul, car on sera finalement
bredouille...
A suivre...
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