Le Venezuela- Las Aves

Le Monde des Oiseaux ...  par Pascal


Las Aves, du 24 mai au 15 juin

24 mai, Traversée des Roques aux Aves
On lève l'ancre à 9 heures pile de Cayo de Agua, notre dernière escale dans le magnifique archipel de Los Roques. La navigation est tranquille sous un beau soleil, on est pile vent arrière par 20 à 25 noeuds de vent, et comme la distance à parcourir n'est que d'une trentaine de milles on n'est pas pressés, on n'envoie que le solent. La mer est peu agitée tant qu'on est encore à l'abri des Roques, puis se creuse franchement.
On pêche successivement deux barracudas, de 70 et 50cm, que l'on relâche dans l'espoir de pêcher mieux, malgré les protestations de Romain. Il avait raison, on sera finalement bredouille à l'arrivée!
Las Aves, ce sont deux minuscules archipels, en fait deux atolls anciens aux contours émoussés, d'un diamètre de 5 milles environ, et séparés par moins de 10 milles. Le groupe au vent, que nous atteindrons bientôt, s'appelle Las Aves de Barlovento, le groupe sous le vent (par rapport au premier), se nomme logiquement Las Aves de Sotavento.
Le relief incertain des premières îles se dessine petit à petit sur l'horizon, et à 15 heures on tourne le waypoint de la pointe ouest de Isla Sur. Demi-surprise au moment de démarrer le moteur bâbord, la pompe de refroidissement refuse de cracher son eau de mer, signe classique et désormais habituel de sa mauvaise volonté. Sans pompe, pas de moteur, mais heureusement sur un cata il y a deux moteurs, et le tribord ne nous lâche pas. Malgré tout, avec le vent fort de travers, le clapot et les courants, ça coince un peu pour virer de bord: même en enroulant le solent, donc à sec de toile, le bateau refuse de virer sur un seul moteur. Pas évident de reprendre assez d'élan dans cette zone où il faut slalomer entre les bancs de sable et les patates de corail. J'insiste donc pour démarrer le moteur bâbord, et finalement à la cinquième tentative la pompe crachote enfin. Il faut faire vite, je sais qu'elle agonise et que le moteur n'est pas refroidi correctement. On lâche l'ancre dans la deuxième baie en remontant vers l'est, sur deux mètres de sable blanc.

On est face à un rideau de végétation constitué de mangrove et d'arbres assez hauts, qui abrite un impressionnant peuplement d'oiseaux aux cris rauques et à l'odeur ... entêtante.
Pas de doute, on est bien dans l'archipel de "Las Aves", les oiseaux en espagnol.
Dans le ciel ainsi qu'à tous les étages de la mangrove, c'est un incessant trafic, les volatiles vont et viennent d'un air affairé, ou alors planent simplement en grandes arabesques dans l'azur. Ils sont des milliers. Il faudra aller voir ça de plus près demain, pour l'instant on se contente de les observer aux jumelles.

La mangrove abrite des milliers d'oiseaux       

Sous l'eau, une rapide plongée avec Romain et Bastien nous révèle un récif décevant, bien moins peuplé qu'aux Roques, avec des poissons plus craintifs. Il faut dire que nous sommes juste à côté d'un campement de pêcheurs... On ramène quand même une langouste, petite mais suffisamment décente pour passer à la casserole.

25 mai, Las Aves de Barlovento, Isla Sur, deuxième baie
Ce matin, nous explorons la mangrove en annexe, avec appareil photo et caméscope, les ornithologues à l'action! On s'approche doucement des arbres pour ne pas effrayer les oiseaux d'abord au moteur, puis à la rame. Ensuite, en s'accrochant aux branches à côté des nids, on peut les admirer de très près, à quelques mètres, en silence. Ce sont tous des "red-footed boobies", des fous à pieds rouges. Effectivement, leurs pattes sont terminées par de jolies palmes souples, de couleur rouge vif, dont ils se servent aussi bien pour nager que pour s'agripper aux branches de leur habitat. Il y a des jeunes en duvet blanc, à l'air un peu ahuri, encore coincés au nid car ils ne savent pas voler.
Leurs aînés sont tout gris et volent, parfois maladroitement, avec des difficultés à se mouvoir dans le fouillis des branchages entrelacés. Leur bec prend une belle teinte bleu pâle, très assortie au gris de leur plumage.
Les adultes sont blanc et noir, volent et planent majestueusement, parfois au-dessus de la cime des arbres, parfois en piqué et au ras de l'eau. Ils plongent aussi pour pêcher du poisson et nourrir leurs petits.


Un jeune fou au superbe duvet

Un fou à pieds rouge, jeune adulte

Nous parcourons lentement le dédale des eaux calmes entre les îlots de mangrove, au milieu de cette belle activité et des cris incessants des oiseaux, imprégnés de l'odeur aigre de leurs déjections. Puis nous débarquons sur la plage où le campement de pêcheurs est installé, malgré les aboiements furieux d'un chien noir, que ses maîtres rappellent à l'ordre. Nous traversons à pieds l'étroite frange de mangrove jusqu'à la plage sur la côte au vent, battue par les vagues.
Avant midi, nous changeons de mouillage, grande navigation de presque un mille jusqu'à la baie suivante. Ici, même paysage de mangrove ornée d'une rangée d'arbres élancés aux tortueuses ramifications. Nous plongeons rapidement avant le déjeuner, à côté du bateau jusqu'au pied de la mangrove, mais il n'y a rien à voir. Puis avec Romain et Bastien sur un des bancs de corail qui forme la baie, au nord. Pas beaucoup de poissons non plus, ou alors des petits. Bastien déniche une petite langouste, visible depuis la surface car ses antennes dépassent. On la laisse. Romain en tire une à peine plus grosse. En replongeant l'après-midi, on finit par trouver un banc de corail plus important un peu plus loin au milieu du lagon. On ramène quatre pagres, deux jaunes et deux gris, qui finissent sur le barbecue en brochettes ainsi que dans une délicieuse tarte où ils rejoignent la langouste de Romain.

26 mai, Las Aves de Barlovento, Isla Sur, deuxième baie
Les ornithologues sont de retour ce matin: on débarque dans la mangrove par un petit tunnel naturel sous les palétuviers. On marche assez longtemps, mais sans trouver à pénétrer vraiment dans la végétation trop dense. Par contre, on observe une autre espèce de fous, à pattes jaunes cette fois, qui niche dans les débris de corail mort au bord des vagues. Plusieurs nids, dont un avec deux petits en duvet couvés par leur mère et un autre avec un seul petit, apparemment sans protection. Mais en regardant mieux, on remarque plusieurs adultes montant la garde sur les récifs alentours.

Revenus à l'annexe, nous longeons ensuite la bordure de la mangrove dans la baie. C'est là que l'on observe le mieux les oiseaux, on pourrait les toucher, mais on s'abstient bien sûr. Face au nid d'un jeune fou, nous restons là un moment les yeux dans les yeux en silence, aussi curieux l'un que l'autre, et je suis sur qu'à ses yeux nous sommes au moins aussi bizarre et fascinant qu'il l'est pour nous.
Mais il est difficile de deviner les pensées profondes de ce jeune volatile duveteux et ahuri.

Qui observe qui, finalement?

Un peu plus loin dans la petite baie, nous rencontrons une barque de pêcheurs en pleine action: ils ont déployés un filet le long de la mangrove, six d'entre eux sont dans l'eau avec masque et tuba pour surveiller et rabattre le poisson. Ils remontent le filet petit à petit, plein d'espèces différentes, il y a même un poulpe. Ils nous invitent à regarder le tas de poissons grouillant et frétillant dans leur barque, et devant nos regards envieux, nous offrent gentiment trois carangues et un pagre, que nous mangeons en papillote à midi.
La Casa nous rejoint au mouillage. Chaque équipage s'occupe l'après-midi de trouver la pitance du soir, chacun sur un récif différent. Bilan: dix poissons pour dix personnes, pour un bon dîner sur La Casa.

27 mai, Las Aves de Barlovento, Isla Sur, deuxième baie
C'est encore une de ces journées agréables et nonchalantes, ponctuée par les séances de pêche habituelle du matin et de l'après-midi. Pour varier le menu aujourd'hui, les Pascales ont ajouté à nos poissons et langoustes une douzaine de conches de bonne taille.


C'est ça qui se mange, et c'est succulent!
On se lance donc dans la longue préparation de ces délicieux mollusques sur la plate-forme arrière de La Casa.
Le procédé est simple: d'abord percer un trou, au bon endroit, afin de sectionner le muscle qui attache l'animal à sa coquille. Puis extirper la bête en la tirant par son ongle unique. Ensuite extraire la chair en enlevant tout ce qui ne se mange pas: les yeux, la cervelle (la comprenance comme disait des amis québécois rencontrés à Caicos), le sexe, les viscères, le tout bien visqueux, gluant, collant. Une fois la chair dépouillée de ces déchets peu ragoûtants, puis lavée, il faut encore l'attendrir, en la battant ou en pratiquant de petites incisions, aussi nombreuses que possible pour couper les fibres du muscle. Le tout a pris plus de deux heures à trois personnes!
Pascale les fait cuire à la poêle, mélangées aux oignons, poivrons, tomates, et ail finement ciselés.

Le soir, on se régale d'une belle quantité pour chaque adulte, les enfants gouttent mais n'en raffolent pas (heureusement!), sauf Romain, Bastien et Léo. Les plus jeunes mangent du poisson grillé cuit au barbecue par Romain.

28 mai, Las Aves de Barlovento, Isla Sur, deuxième baie
Pascale et moi, chacun notre tour, retournons voir la bordure de la mangrove en kayak, pour observer les oiseaux tranquillement, seul et en silence. On constate que les petits, toujours en duvet, ont maintenant des plumes de quelques centimètres qui ont poussé en deux jours. Ils agitent leurs moignons d'ailes en guise d'exercice, mais ne sont visiblement pas encore prêts à voler, bien que de taille identique à leurs parents.
La plongée de l'après-midi permet à Patrick de ramener une langouste record de 3kg et de plus d'un mètre! C'est encore un dîner sur La Casa, record oblige, les enfants mangent du poisson et vont au lit, et nous dégustons la langouste en cari, avec des nouilles chinoises. La soirée se termine par une couinche.

29 mai, Las Aves de Barlovento, mouillage sur la barrière de corail nord-est
Les couleurs du lagon nous appellent. Nous quittons vers 11h30 notre petite baie aux oiseaux pour aller mouiller dans le grand bleu au milieu de rien devant la barrière de corail. Après un bref slalom à travers les patates, on navigue bientôt sur 20 mètres de fond vers le nord, à vue. Le regard est tellement fasciné par le ciel et la mer, qu'on oublie de scruter la surface devant les étraves et qu'on accroche la bouée d'un casier un casier à langoustes. Rien de bien grave, j'ai le temps de mettre les moteurs au point mort avant que les hélices soient touchées, l'aileron protecteur qui les précède a bien joué son rôle en accrochant l'orin. Je le dégage facilement sous l'eau.

On mouille finalement devant un îlot de sable. Mais on ne reste que le temps de déjeuner car l'ancre est mal accrochée sur un fond mixte de sable et de corail, elle ne résisterait pas à un changement de direction de vent ou à un renforcement. On n'a pas envie de déraper en pleine nuit dans le secteur, c'est un vrai champ de mines avec tous ces récifs à fleur d'eau.
On repère un autre endroit un peu plus loin, sorte d'anse au milieu de l'eau, abritée des vagues par plusieurs petites barrières de corail affleurantes. Étrange sensation, la houle qui brise à quelques encablures devant nous, les quelques îlots que nous avons quitté ce matin sur notre horizon tribord, et nos deux catamarans, seuls face au vent et à l'immensité bleue.


Les couleurs du lagon nous appellent ...

Les enfants vont jouer sur La Casa. Patrick part seul en annexe pêcher, pendant que je pars à la nage sur les récifs à moins de cent mètres devant nos étraves. J'ai quitté Imagine depuis à peine deux minutes quand je croise un banc de carangues, fugaces et agitées. Je vise la plus proche, transperce ma cible, et ... une deuxième carangue sur la même flèche! Belle réussite, peut-être grâce à mon nouvel élastique plus puissant ... qui casse immédiatement quand je recharge le fusil! Après un rapide aller-retour au bateau pour changer de matériel, je reviens sur ce site prometteur et ne tarde pas à trouver des langoustes, d'énormes langoustes. Il y en a beaucoup trop pour nous, je prends le temps de faire le tour des patates de corail pour faire mon choix. J'en tire finalement deux par un mètre de fond sous des platiers. La plus grosse est impressionnante: 3kg pour 1m12, c'est mon record!
L'équipage de La Casa, sauf Patrick toujours à la pêche, rejoint Imagine à la nage pour admirer la prise exceptionnelle. Elle est aussi grande que Fiona! On fait des photo de la grosse bête avec les enfants, la pauvre langouste laisse échapper un mucus visqueux qui se répand sur le pont, et prépare sans le savoir sa vengeance: au moment de repartir, Carla glisse sur les marches de la jupe arrière tribord, fait une chute de sa hauteur et son bras gauche heurte un angle: à son cri, et à l'angle effrayant que fait le membre juste sous l'épaule, nous comprenons avec horreur qu'elle vient de se fracturer le bras. Je suis à côté d'elle, elle est restée assise sur la marche, je lui maintiens les deux parties du bras dans la position normale pendant que sa mère tente de la rassurer et que Pascale cherche dans notre pharmacie de bord de quoi la soigner. La fracture est nette, non ouverte, on immobilise tout ça avec une attelle et un bandage, plus une écharpe et on lui donne un antalgique. Carla est incroyablement courageuse pour une petite fille de 10 ans, et une fois la fracture réduite, semble supporter ce malheur sans trop de souffrance.
C'est alors que Patrick arrive de sa pêche et découvre la catastrophe, atterré. Ses deux énormes mérous passent inaperçus. La nuit va tomber, impossible de lever l'ancre et de naviguer dans l'obscurité parmi les patates de corail, il faudra attendre demain avant de rejoindre l'hôpital le plus proche, celui de Bonaire à 60 milles, soit une journée de mer de notre position. Heureusement Carla ne souffre pas trop, elle est surtout désolée d'obliger toute sa famille à quitter cet endroit merveilleux, le jour où l'on avait trouvé le plus fantastique site de pêche de tout notre séjour au Venezuela! C'est la vie...


Nathan, Fiona, et Carla venus admirer la langouste ...


                          ... et Carla quelques jours après

Nous faisons de rapides adieux le soir sur La Casa, on offre un album de jeux à Carla, et les cadeaux d'anniversaire prévus pour Pascale, sa maman, avec 3 jours d'avance, puisque du coup on ne le fêtera pas ensemble...

30 mai, Las Aves de Barlovento, mouillage sur la barrière de corail nord-est
La Casa lève l'ancre à 6h15, on les regarde partir en espérant que tout se passe bien pour Carla, et Imagine reste seul au mouillage. Pendant le petit déjeuner dans le cockpit, Bastien aperçoit soudain une bande de dauphins nageant dans notre direction! Sans hésiter Romain et moi saisissons nos masques, palmes et tubas pour les rejoindre. Instant magique où l'on nage sous l'eau au milieu des dauphins, qui nous regardent tout en communiquant de leurs étranges cliquetis. Ils doivent conclure qu'il vaut mieux partir, car ils nous quittent hélas aussi vite qu'ils étaient venus! La scène n'aura pas duré plus d'une minute, mais ce fut une minute de rêve!
La plongée de l'après-midi est une amère déception: les langoustes ont déserté les lieux. On a du mal à ramener les quelques poissons du repas. Pendant que Romain les nettoie sur la jupe arrière, un gros barracuda noir se jette sur tout ce qui tombe à l'eau autour du bateau. Il ne faudrait pas trop se rincer la main en l'agitant dans l'eau ...
Le vent monte en soirée à plus de 20 noeuds, puis à 25/30 noeuds toute la nuit. Malgré la confiance dans notre mouillage, ancre bien enfouie dans un bon sable, l'angoisse est toujours présente. Un dérapage ici dans le noir serait fatal, on est entouré de récifs!
Nous parlons à La Casa le soir en BLU: ils sont bien arrivés à 17h à Bonaire, ont vite trouvé l'hôpital, la radiographie confirme une fracture simple sans gravité. Carla sera plâtrée le lendemain.

31 mai, Las Aves de Barlovento, mouillage sur la barrière de corail nord-est
On ne plonge pas ce matin, le temps est couvert et trop venteux. Ça se calme en début d'après-midi, on y va tous les quatre. Toujours pas de langoustes, on ne ramène qu'un pagre mahogany, cuisiné en taboulé. Le matériel commence à nous lâcher, les élastiques des fusils cassent les uns après les autres... il faut dire qu'on ne les ménage pas.
La Casa nous annonce par BLU leur intention de revenir aux Aves dès que le vent se calmera. Il y a au minimum 30 milles contre le vent et la mer jusqu'au premier archipel des Sotavento. Carla a finalement été simplement bandée avec une attelle, et seulement pour 3 semaines.
Le vent souffle toujours entre 25 et 30 noeuds, mais maintenant de nord-est, nous rapprochant un peu plus des cailloux... ce mouillage me plait de moins en moins, surtout la nuit.

1er juin, Las Aves de Barlovento, retour à Isla Sur
Ce mouillage est trop désagréable, on sera plus sereins dans la baie des fous aux pieds rouges, où l'on était avant. Départ à 11h, au moteur, arrivée à midi. C'est beaucoup plus calme: pas de clapot, plus que 15 à 20 noeuds de vent derrière l'écran végétal de la mangrove. La météo n'annonce aucun changement pour au moins les quatre prochains jours.
Nous retrouvons nos coins de pêche. Nous ramassons des conches, sur lesquelles Pascale essaye une nouvelle préparation plus simple: un séjour dans la cocotte pour les attendrir puis cuisson à la poêle. C'est très bon!

2 juin, Las Aves de Barlovento, Isla Sur
On nettoie un peu les coques, couvertes d'algues brunes. Un barracuda de bonne taille nous surveille, Bastien et moi. On ne le quitte pas des yeux ...
Je plonge l'après-midi avec Romain et Bastien. Vers les récifs à l'extrémité est de Isla Sur, l'eau est très claire et chaude. On ramasse des oursins blancs pour goûter. Romain trouve un crabe corail. On prend une langouste et trois pagres jaunes. Les oursins ne sont pas très garnis, c'est bon mais maigre! Romain se régale. La Casa est en route pour Sotavento, au près.

3 juin, Las Aves de Barlovento, Isla Sur

Dernière visite à nos amis les oiseaux de la mangrove. C'est intéressant de voir l'évolution des petits dans leur nid, depuis notre dernier passage il y a 8 jours. Les plumes ont poussé par-dessus le duvet, presque 1 cm par jour d'après nos estimations. Mais ils ne sont pas encore prêts à voler.
On observe aussi deux jolis hérons striés, aux pattes jaunes et yeux jaunes également.
Pascale mitraille... une vocation de photographe animalier est née!

Héron strié à l'affut

Puis on rend visite à François et Virginie, sur un vieux catamaran en bois de 1970 parti de Guadeloupe il y a six mois. Ils nous racontent leurs mésaventures vénézueliennes. D'abord le vol de leur annexe aux Testigos pendant qu'ils regardaient pondre une tortue luth la nuit sur une plage, pendant quatre heures. Des bateaux au mouillage ont vu une lancha prendre l'annexe en remorque et partir en pleine nuit tous feux éteints. Les garde-côtes ont enregistré la plainte et communiqué avec le port d'attache de la lancha, bien identifiée, mais il n'y a pas eu de suite. Autre mésaventure à Juan Griego, sur l'île de Margarita, où ils ont été victimes d'une arnaque au distributeur de billets: devant un distributeur en panne, un vénézuelien les aborde gentiment pour leur indiquer une autre machine qui fonctionne bien pour les cartes Visa. Ils le suivent, essayent, mais ça ne marche pas non plus, et finalement ils abandonnent à cause de la présence devenue un peu trop pesante de l'individu derrière eux. En revenant un peu plus tard vers cette machine, ils s'aperçoivent que le lecteur dans lequel ils avaient glissé leur carte n'est plus là, il devait avoir été installé provisoirement par-dessus le lecteur d'origine de la machine, et ne servait qu'à enregistrer les informations de leur carte! Ils s'en sortiront sans dommage grâce à leur clairvoyance, par une simple opposition sur la carte de crédit.
Romain nous pêche un mérou et un pagre, nous épargnons quelques langoustes brésiliennes, trop petites.


4 juin
, Changement d'archipel: vers Las Aves de Sotavento

Encore une petite navigation par beau temps, en tirant deux bords de vent arrière en direction de la pointe sud de Sotavento. On pêche un barracuda que l'on relâche (encore!). Puis en arrivant sur Sotavento, une grosse touche emmène notre leurre et déroule le fil à toute vitesse. On mouline, on relâche, le poisson se bat bien, mais on le rapproche petit à petit. On identifie un thon quand il n'est plus qu'à une dizaine de mètres derrière. Soudain, il sonde une dernière fois et ressort... coupé en deux, il ne reste que la tête! On remonte donc une tête de thon, la bête entière devait faire dans les deux à trois kilos. Quelqu'un s'est régalé avant nous. Requin, dauphin ou barracuda? On n'a rien vu (un banc de dauphins nous avait accompagné un peu avant).
On ne se laisse pas abattre, car il reste quand même assez de chair pour quatre bonnes portions de sashimi à midi.
Nous arrivons à 13 heures sous le vent de l'îlot Saki Saki, où l'on retrouve La Casa. C'est encore un de ces mouillages où il vaut mieux être sûr de son coup, le passage entre les patates pour se rapprocher de la plage ne serait pas praticable de nuit. Mais notre ancre tient bon, il n'y a qu'un mètre d'eau sous les coques!
L'îlot est peuplé de milliers d'oiseaux, des sternes, des noddy bruns, des mouettes, et de leurs petits, ça vole en permanence en criant, même la nuit. Belle ambiance sonore et olfactive!
Ce soir nous fêtons en retard l'anniversaire de Pascale sur La Casa. Un bon prétexte pour aller faire notre marché sous l'eau: quelques langoustes, des poissons, ainsi qu'un "poupinet", ou cigale de mer d'environ 1 kg. Les garde-côtes vénézueliens, stationnés un peu plus au sud, nous font une petite visite au milieu de notre pêche pour un contrôle des papiers du bateau et de l'équipage. On leur offre une bière, pas de problème, ils sont sympas.
Le soir, c'est le dîner sur La Casa, avec au menu: foie gras et champagne, langouste, cigale et poisson. Puis on couinche. jusqu'à très tard.

5 juin, Las Aves de Sotavento, Saki Saki
Le vent souffle toujours entre 20 et 25 noeuds. Excursion en famille à la plage le matin, puis dans l'île au milieu du vacarme impressionnant des oiseaux.

Nous sommes au coeur d'une volière, il y en a partout. Sur les branches des maigres arbustes, dans les nids, en l'air juste à quelques mètres au-dessus de nos têtes. Au sol, les petits courent comme des grives, ne sachant pas encore voler. Les nids des noddy bruns ont encore des oeufs.
Nous restons accroupis, immobiles, laissant passer la furieuse agitation qu'a provoquée notre intrusion dans leur domaine, baissant la tête au passage de certains excités ou maladroits. Nous nous faisons oublier, accepter, pour observer tranquillement ce peuple étranger. Ça sent fort le guano, mais c'est un merveilleux spectacle!

Au coeur de la volière

Pour la pêche du jour, nous traversons la partie nord du lagon en annexe. L'eau est très claire sur la barrière de récifs au nord-est de Sotavento, les fonds sont très jolis et poissonneux. Bilan: 6 langoustes brésiliennes et un pagre colas pour Bastien (qui n'aime toujours pas la langouste!), et un requin dormeur qui fait un somme dans sa grotte, et qu'on a bien entendu laissé dormir.

6 juin, Las Aves de Sotavento, Saki Saki
Nous recevons la visite matinale du skipper d'un bateau battant pavillon français ancré de l'autre côté de L'îlot C'est un Français installé à Cumana sur la côte vénézuelienne depuis plus de vingt ans, qui vit du charter et d'un restaurant. Il nous porte une cinquantaine de bananes, et nous dit qu'il y a des traces de tortues sur la plage.
Nous allons faire le tour de l'île à pieds avec Pascale, Romain, Bastien et Léo, et trouvons en effet 6 traces de tortues venues pondre. Deux d'entre elles sont très fraîches et pas encore effacées par la marée. Les traces sont bien caractéristiques, il y a une large traînée centrale, et des paliers pour l'appui des pattes de chaque côté. Ça se termine par le nid, un large cercle où le sable a été visiblement remué. Il y a parfois deux nids au bout des traces, comme si l'un d'entre eux était un leurre ou un essai raté. Malgré notre curiosité, nous nous abstenons évidemment de creuser pour vérifier la présence des oeufs. Les tortues ont bien assez de prédateurs dans la nature.
Comme d'habitude, la plage au vent est souillée de déchets en tous genres: bouteilles en plastique, ustensiles, et un nombre incroyable de chaussures. C'est partout pareil, où que l'on aille. La vision de l'île déserte au sable blanc immaculé fait hélas partie du passé ou de l'imaginaire. L'île est toujours là, lointaine, inaccessible, sauf pour les restes indésirables de notre société qui viennent s'y accumuler en traversant les océans, doucement, mais inexorablement. Dégoûtés par ce spectacle affligeant nous ne pouvons que prendre des photos pour témoigner.
Quelques oiseaux, surtout des mouettes rieuses, couvent leurs oeufs dans les taillis, insensibles à ce scandale.
Fait rare: il n'y aura pas de plongée aujourd'hui car on décide de faire une expédition nocturne sur l'île dans l'espoir d'assister à une ponte. On débarque ver 21 heures, au clair de lune, et nous nous postons en deux groupes sur chacune des plages où nous avons vu des traces. L'attente commence. Les enfants construisent une cabane pour s'abriter du vent (plus de 25 noeuds) et du sable qu'il soulève. Les oiseaux nous accompagnent de leur vacarme habituel, devenu tapage nocturne. Les heures passent, seul à mon poste je savoure cette ambiance sauvage, cette lumière lactée qui adoucit le paysage, le souffle du vent, les cris des oiseaux qui s'endorment enfin. Rien ne se passe. Nous levons le camp à minuit, déçus. Peut-être trop de lune?


Les traces d'une tortue venue pondre

Expédition nocturne d'observation des tortues

7 juin, Las Aves de Sotavento, Saki Saki
Pascale nage jusqu'à la plage et fait le tour de l'île, pas de nouvelles traces. Plongée l'après-midi tous les quatre. On voit une belle raie pastenague que l'on observe s'enfouir dans le sable. Bastien tire sa première carangue! On ramène quelques langoustes brésiliennes et du poisson. Après le repas, caïpirinha avec La Case sur Imagine suivie d'une couinche. très animée ... les cartes volent!

8 juin, Las Aves de Sotavento, départ de Saki Saki vers la barrière est de Sotavento
La météo annonce une accalmie, le vent retombe entre 15 et 20 noeuds. Nous décidons d'aller mouiller devant la barrière de corail qui protège le lagon de Sotavento à l'est. Le trajet d'une heure est sans histoire, on slalome entre les pâtés de corail, face au vent. On mouille près d'une épave de méthanier. L'ancre est posée sur un mètre de fond de sable, le bateau recule sur un tombant de 11 mètres. L'eau très claire, mais il y a beaucoup de courant et peu de poisson. Nous ne ramenons que des langoustes brésiliennes aujourd'hui.

9 juin, Las Aves de Sotavento, sur la barrière est
Le vent est revenu plus tôt que prévu, mais le mouillage reste calme. Plongée l'après-midi tous les quatre, d'abord sur un des bancs de corail derrière les bateaux, dans le lagon, puis sur une autre partie du récif. Comme tous les jours on passe des heures dans l'eau, jusqu'à ce que les crampes me paralysent les orteils. Romain nous trouve deux langoustes royales, et nous n'oublions pas de nourrir Bastien avec un rouget et une carangue.

10 juin, Las Aves de Sotavento, sur la barrière est
Ce matin est une délivrance: Romain a fini le CNED! Vive les vacances! Des pêcheurs nous demandent des cigarettes et nous offrent une langouste et un poupinet. La mission de l'après-midi avec avec Romain et Bastien est de ramener assez de langoustes pour un repas avec La Casa le soir: on veut fêter la fin de cette brillante année de CNED. En deux endroits différents de la barrière côté lagon, et en plusieurs heures, nous avons notre repas: quelques poissons pour les enfants, et huit brésiliennes pour les amateurs. Patrick en ajoute quatre, plus celles des pêcheurs, le rougail est assuré! Repas de fête sur Imagine.

11 juin, Las Aves de Sotavento, départ de la barrière est vers Curricai
On quitte ce mouillage isolé vers 11 heures, et après une petite heure de navigation dans le lagon, on atteint l'îlot de Curricai: une longue plage de sable blanc, un unique cocotier, et un campement de pêcheurs. Pêche de routine, Romain nous gratifie de quatre brésiliennes, qui agrémenteront le reste de rougail. On rentre assez tôt au bateau. Les enfants font une partie de "Richesses du Monde" avec Léo. Pas de fiesta ce soir, tout le monde au lit de bonne heure.

12 juin, Las Aves de Sotavento, Curricai
Tour de l'île à pieds le matin. Belle plage de sable à l'ouest, là où les pêcheurs ont installés leurs deux cabanes, et sur la côte est, exposée au vent, on retrouve les habituels déchets. Il n'y a pas de traces de tortues. Des navigateurs de passage ont apparemment essayé de faire pousser des cocotiers sur cette terre désolée: plusieurs rangées de jeunes plants, chacun avec un petit panneau devant indiquant le nom du planteur et la date, agonisent tristement au soleil, trop de sel, pas assez d'eau sans doute. Tous ces panneaux alignés, on dirait un cimetière. Nous profitons de cette belle plage, baignade générale! Des pêcheurs nous offrent deux langoustes royales et un crabe corail. On leur apporte en échange des cigarettes et une petite bouteille de rhum. Il n'y a pas de tractations dans ces échanges, ni même de demande la plupart du temps. L'offre est le plus souvent spontanée, même si chacun sait qu'il convient de donner quelque chose en retour.
Nous profitons des fonds marins, c'est aujourd'hui notre dernière plongée au Venezuela, ensuite nous partirons sur Bonaire où la chasse est strictement interdite. En guise d'adieu, je débusque une belle langouste royale de deux kilos, une brésilienne trouvée par Bastien, et un pagre colas pour son repas. Nous ne savons pas encore à ce moment là à quel point les trois mois de plongée et de chasse sous-marine que nous venons de vivre ont été exceptionnels, et que nous ne retrouverons jamais lors de ce voyage jusqu'en Polynésie un espace aussi idéal que les îles du Venezuela.
La Casa accueille notre dîner d'adieu ce soir, avec un ultime menu de langouste et de crabe.

13 juin, Las Aves de Sotavento, Curricai
Départ reporté, le vent souffle à 30nds, je suis coincé du dos, est-ce psychologique? Difficile de tourner cette page. Romain et Bastien jouent toute la journée avec Léo sur Imagine. Activités calmes pour nous: lecture et tri de photos. La Casa s'invite pour l'apéro. Le vent baisse légèrement en soirée à 20-25 noeuds.


L'îlot Curricai, notre dernière vision des Aves

14 juin, départ de Las Aves de Sotavento vers Bonaire
Nous quittons les Aves à 8h25, sous un beau ciel bleu et par 20 noeuds de vent d'est. C'est une navigation tranquille de 45 milles, qui commence avec 1 ris dans la grand-voile, et solent en ciseaux. Nous traînons la ligne de pêche, comme d'habitude. Soudain, une touche sur la ligne, à peine quelques secondes et plus rien. Notre oreille avertie reconnaît la touche du marlin. Une furieuse traction sur la ligne devrait suivre ... maintenant! C'est parti! On doit rouler le solent, stopper le bateau, et finalement manoeuvrer pour suivre notre leurre entraîné à toute allure perpendiculairement à notre route, tellement ça tire fort sans que le frein du moulinet n'arrive à arrêter le fil qui se dévide. Après un bon quart d'heure d'efforts, nous avons ramené le poisson assez près pour le voir sauter plusieurs fois, c'est bien un marlin, et il est magnifique, énorme! Il finit par s'épuiser, se laisse tirer sans nager, sur le flanc. Il est à moins de 15 mètres, on l'imagine déjà dans notre assiette, bien que je me demande comment on va pouvoir hisser à bord un animal pareil. Il ne nous donnera pas cette peine: dans un dernier sursaut d'une énergie incroyable, il s'élance dans les airs, vrille son corps et d'un violent coup de tête, casse net notre ligne. Dommage, mais quel spectacle rare!
Le reste de la navigation sera bien plus calme. On passe la pointe sud de Bonaire à 15 heures, on empanne, et après une heure agréable et rapide sur une mer plate à l'abri de la côte, on atteint la zone de mouillage de Kralendijk, où l'on s'amarre sur un corps mort.

A suivre...

Les photos de Las Aves de Barlovento

Les photos de Las Aves de Sotavento