Le Monde des Oiseaux ...
par Pascal
Las Aves, du 24 mai au 15 juin
24 mai, Traversée des Roques
aux Aves
On lève l'ancre à 9 heures pile de Cayo de Agua, notre dernière
escale dans le magnifique archipel de Los Roques. La navigation est tranquille
sous un beau soleil, on est pile vent arrière par 20 à 25
noeuds de vent, et comme la distance à parcourir n'est que d'une
trentaine de milles on n'est pas pressés, on n'envoie que le solent.
La mer est peu agitée tant qu'on est encore à l'abri des
Roques, puis se creuse franchement.
On pêche successivement deux barracudas, de 70 et 50cm, que l'on
relâche dans l'espoir de pêcher mieux, malgré les protestations
de Romain. Il avait raison, on sera finalement bredouille à l'arrivée!
Las Aves, ce sont deux minuscules archipels, en fait deux atolls anciens
aux contours émoussés, d'un diamètre de 5 milles
environ, et séparés par moins de 10 milles. Le groupe au
vent, que nous atteindrons bientôt, s'appelle Las Aves de Barlovento,
le groupe sous le vent (par rapport au premier), se nomme logiquement
Las Aves de Sotavento.
Le relief incertain des premières îles se dessine petit à
petit sur l'horizon, et à 15 heures on tourne le waypoint de la
pointe ouest de Isla Sur. Demi-surprise au moment de démarrer le
moteur bâbord, la pompe de refroidissement refuse de cracher son
eau de mer, signe classique et désormais habituel de sa mauvaise
volonté. Sans pompe, pas de moteur, mais heureusement sur un cata
il y a deux moteurs, et le tribord ne nous lâche pas. Malgré
tout, avec le vent fort de travers, le clapot et les courants, ça
coince un peu pour virer de bord: même en enroulant le solent, donc
à sec de toile, le bateau refuse de virer sur un seul moteur. Pas
évident de reprendre assez d'élan dans cette zone où
il faut slalomer entre les bancs de sable et les patates de corail. J'insiste
donc pour démarrer le moteur bâbord, et finalement à
la cinquième tentative la pompe crachote enfin. Il faut faire vite,
je sais qu'elle agonise et que le moteur n'est pas refroidi correctement.
On lâche l'ancre dans la deuxième baie en remontant vers
l'est, sur deux mètres de sable blanc.
On est face à un rideau de végétation
constitué de mangrove et d'arbres assez hauts, qui abrite
un impressionnant peuplement d'oiseaux aux cris rauques et à
l'odeur ... entêtante.
Pas de doute, on est bien dans l'archipel de "Las Aves",
les oiseaux en espagnol.
Dans le ciel ainsi qu'à tous les étages de la mangrove,
c'est un incessant trafic, les volatiles vont et viennent d'un air
affairé, ou alors planent simplement en grandes arabesques
dans l'azur. Ils sont des milliers. Il faudra aller voir ça
de plus près demain, pour l'instant on se contente de les
observer aux jumelles. |
La mangrove abrite des milliers d'oiseaux |
Sous l'eau, une rapide plongée avec Romain et
Bastien nous révèle un récif décevant, bien
moins peuplé qu'aux Roques, avec des poissons plus craintifs. Il
faut dire que nous sommes juste à côté d'un campement
de pêcheurs... On ramène quand même une langouste,
petite mais suffisamment décente pour passer à la casserole.
25 mai, Las Aves de Barlovento,
Isla Sur, deuxième baie
Ce matin, nous explorons la mangrove en annexe, avec appareil photo et
caméscope, les ornithologues à l'action! On s'approche doucement
des arbres pour ne pas effrayer les oiseaux d'abord au moteur, puis à
la rame. Ensuite, en s'accrochant aux branches à côté
des nids, on peut les admirer de très près, à quelques
mètres, en silence. Ce sont tous des "red-footed boobies",
des fous à pieds rouges. Effectivement, leurs pattes sont terminées
par de jolies palmes souples, de couleur rouge vif, dont ils se servent
aussi bien pour nager que pour s'agripper aux branches de leur habitat.
Il y a des jeunes en duvet blanc, à l'air un peu ahuri, encore
coincés au nid car ils ne savent pas voler.
Leurs aînés sont tout gris et volent, parfois maladroitement,
avec des difficultés à se mouvoir dans le fouillis des branchages
entrelacés. Leur bec prend une belle teinte bleu pâle, très
assortie au gris de leur plumage.
Les adultes sont blanc et noir, volent et planent majestueusement, parfois
au-dessus de la cime des arbres, parfois en piqué et au ras de
l'eau. Ils plongent aussi pour pêcher du poisson et nourrir leurs
petits.
Un jeune fou au superbe duvet |
Un fou à pieds rouge, jeune adulte |
Nous parcourons lentement le dédale des eaux
calmes entre les îlots de mangrove, au milieu de cette belle activité
et des cris incessants des oiseaux, imprégnés de l'odeur
aigre de leurs déjections. Puis nous débarquons sur la plage
où le campement de pêcheurs est installé, malgré
les aboiements furieux d'un chien noir, que ses maîtres rappellent
à l'ordre. Nous traversons à pieds l'étroite frange
de mangrove jusqu'à la plage sur la côte au vent, battue
par les vagues.
Avant midi, nous changeons de mouillage, grande navigation de presque
un mille jusqu'à la baie suivante. Ici, même paysage de mangrove
ornée d'une rangée d'arbres élancés aux tortueuses
ramifications. Nous plongeons rapidement avant le déjeuner, à
côté du bateau jusqu'au pied de la mangrove, mais il n'y
a rien à voir. Puis avec Romain et Bastien sur un des bancs de
corail qui forme la baie, au nord. Pas beaucoup de poissons non plus,
ou alors des petits. Bastien déniche une petite langouste, visible
depuis la surface car ses antennes dépassent. On la laisse. Romain
en tire une à peine plus grosse. En replongeant l'après-midi,
on finit par trouver un banc de corail plus important un peu plus loin
au milieu du lagon. On ramène quatre pagres, deux jaunes et deux
gris, qui finissent sur le barbecue en brochettes ainsi que dans une délicieuse
tarte où ils rejoignent la langouste de Romain.
26 mai, Las Aves de Barlovento,
Isla Sur, deuxième baie
Les ornithologues sont de retour ce matin: on débarque dans la
mangrove par un petit tunnel naturel sous les palétuviers. On marche
assez longtemps, mais sans trouver à pénétrer vraiment
dans la végétation trop dense. Par contre, on observe une
autre espèce de fous, à pattes jaunes cette fois,
qui niche dans les débris de corail mort au bord des vagues. Plusieurs
nids, dont un avec deux petits en duvet couvés par leur mère
et un autre avec un seul petit, apparemment sans protection. Mais en regardant
mieux, on remarque plusieurs adultes montant la garde sur les récifs
alentours.
Revenus à l'annexe, nous longeons ensuite
la bordure de la mangrove dans la baie. C'est là que l'on
observe le mieux les oiseaux, on pourrait les toucher, mais on s'abstient
bien sûr. Face au nid d'un jeune fou, nous restons là
un moment les yeux dans les yeux en silence, aussi curieux l'un
que l'autre, et je suis sur qu'à ses yeux nous sommes au
moins aussi bizarre et fascinant qu'il l'est pour nous.
Mais il est difficile de deviner les pensées profondes de
ce jeune volatile duveteux et ahuri. |
Qui observe qui, finalement? |
Un peu plus loin dans la petite baie, nous rencontrons
une barque de pêcheurs en pleine action: ils ont déployés
un filet le long de la mangrove, six d'entre eux sont dans l'eau avec
masque et tuba pour surveiller et rabattre le poisson. Ils remontent le
filet petit à petit, plein d'espèces différentes,
il y a même un poulpe. Ils nous invitent à regarder le tas
de poissons grouillant et frétillant dans leur barque, et devant
nos regards envieux, nous offrent gentiment trois carangues et un pagre,
que nous mangeons en papillote à midi.
La Casa nous rejoint au mouillage. Chaque équipage s'occupe l'après-midi
de trouver la pitance du soir, chacun sur un récif différent.
Bilan: dix poissons pour dix personnes, pour un bon dîner sur La
Casa.
27 mai, Las Aves de Barlovento,
Isla Sur, deuxième baie
C'est encore une de ces journées agréables et nonchalantes,
ponctuée par les séances de pêche habituelle du matin
et de l'après-midi. Pour varier le menu aujourd'hui, les Pascales
ont ajouté à nos poissons et langoustes une douzaine de
conches de bonne taille.
C'est ça qui se mange, et c'est succulent! |
On se lance donc dans la longue préparation
de ces délicieux mollusques sur la plate-forme arrière
de La Casa.
Le procédé est simple: d'abord percer un trou, au
bon endroit, afin de sectionner le muscle qui attache l'animal à
sa coquille. Puis extirper la bête en la tirant par son ongle
unique. Ensuite extraire la chair en enlevant tout ce qui ne se
mange pas: les yeux, la cervelle (la comprenance comme
disait des amis québécois rencontrés à
Caicos), le sexe, les viscères, le tout bien visqueux, gluant,
collant. Une fois la chair dépouillée de ces déchets
peu ragoûtants, puis lavée, il faut encore l'attendrir,
en la battant ou en pratiquant de petites incisions, aussi nombreuses
que possible pour couper les fibres du muscle. Le tout a pris plus
de deux heures à trois personnes!
Pascale les fait cuire à la poêle, mélangées
aux oignons, poivrons, tomates, et ail finement ciselés. |
Le soir, on se régale d'une belle quantité
pour chaque adulte, les enfants gouttent mais n'en raffolent pas (heureusement!),
sauf Romain, Bastien et Léo. Les plus jeunes mangent du poisson
grillé cuit au barbecue par Romain.
28 mai, Las Aves de Barlovento,
Isla Sur, deuxième baie
Pascale et moi, chacun notre tour, retournons voir la bordure de la mangrove
en kayak, pour observer les oiseaux tranquillement, seul et en silence.
On constate que les petits, toujours en duvet, ont maintenant des plumes
de quelques centimètres qui ont poussé en deux jours. Ils
agitent leurs moignons d'ailes en guise d'exercice, mais ne sont visiblement
pas encore prêts à voler, bien que de taille identique à
leurs parents.
La plongée de l'après-midi permet à Patrick de ramener
une langouste record de 3kg et de plus d'un mètre! C'est encore
un dîner sur La Casa, record oblige, les enfants mangent du poisson
et vont au lit, et nous dégustons la langouste en cari, avec des
nouilles chinoises. La soirée se termine par une couinche.
29 mai, Las Aves de Barlovento,
mouillage sur la barrière de corail nord-est
Les couleurs du lagon nous appellent. Nous quittons vers 11h30 notre petite
baie aux oiseaux pour aller mouiller dans le grand bleu au milieu de rien
devant la barrière de corail. Après un bref slalom à
travers les patates, on navigue bientôt sur 20 mètres de
fond vers le nord, à vue. Le regard est tellement fasciné
par le ciel et la mer, qu'on oublie de scruter la surface devant les étraves
et qu'on accroche la bouée d'un casier un casier à langoustes.
Rien de bien grave, j'ai le temps de mettre les moteurs au point mort
avant que les hélices soient touchées, l'aileron protecteur
qui les précède a bien joué son rôle en accrochant
l'orin. Je le dégage facilement sous l'eau.
On mouille finalement devant un îlot
de sable. Mais on ne reste que le temps de déjeuner car l'ancre
est mal accrochée sur un fond mixte de sable et de corail,
elle ne résisterait pas à un changement de direction
de vent ou à un renforcement. On n'a pas envie de déraper
en pleine nuit dans le secteur, c'est un vrai champ de mines avec
tous ces récifs à fleur d'eau.
On repère un autre endroit un peu plus loin, sorte d'anse
au milieu de l'eau, abritée des vagues par plusieurs petites
barrières de corail affleurantes.
Étrange sensation, la houle qui brise à quelques encablures
devant nous, les quelques îlots que nous avons quitté
ce matin sur notre horizon tribord, et nos deux catamarans, seuls
face au vent et à l'immensité bleue. |
Les couleurs du lagon nous appellent ...
|
Les enfants vont jouer sur La Casa. Patrick part seul
en annexe pêcher, pendant que je pars à la nage sur les récifs
à moins de cent mètres devant nos étraves. J'ai quitté
Imagine depuis à peine deux minutes quand je croise un banc de
carangues, fugaces et agitées. Je vise la plus proche, transperce
ma cible, et ... une deuxième carangue sur la même flèche!
Belle réussite, peut-être grâce à mon nouvel
élastique plus puissant ... qui casse immédiatement quand
je recharge le fusil! Après un rapide aller-retour au bateau pour
changer de matériel, je reviens sur ce site prometteur et ne tarde
pas à trouver des langoustes, d'énormes langoustes. Il y
en a beaucoup trop pour nous, je prends le temps de faire le tour des
patates de corail pour faire mon choix. J'en tire finalement deux par
un mètre de fond sous des platiers. La plus grosse est impressionnante:
3kg pour 1m12, c'est mon record!
L'équipage de La Casa, sauf Patrick toujours à la pêche,
rejoint Imagine à la nage pour admirer la prise exceptionnelle.
Elle est aussi grande que Fiona! On fait des photo de la grosse bête
avec les enfants, la pauvre langouste laisse échapper un mucus
visqueux qui se répand sur le pont, et prépare sans le savoir
sa vengeance: au moment de repartir, Carla glisse sur les marches de la
jupe arrière tribord, fait une chute de sa hauteur et son bras
gauche heurte un angle: à son cri, et à l'angle effrayant
que fait le membre juste sous l'épaule, nous comprenons avec horreur
qu'elle vient de se fracturer le bras. Je suis à côté
d'elle, elle est restée assise sur la marche, je lui maintiens
les deux parties du bras dans la position normale pendant que sa mère
tente de la rassurer et que Pascale cherche dans notre pharmacie de bord
de quoi la soigner. La fracture est nette, non ouverte, on immobilise
tout ça avec une attelle et un bandage, plus une écharpe
et on lui donne un antalgique. Carla est incroyablement courageuse pour
une petite fille de 10 ans, et une fois la fracture réduite, semble
supporter ce malheur sans trop de souffrance.
C'est alors que Patrick arrive de sa pêche et découvre la
catastrophe, atterré. Ses deux énormes mérous passent
inaperçus. La nuit va tomber, impossible de lever l'ancre et de
naviguer dans l'obscurité parmi les patates de corail, il faudra
attendre demain avant de rejoindre l'hôpital le plus proche, celui
de Bonaire à 60 milles, soit une journée de mer de notre
position. Heureusement Carla ne souffre pas trop, elle est surtout désolée
d'obliger toute sa famille à quitter cet endroit merveilleux, le
jour où l'on avait trouvé le plus fantastique site de pêche
de tout notre séjour au Venezuela! C'est la vie...
|
Nathan, Fiona, et Carla venus admirer la langouste
...
... et
Carla quelques jours après |
Nous faisons de rapides adieux le soir sur La Casa, on
offre un album de jeux à Carla, et les cadeaux d'anniversaire prévus
pour Pascale, sa maman, avec 3 jours d'avance, puisque du coup on ne le
fêtera pas ensemble...
30 mai, Las Aves de Barlovento,
mouillage sur la barrière de corail nord-est
La Casa lève l'ancre à 6h15, on les regarde partir
en espérant que tout se passe bien pour Carla, et Imagine
reste seul au mouillage. Pendant le petit déjeuner dans le cockpit,
Bastien aperçoit soudain une bande de dauphins nageant dans notre
direction! Sans hésiter Romain et moi saisissons nos masques, palmes
et tubas pour les rejoindre. Instant magique où l'on nage sous
l'eau au milieu des dauphins, qui nous regardent tout en communiquant
de leurs étranges cliquetis. Ils doivent conclure qu'il vaut mieux
partir, car ils nous quittent hélas aussi vite qu'ils étaient
venus! La scène n'aura pas duré plus d'une minute, mais
ce fut une minute de rêve!
La plongée de l'après-midi est une amère déception:
les langoustes ont déserté les lieux. On a du mal à
ramener les quelques poissons du repas. Pendant que Romain les nettoie
sur la jupe arrière, un gros barracuda noir se jette sur tout ce
qui tombe à l'eau autour du bateau. Il ne faudrait pas trop se
rincer la main en l'agitant dans l'eau ...
Le vent monte en soirée à plus de 20 noeuds, puis à
25/30 noeuds toute la nuit. Malgré la confiance dans notre mouillage,
ancre bien enfouie dans un bon sable, l'angoisse est toujours présente.
Un dérapage ici dans le noir serait fatal, on est entouré
de récifs!
Nous parlons à La Casa le soir en BLU: ils sont bien arrivés
à 17h à Bonaire, ont vite trouvé l'hôpital,
la radiographie confirme une fracture simple sans gravité. Carla
sera plâtrée le lendemain.
31 mai, Las Aves de Barlovento,
mouillage sur la barrière de corail nord-est
On ne plonge pas ce matin, le temps est couvert et trop venteux. Ça
se calme en début d'après-midi, on y va tous les quatre.
Toujours pas de langoustes, on ne ramène qu'un pagre mahogany,
cuisiné en taboulé. Le matériel commence à
nous lâcher, les élastiques des fusils cassent les uns après
les autres... il faut dire qu'on ne les ménage pas.
La Casa nous annonce par BLU leur intention de revenir aux Aves dès
que le vent se calmera. Il y a au minimum 30 milles contre le vent et
la mer jusqu'au premier archipel des Sotavento. Carla a finalement été
simplement bandée avec une attelle, et seulement pour 3 semaines.
Le vent souffle toujours entre 25 et 30 noeuds, mais maintenant de nord-est,
nous rapprochant un peu plus des cailloux... ce mouillage me plait de
moins en moins, surtout la nuit.
1er juin, Las Aves de Barlovento,
retour à Isla Sur
Ce mouillage est trop désagréable, on sera plus sereins
dans la baie des fous aux pieds rouges, où l'on était avant.
Départ à 11h, au moteur, arrivée à midi. C'est
beaucoup plus calme: pas de clapot, plus que 15 à 20 noeuds de
vent derrière l'écran végétal de la mangrove.
La météo n'annonce aucun changement pour au moins les quatre
prochains jours.
Nous retrouvons nos coins de pêche. Nous ramassons des conches,
sur lesquelles Pascale essaye une nouvelle préparation plus simple:
un séjour dans la cocotte pour les attendrir puis cuisson à
la poêle. C'est très bon!
2 juin, Las Aves de Barlovento,
Isla Sur
On nettoie un peu les coques, couvertes d'algues brunes. Un barracuda
de bonne taille nous surveille, Bastien et moi. On ne le quitte pas des
yeux ...
Je plonge l'après-midi avec Romain et Bastien. Vers les récifs
à l'extrémité est de Isla Sur, l'eau est très
claire et chaude. On ramasse des oursins blancs pour goûter. Romain
trouve un crabe corail. On prend une langouste et trois pagres jaunes.
Les oursins ne sont pas très garnis, c'est bon mais maigre! Romain
se régale. La Casa est en route pour Sotavento, au près.
3 juin, Las
Aves de Barlovento, Isla Sur
Dernière visite à nos amis les oiseaux de la mangrove.
C'est intéressant de voir l'évolution des petits dans
leur nid, depuis notre dernier passage il y a 8 jours. Les plumes
ont poussé par-dessus le duvet, presque 1 cm par jour d'après
nos estimations. Mais ils ne sont pas encore prêts à
voler.
On observe aussi deux jolis hérons striés, aux pattes
jaunes et yeux jaunes également.
Pascale mitraille... une vocation de photographe animalier est née! |
Héron strié à l'affut |
Puis on rend visite à François et Virginie,
sur un vieux catamaran en bois de 1970 parti de Guadeloupe il y a six
mois. Ils nous racontent leurs mésaventures vénézueliennes.
D'abord le vol de leur annexe aux Testigos pendant qu'ils regardaient
pondre une tortue luth la nuit sur une plage, pendant quatre heures. Des
bateaux au mouillage ont vu une lancha prendre l'annexe en remorque et
partir en pleine nuit tous feux éteints. Les garde-côtes
ont enregistré la plainte et communiqué avec le port d'attache
de la lancha, bien identifiée, mais il n'y a pas eu de suite. Autre
mésaventure à Juan Griego, sur l'île de Margarita,
où ils ont été victimes d'une arnaque au distributeur
de billets: devant un distributeur en panne, un vénézuelien
les aborde gentiment pour leur indiquer une autre machine qui fonctionne
bien pour les cartes Visa. Ils le suivent, essayent, mais ça ne
marche pas non plus, et finalement ils abandonnent à cause de la
présence devenue un peu trop pesante de l'individu derrière
eux. En revenant un peu plus tard vers cette machine, ils s'aperçoivent
que le lecteur dans lequel ils avaient glissé leur carte n'est
plus là, il devait avoir été installé provisoirement
par-dessus le lecteur d'origine de la machine, et ne servait qu'à
enregistrer les informations de leur carte! Ils s'en sortiront sans dommage
grâce à leur clairvoyance, par une simple opposition sur
la carte de crédit.
Romain nous pêche un mérou et un pagre, nous épargnons
quelques langoustes brésiliennes, trop petites.
4 juin, Changement d'archipel: vers Las Aves de Sotavento
Encore une petite navigation par beau temps, en tirant deux bords de vent
arrière en direction de la pointe sud de Sotavento. On pêche
un barracuda que l'on relâche (encore!). Puis en arrivant sur Sotavento,
une grosse touche emmène notre leurre et déroule le fil
à toute vitesse. On mouline, on relâche, le poisson se bat
bien, mais on le rapproche petit à petit. On identifie un thon
quand il n'est plus qu'à une dizaine de mètres derrière.
Soudain, il sonde une dernière fois et ressort... coupé
en deux, il ne reste que la tête! On remonte donc une tête
de thon, la bête entière devait faire dans les deux à
trois kilos. Quelqu'un s'est régalé avant nous. Requin,
dauphin ou barracuda? On n'a rien vu (un banc de dauphins nous avait accompagné
un peu avant).
On ne se laisse pas abattre, car il reste quand même assez de chair
pour quatre bonnes portions de sashimi à midi.
Nous arrivons à 13 heures sous le vent de l'îlot Saki Saki,
où l'on retrouve La Casa. C'est encore un de ces mouillages où
il vaut mieux être sûr de son coup, le passage entre les patates
pour se rapprocher de la plage ne serait pas praticable de nuit. Mais
notre ancre tient bon, il n'y a qu'un mètre d'eau sous les coques!
L'îlot est peuplé de milliers d'oiseaux, des sternes, des
noddy bruns, des mouettes, et de leurs petits, ça vole en permanence
en criant, même la nuit. Belle ambiance sonore et olfactive!
Ce soir nous fêtons en retard l'anniversaire de Pascale sur La Casa.
Un bon prétexte pour aller faire notre marché sous l'eau:
quelques langoustes, des poissons, ainsi qu'un "poupinet", ou
cigale de mer d'environ 1 kg. Les garde-côtes vénézueliens,
stationnés un peu plus au sud, nous font une petite visite au milieu
de notre pêche pour un contrôle des papiers du bateau et de
l'équipage. On leur offre une bière, pas de problème,
ils sont sympas.
Le soir, c'est le dîner sur La Casa, avec au menu: foie gras et
champagne, langouste, cigale et poisson. Puis on couinche. jusqu'à
très tard.
5 juin, Las Aves de Sotavento, Saki
Saki
Le vent souffle toujours entre 20 et 25 noeuds. Excursion en famille à
la plage le matin, puis dans l'île au milieu du vacarme impressionnant
des oiseaux.
Nous sommes au coeur d'une volière, il y en a partout.
Sur les branches des maigres arbustes, dans les nids, en l'air juste
à quelques mètres au-dessus de nos têtes. Au
sol, les petits courent comme des grives, ne sachant pas encore
voler. Les nids des noddy bruns ont encore des oeufs.
Nous restons accroupis, immobiles, laissant passer la furieuse agitation
qu'a provoquée notre intrusion dans leur domaine, baissant
la tête au passage de certains excités ou maladroits.
Nous nous faisons oublier, accepter, pour observer tranquillement
ce peuple étranger. Ça sent fort le guano, mais c'est
un merveilleux spectacle! |
Au coeur de la volière |
Pour la pêche du jour, nous traversons la partie
nord du lagon en annexe. L'eau est très claire sur la barrière
de récifs au nord-est de Sotavento, les fonds sont très
jolis et poissonneux. Bilan: 6 langoustes brésiliennes et un pagre
colas pour Bastien (qui n'aime toujours pas la langouste!), et un requin
dormeur qui fait un somme dans sa grotte, et qu'on a bien entendu laissé
dormir.
6 juin, Las Aves de Sotavento, Saki
Saki
Nous recevons la visite matinale du skipper d'un bateau battant pavillon
français ancré de l'autre côté de L'îlot
C'est un Français installé à Cumana sur la côte
vénézuelienne depuis plus de vingt ans, qui vit du charter
et d'un restaurant. Il nous porte une cinquantaine de bananes, et nous
dit qu'il y a des traces de tortues sur la plage.
Nous allons faire le tour de l'île à pieds avec Pascale,
Romain, Bastien et Léo, et trouvons en effet 6 traces de tortues
venues pondre. Deux d'entre elles sont très fraîches et pas
encore effacées par la marée. Les traces sont bien caractéristiques,
il y a une large traînée centrale, et des paliers pour l'appui
des pattes de chaque côté. Ça se termine par le nid,
un large cercle où le sable a été visiblement remué.
Il y a parfois deux nids au bout des traces, comme si l'un d'entre eux
était un leurre ou un essai raté. Malgré notre curiosité,
nous nous abstenons évidemment de creuser pour vérifier
la présence des oeufs. Les tortues ont bien assez de prédateurs
dans la nature.
Comme d'habitude, la plage au vent est souillée de déchets
en tous genres: bouteilles en plastique, ustensiles, et un nombre incroyable
de chaussures. C'est partout pareil, où que l'on aille. La vision
de l'île déserte au sable blanc immaculé fait hélas
partie du passé ou de l'imaginaire. L'île est toujours là,
lointaine, inaccessible, sauf pour les restes indésirables de notre
société qui viennent s'y accumuler en traversant les océans,
doucement, mais inexorablement. Dégoûtés par ce spectacle
affligeant nous ne pouvons que prendre des photos pour témoigner.
Quelques oiseaux, surtout des mouettes rieuses, couvent leurs oeufs dans
les taillis, insensibles à ce scandale.
Fait rare: il n'y aura pas de plongée aujourd'hui car on décide
de faire une expédition nocturne sur l'île dans l'espoir
d'assister à une ponte. On débarque ver 21 heures, au clair
de lune, et nous nous postons en deux groupes sur chacune des plages où
nous avons vu des traces. L'attente commence. Les enfants construisent
une cabane pour s'abriter du vent (plus de 25 noeuds) et du sable qu'il
soulève. Les oiseaux nous accompagnent de leur vacarme habituel,
devenu tapage nocturne. Les heures passent, seul à mon poste je
savoure cette ambiance sauvage, cette lumière lactée qui
adoucit le paysage, le souffle du vent, les cris des oiseaux qui s'endorment
enfin. Rien ne se passe. Nous levons le camp à minuit, déçus.
Peut-être trop de lune?
Les traces d'une tortue venue pondre |
Expédition nocturne d'observation des tortues |
7 juin, Las Aves de Sotavento, Saki
Saki
Pascale nage jusqu'à la plage et fait le tour de l'île, pas
de nouvelles traces. Plongée l'après-midi tous les quatre.
On voit une belle raie pastenague que l'on observe s'enfouir dans le sable.
Bastien tire sa première carangue! On ramène quelques langoustes
brésiliennes et du poisson. Après le repas, caïpirinha
avec La Case sur Imagine suivie d'une couinche. très animée
... les cartes volent!
8 juin, Las Aves de Sotavento, départ
de Saki Saki vers la barrière est de Sotavento
La météo annonce une accalmie, le vent retombe entre 15
et 20 noeuds. Nous décidons d'aller mouiller devant la barrière
de corail qui protège le lagon de Sotavento à l'est. Le
trajet d'une heure est sans histoire, on slalome entre les pâtés
de corail, face au vent. On mouille près d'une épave de
méthanier. L'ancre est posée sur un mètre de fond
de sable, le bateau recule sur un tombant de 11 mètres. L'eau très
claire, mais il y a beaucoup de courant et peu de poisson. Nous ne ramenons
que des langoustes brésiliennes aujourd'hui.
9 juin, Las Aves de Sotavento, sur
la barrière est
Le vent est revenu plus tôt que prévu, mais le mouillage
reste calme. Plongée l'après-midi tous les quatre, d'abord
sur un des bancs de corail derrière les bateaux, dans le lagon,
puis sur une autre partie du récif. Comme tous les jours on passe
des heures dans l'eau, jusqu'à ce que les crampes me paralysent
les orteils. Romain nous trouve deux langoustes royales, et nous n'oublions
pas de nourrir Bastien avec un rouget et une carangue.
10 juin, Las Aves de Sotavento,
sur la barrière est
Ce matin est une délivrance: Romain a fini le CNED! Vive les vacances!
Des pêcheurs nous demandent des cigarettes et nous offrent une langouste
et un poupinet. La mission de l'après-midi avec avec Romain et
Bastien est de ramener assez de langoustes pour un repas avec La Casa
le soir: on veut fêter la fin de cette brillante année de
CNED. En deux endroits différents de la barrière côté
lagon, et en plusieurs heures, nous avons notre repas: quelques poissons
pour les enfants, et huit brésiliennes pour les amateurs. Patrick
en ajoute quatre, plus celles des pêcheurs, le rougail est assuré!
Repas de fête sur Imagine.
11 juin, Las Aves de Sotavento,
départ de la barrière est vers Curricai
On quitte ce mouillage isolé vers 11 heures, et après une
petite heure de navigation dans le lagon, on atteint l'îlot de Curricai:
une longue plage de sable blanc, un unique cocotier, et un campement de
pêcheurs. Pêche de routine, Romain nous gratifie de quatre
brésiliennes, qui agrémenteront le reste de rougail. On
rentre assez tôt au bateau. Les enfants font une partie de "Richesses
du Monde" avec Léo. Pas de fiesta ce soir, tout le monde au
lit de bonne heure.
12 juin, Las Aves de Sotavento,
Curricai
Tour de l'île à pieds le matin. Belle plage de sable à
l'ouest, là où les pêcheurs ont installés leurs
deux cabanes, et sur la côte est, exposée au vent, on retrouve
les habituels déchets. Il n'y a pas de traces de tortues. Des navigateurs
de passage ont apparemment essayé de faire pousser des cocotiers
sur cette terre désolée: plusieurs rangées de jeunes
plants, chacun avec un petit panneau devant indiquant le nom du planteur
et la date, agonisent tristement au soleil, trop de sel, pas assez d'eau
sans doute. Tous ces panneaux alignés, on dirait un cimetière.
Nous profitons de cette belle plage, baignade générale!
Des pêcheurs nous offrent deux langoustes royales et un crabe corail.
On leur apporte en échange des cigarettes et une petite bouteille
de rhum. Il n'y a pas de tractations dans ces échanges, ni même
de demande la plupart du temps. L'offre est le plus souvent spontanée,
même si chacun sait qu'il convient de donner quelque chose en retour.
Nous profitons des fonds marins, c'est aujourd'hui notre dernière
plongée au Venezuela, ensuite nous partirons sur Bonaire où
la chasse est strictement interdite. En guise d'adieu, je débusque
une belle langouste royale de deux kilos, une brésilienne trouvée
par Bastien, et un pagre colas pour son repas. Nous ne savons pas encore
à ce moment là à quel point les trois mois de plongée
et de chasse sous-marine que nous venons de vivre ont été
exceptionnels, et que nous ne retrouverons jamais lors de ce voyage jusqu'en
Polynésie un espace aussi idéal que les îles du Venezuela.
La Casa accueille notre dîner d'adieu ce soir, avec un ultime menu
de langouste et de crabe.
13 juin, Las Aves de Sotavento,
Curricai
Départ reporté, le vent souffle à 30nds, je suis
coincé du dos, est-ce psychologique? Difficile de tourner cette
page. Romain et Bastien jouent toute la journée avec Léo
sur Imagine. Activités calmes pour nous: lecture et tri de photos.
La Casa s'invite pour l'apéro. Le vent baisse légèrement
en soirée à 20-25 noeuds.
L'îlot Curricai, notre dernière vision des Aves |
14 juin, départ de Las Aves de Sotavento vers Bonaire
Nous quittons les Aves à 8h25, sous un beau ciel bleu et par 20
noeuds de vent d'est. C'est une navigation tranquille de 45 milles, qui
commence avec 1 ris dans la grand-voile, et solent en ciseaux. Nous traînons
la ligne de pêche, comme d'habitude. Soudain, une touche sur la
ligne, à peine quelques secondes et plus rien. Notre oreille avertie
reconnaît la touche du marlin. Une furieuse traction sur la ligne
devrait suivre ... maintenant! C'est parti! On doit rouler le solent,
stopper le bateau, et finalement manoeuvrer pour suivre notre leurre entraîné
à toute allure perpendiculairement à notre route, tellement
ça tire fort sans que le frein du moulinet n'arrive à arrêter
le fil qui se dévide. Après un bon quart d'heure d'efforts,
nous avons ramené le poisson assez près pour le voir sauter
plusieurs fois, c'est bien un marlin, et il est magnifique, énorme!
Il finit par s'épuiser, se laisse tirer sans nager, sur le flanc.
Il est à moins de 15 mètres, on l'imagine déjà
dans notre assiette, bien que je me demande comment on va pouvoir hisser
à bord un animal pareil. Il ne nous donnera pas cette peine: dans
un dernier sursaut d'une énergie incroyable, il s'élance
dans les airs, vrille son corps et d'un violent coup de tête, casse
net notre ligne. Dommage, mais quel spectacle rare!
Le reste de la navigation sera bien plus calme. On passe la pointe sud
de Bonaire à 15 heures, on empanne, et après une heure agréable
et rapide sur une mer plate à l'abri de la côte, on atteint
la zone de mouillage de Kralendijk, où l'on s'amarre sur un corps
mort.
A suivre...
Les
photos de Las Aves de Barlovento
Les
photos de Las Aves de Sotavento |