De Méditerranée en Atlantique...

De Formentera à Rota par Pascale


Jeudi 22 Septembre 2005 à 18h, nous partons de Formentera après avoir enfin reçu le paquet du chantier Outremer et vainement téléphoné à presque tous les fournisseurs des Baléares et d'Espagne pour trouver el motor del molinete (comme Pascal le dit si bien maintenant), c'est-à-dire le moteur du guindeau, à changer.
Nous décidons de tenter notre chance à Cadix, il y a un grand port avec les services adéquats, sur le continent il sera certainement plus facile et moins long de trouver les bonnes pièces. Qui plus est, ce qui tracasse le Capitaine depuis quelques jours déjà, c'est le passage du Détroit de Gibraltar; les cartes météo lui indiquent un vent d'Est modéré et favorable pour les jours qui viennent et il faudrait en profiter car il risque d'être de plus en plus pénible de traverser le détroit dans de bonnes conditions au fur et à mesure que l'automne s'installe (certains bateaux ont attendu jusqu'à 3 semaines)!
Le rythme des quarts s'installe à bord, le vent faiblit pendant la nuit, les voiles fassayent et l'on finira par mettre le moteur au petit matin pour avancer un peu. En fin de matinée on passe le cap de Gata et l'on rentre dans la mer d'Alboran, dernière partie avant l'Atlantique. Pour moi, la mer d'Alboran rime avec trop ou pas de vent, soit force 10 soit pétole (un outremer 45 y a même affronté 80 noeuds de vent!). Nous, on a droit à 3 noeuds de vent dans le nez, et on continue avec une journée et une nuit de moteur!

La météo annonce encore le même temps pour les jours suivants et ça nous saoule tellement que l'on décide de s'arrêter dans le port d'Almérimar sous les hourra! des enfants qui sont très contents de s'arrêter dans ce port (créé avec sa ville champignon dans les années 80, dans un paysage désertique au milieu de serres à perte de vue au pied de la Sierra Nevada) pour la troisième fois depuis notre premier voyage. Mais bon, on n'en a que des bons souvenirs; à chaque fois les gens ont été très chaleureux et on y a fait d'agréables rencontres. On y arrive samedi soir à 20h, au coucher du soleil.


Le port d'Almérimar

Lundi 26 Septembre 2005, Pascal va trouver le professionnel du chantier du port, Paolo, qui très serviablement nous promet illico la pièce et la réparation pour mercredi au plus tard! Le Capitaine a un doute, mais mieux vaut tenir que courir, et on décide donc de lui faire confiance. On a eu raison car mercredi soir, le moteur était changé, les câbles et la boite relais remplacés et il avait en plus installé un coupe-circuit entre le fusible et la boite relais pour plus de sécurité. Bon, il semblerait que cet incident de parcours ne soit bientôt plus qu'une anecdote! Et hop, jeudi midi, on remballe et on part... non pas direct pour les Canaries comme il était prévu, mais pour Rota dans la baie de Cadix pour un problème médical bénin mais qu'il parait raisonnable de régler avant une traversée de plusieurs jours.
D'après la météo, le vent d'Est est toujours présent et favorable pour passer Gibraltar, mais il ne faut pas traîner. A la sortie du port, le vent n'est pas vraiment établi, on avance donc au moteur, le vent devrait se lever dans l'après-midi, soyons optimistes la météo l'a dit. Deux heures plus tard, le moteur bâbord s'étouffe, vite! les moteurs au point mort, c'est un bout de filet de pêche qui s'est pris dans l'hélice. Il va finalement se détacher tout seul pendant que Pascal se prépare à plonger. Les enfants ne sont pas très rassurés car il y a 90 mètres de fond, et ils surveillent pendant que Pascal fait une inspection rapide de l'hélice pour vérifier qu'il n'en reste pas un morceau coincé. Il faut dire que depuis le départ, il ne se passe pas 5 minutes sans que l'on ne voit un détritus flotter à la surface ou entre 2 eaux comme ce bout de filet de pêche. Avec les enfants, on a d'ailleurs décidé d'en faire un album photo pour montrer toutes les choses hétéroclites que l'on rencontre sur la mer, poubelle. C'est impressionnant et très inquiétant, surtout le nombre de sacs plastiques que les tortues, les dauphins et autres animaux marins prennent pour des méduses; ils en meurent ensuite! Le moteur donnera encore 2 alertes brèves, plus tard dans la soirée, sans pour autant voir ce que c'était.
La nuit est calme mais la veille doit être attentive, on sent nettement que le trafic des cargos s'intensifie au fil des heures, Gibraltar approche. Le radar ne désemplit pas, avec un flot incessant de gros navires qui nous passent à bâbord ou à tribord, en moins d'un quart d'heure. La lune se lève vers 5h. Le vent est toujours faible variable, mais la mer se ride légèrement. Une bande de dauphins et globicéphales viennent quelques instants à notre rencontre puis s'éloignent, c'est l'heure de leur petit-déjeuner, le nôtre aussi d'ailleurs. A 9h, on est face au rocher de Gibraltar et un énorme cachalot aux formes un peu carrées nous barre le passage. On l'évite, c'est un sous-marin (drapeau britannique) qui traverse le détroit escorté par une vedette armée jusqu'aux dents, qui doit trouver que l'on ne s'écarte pas assez à son goût et nous vise tranquillement lorsqu'elle nous passe à côté!!! On apprendra le lendemain à la radio espagnole, que l'Espagne souhaite que le sous-marin nucléaire basé à Gibraltar s'en aille! Ça devait être celui-là.... Pas discret! Quelques instants plus tard,, des dauphins et globicéphales nous accompagnent un peu devant les étraves (on préfère ce genre d'escorte!).


Torpilles ou globicéphales?

Sous-marin ou cachalot?

La traversée du détroit dure 2 heures et pendant ce temps le vent monte doucement mais sûrement et au passage de Tarifa c'est un vent force 6 à 8 qui nous expulse de Méditerranée et nous propulse littéralement en Atlantique! C'est un bizutage ou quoi ??? On l'avait pourtant déjà été à notre premier passage avec un vent d'Ouest de face mais aussi violent! Bon, je me console en me disant que je ne suis pas prête de le repasser, normalement! On aura des rafales jusqu'à 39,9 noeuds, dixit l'anémomètre, avec une mer hachée, très courte qui grossit rapidement et nous fait surfer à plus de 11 noeuds. C'est d'autant plus impressionnant que l'étrave du bateau reste plantée dans la vague de devant quand la vague de derrière soulève le bateau! Coincés entre 2 vagues! Je dois réunir les "4 f" à la fois froid, fatigue, faim et frousse et autant dire que je n'apprécie pas du tout les quelques heures qui suivent notre arrivée en Atlantique, surtout que c'est la première fois depuis notre départ que l'on a des conditions aussi musclées. Et moi qui me disait qu'on avait fait le plus dur: La Méditerranée!

Parlons-en de la Méditerranée, le bilan est plutôt mitigé:

Pêche: Bredouilles
Météo: 75% moteur 25% voile
Animaux: 2 ailerons de dauphins et une tortue
Mer poubelle:

des centaines de détritus en tout genre, canettes, bouteilles plastique, énormément de sacs plastique, et de bouts de filets dont 1 dans l'hélice
Vie à bord:



Passée l'euphorie du départ, le premier mois n'est pas le plus facile, chacun doit reprendre ses marques, retrouver et partager les contraintes liées au bateau (entretien, courses, lessive,...), se réadapter à une vie de communauté 24h sur 24h, sans compter la rentrée scolaire et les bonnes habitudes du CNED à reprendre (4ème et CM1)

Bon, pour en revenir à nos moutons (et en mer je n'aime pas trop ça!), passés le cap de Trafalgar, le vent et donc la mer se calment, je retrouve un peu de sérénité dans ce monde de brutes. Au fait, les enfants eux n'ont pas trouvé ça si terrible, occupés à lire dans le carré tout en surveillant de temps en temps le GPS en disant "Ouah! un surf à 11 noeuds!" et en donnant des conseils avisés à leur père "Pourquoi tu ne sors pas le gennaker ?, on irait plus vite", alors qu'on venait de rentrer la moitié du solent! Ils ont bien changé depuis 2 ans...
Sur le soir en arrivant vers Cadix, on ressort la canne à pêche et oh! surprise, ça ne tarde pas à mordre; la pêche sera bonne, 3 maquereaux et 1 bonite (1,3kg au total) en moins d'une heure, par 30 mètres de fond. Enfin! je vais pouvoir remballer mes boites de thon.

Vendredi 30 Septembre 2005 à 21h, nous nous amarrons au ponton d'accueil du port de Rota, la nuit est déjà noire, et le ponton d'accueil est plongé dans l'obscurité, pas du tout accueillant en fait. Bastien éclaire avec notre puissant projecteur, pendant que le reste de l'équipage se concentre sur la manoeuvre. Nous sommes également déjà venus à Rota il y a 2 ans. Le port jouxte la ville, capitale des tapas, avec ses vieilles rues, son marché et toutes les commodités modernes de la ville notamment le laboratoire d'analyses médicales dont j'ai besoin. Je suis toujours impressionnée par le nombre de banques et de distributeurs automatiques qu'il y a, du moins dans les villes visitées, jusqu'à 3 ou 4 dans les rues commerçantes et au moins une sur chaque place. On en fait des kilomètres à pied! Mais l'ambiance y est très chaleureuse, on s'y sent bien. Le samedi midi nous nous régalons de notre pêche (au four, en papillote), et le soir nous allons manger des tapas, en redécouvrant la vieille ville. En fait, c'est la fête ici, une semaine de fêtes patronales pour honorer la "Santa Virgen de O., Señora del Rosario Coronada", patronne de la ville. Et ça commence ce soir sur le parvis de l'église avec une cérémonie présentant la Dama Mayor (Miss Rota), et ses demoiselles d'honneur. Dimanche après-midi, notre voisin de ponton espagnol nous a offert 4 maquereaux, en rentrant de sa partie de pêche, après une longue discussion en espagnol avec Pascal. Efficace la méthode Assimil! C'est à la fois utile (pour résoudre les problèmes techniques, médicaux, faire ses courses,...) et vraiment agréable de pouvoir tenir une conversation avec les gens; et eux apprécient d'autant que l'on fasse l'effort de parler leur langue! Et comme si ça ne suffisait pas, on suit la méthode du CNED, car l'Espagnol est la deuxième langue vivante qu'à choisi Romain en 4ème. Les quelques jours qui suivent sont dédiés aux courses et travaux quotidiens pour les parents, au CNED pour les enfants (ils doivent terminer la deuxième série d'ici mercredi), sans compter quelques parties de pêche, jeux, et ballades en annexe. C'est la première occasion d'essayer notre nouvelle annexe Caribe en mer, et nous ne sommes pas déçus: "à fond" dans les vagues, elle passe facilement et nous emmène sur la plage sans nous mouiller. Les enfants étrennent aussi leur kayak tout neuf, mais seulement dans le port, seuls maîtres à bord de leur navire parmi les chalutiers et autres embarcations de plaisance.

L'évènement notoire de la journée de Mardi a été l'éclipse partielle du soleil (environ 80%) que nous n'avons pu regarder directement faute de n'avoir pas trouvé les lunettes spéciales chez les opticiens de Rota. Pascal nous a tout de même réalisé un petit montage simple avec les jumelles pour nous permettre de suivre son évolution entre 10 heures et midi. A son maximum, il y avait une baisse sensible de la luminosité et la fraîcheur se faisait bien sentir.

Jeudi 6 Octobre 2005, c'est l'anniversaire de Romain 13 ans, déjà! Pour fêter cet évènement, nous avons loué une voiture et nous partons passer la journée dans l'arrière pays à quelques 25km de là, à Jerez de la Frontera, alias Xérès en français ou Sherry en anglais. La ville est également connue comme étant le berceau du Flamenco. Il nous faut pour cela contourner l'immense base navale américaine que l'on distingue du port et qui est plus étendue que la ville de Rota elle-même (piste d'aviation pour gros porteurs que l'on voit atterrir, bateaux militaires impressionnants, abris sous terrains). Une fois dans la campagne, on rencontre d'abord des champs de coton, que l'on est en train de moissonner (on a été surpris de trouver ce type de culture), puis les vignes de Xérès, les champs d'oliviers à perte de vue ne commencent que de l'autre côté de la ville en direction de Séville. Jerez de la Frontera est une ville très ancienne, avec une citadelle, l'Alcazar, bâtie au XIIème siècle par les Maures, avec une mosquée, des bains turcs, et dans laquelle on construira un palais baroque au XVIII siècle. Les jardins sont frais et agréables, car il fait 38 degrés aujourd'hui, et c'est un peu étouffant. Nous allons donc déjeuner de spécialités espagnoles sur une petite place ombragée.


Un champ de coton andalou

La Mosquée du XIIe Siècle de L'Alcazar

Puis nous allons visiter la cave de Tio Pepe, réputée pour son Xérès et qui a la bonne idée d'avoir une guide parlant français. On y apprend que le cépage unique utilisé est le "palomino" (raisin blanc), qu'il sert à fabriquer deux catégories de vins, les fins secs et les parfumés, le reste servant au vinaigre du même nom. En fonction de la maturité, cela donne des vins pouvant se boire de l'apéritif jusqu'au dessert. Le processus de fabrication est vraiment différent des autres vins: tout au long de leur vie, régulièrement on prélève un certain pourcentage de vins vieux d'âges divers (jusqu'à 60 ans) que l'on remplace par des vins plus jeunes eux-mêmes mélangés, et ainsi de suite; Cela redonne une certaine jeunesse aux vins vieux et le vin plus jeune acquiert une certaine maturité, les très vieux vins conservent l'histoire et la tradition au fil des ans, c'est un procédé quasi philosophique! Le Xérès est donc élevé (éternellement?) dans des barriques de chêne américain uniquement celui-ci étant connu pour sa longévité. On y fabrique également du brandy, provenant de la distillation du vin. Une partie de la visite se fait en petit train (on passe à côté de la girouette la plus grande au monde), puis à pied dans les immenses caves, avec les barriques réservées, certaines marquées au nom des membres de la famille royale d'Espagne, et dédicacées lors de leurs visites. D'ailleurs, les personnes célèbres sont invitées à écrire une dédicace sur une des barriques, on trouvera entre autres, celles de Cocteau, Churchill, Prost, Alonzo, Senna, Spielberg,... mais pas les nôtres. Puis, dans une petite cave, la guide nous a raconté une anecdote qui a beaucoup amusé les enfants: Un des ouvriers, au début du siècle, pendant son temps de pose dans la fraîcheur de la cave, a fait goûter du Xérès aux souris qui venaient régulièrement le voir. Voyant qu'elles aimaient, il leur a construit une petite échelle pour qu'elles puissent venir boire à leur guise. La tradition se perpétue encore, mais nous à l'heure de la sieste on ne les verra pas, elle doivent cuver! (ça doit faire quelques générations d'alcooliques! et comme a dit Bastien "C'est dans leurs gènes maintenant"). La visite s'est terminée par une dégustation et il fait bien ses 15° le Tio Pepe! Je dois avouer que je n'ai pas trop apprécié son goût, de barrique (pas assez aéré peut-être). Nous sommes ensuite retournés en ville, avons profité de la voiture pour faire quelques courses dans le "Carrefour" du coin, puis nous sommes allés dans une taverne espagnole manger une spécialité locale et assister à un spectacle de flamenco, superbe! Les danseuses andalouses ont un de ces tempéraments, ce n'est pas une légende! Il était 1 heure du matin quand les enfants épuisés se sont endormis ravis de leur journée.


La girouette de Tio Pepe pour garder le cap après la visite!

Une Andalouse au tempérament de feu!

Le lendemain est plutôt cool, sans CNED. Nous avons la surprise d'avoir la visite de Patrick, et de son co-équipier Etienne. Patrick est un skipper que nous connaissons bien car il a convoyé Imagine avec Pascal pour la Corse, il y a de ça quelques années, nous avons également fait quelques sorties en famille ensemble et nous avons toujours eu grand plaisir à le revoir. Il convoie un bateau de Bretagne en Méditerranée, et est en escale à Cadix en attente de matériel de rechange. C'est en lisant ses e-mails qu'il a appris que nous étions ici, vive internet! Le soir, nous allons voir la procession de "la Santa Virgen de O", précédée d'un cortège des Miss en mantilles et des diverses personnalités de la ville. Il ne faut pas moins de 24 hommes pour porter la Vierge, enfin c'est le nombre que l'on a déduit en comptant les pieds dépassant du monument ambulant sur lequel repose la statue et ses ornements! Et ils ont l'air de souffrir la dessous entre la chaleur et le poids ... surtout que la procession dure au moins 2 heures, vu le circuit qui est prévu.

La semaine s'est terminée avec la reprise des cours. Le temps s'est bien dégradé, le vent est monté à cause d'une dépression se formant sur Madère et qui nous bloque donc le passage. Lundi, la dépression s'est transformée en cyclone de catégorie 1 toujours sur Madère, "Vince" de son prénom, et s'est ensuite dirigée vers nous à travers le sud du Portugal et de l'Espagne en s'affaiblissant, ce n'est plus qu'une "tempête tropicale" quand elle nous tombe dessus, mais avec des pluies diluviennes, et l'anémomètre a enregistré des rafales à 47,2 noeuds, record battu! Certains bateaux ont souffert dans le port, voiles déchirées, étraves et coques écorchées en cognant les pontons à cause d'amarrages approximatifs, et biminis arrachés; On attend une situation plus claire pour partir sur les Canaries, ce qui n'est toujours pas le cas, il y a toujours des trucs bizarres et inhabituels, donc prudence ...

A suivre...

Les photos de Forementera à Rota