Un Nouveau Départ ...

De La Grande Motte à Formentera par Pascal


Dimanche 11 Septembre 2005, il n'y a personne sur le quai pour agiter les mouchoirs, et c'est très bien comme ça, il est tel qu'on l'a voulu ce départ, en catimini. Ça rend les choses plus faciles. D'ailleurs, il valait mieux pour vous rester sous la couette en ce beau dimanche matin, vous avez évité de poireauter pendant des heures le temps que l'on résolve le dernier des problèmes de dernière minute qui se sont enchaînés pour retarder plusieurs fois le moment de larguer les amarres. Cette fois, c'est la bosse d'enrouleur de notre gennaker qui se révèle être trop courte de plusieurs mètres, inutilisable. Je ne l'avais pas vérifiée plus tôt, ayant confiée sa réalisation à un professionnel fort distrait, qui, je l'apprendrai plus tard, l'avait échangée avec celle d'un autre bateau... Jean-François et Martine, du cata voisin Aura, nous aident gentiment en nous amenant en voiture acheter un nouveau cordage et en nous fournissant le matériel qui nous permettra de réaliser le travail plus tard, une fois partis. Il va falloir apprendre l'art de l'épissure.

C'est finalement à 12h58 que nous quittons le quai. C'aurait été sans émotion aucune si Jean-François n' avait pas sonné un coup de corne de brume (je ne sais pas pourquoi, ça m'é-meuh les cornes de brume), si Romain ne nous avait pas mis "Imagine" de John Lennon dans le cockpit, si Kadavu n'avait pas été là, au garde-à-vous parmi les autres Outremer 45 de La Grande Motte pour nous regarder sortir du port, nous souhaiter bon vent, belle mer, l'air un peu triste de rester avec ses copains sur le ponton.

Au revoir Kadavu ...

Cap au 195, objectif les Canaries. Le peu de vent nous oblige à marcher au moteur. Le temps de passer les derniers coups de téléphone, tout en regardant diminuer les pyramides de La Grande Motte d'une blancheur rendue plus éclatante par le gros orage qui engloutit Montpellier, et nous voilà seuls. Les enfants viennent faire un câlin à Pascale, "on est content d'être partis". Il me faudra plus de temps pour réaliser vraiment que la course d'obstacles de la préparation d'un grand voyage en voilier touche à sa fin, et que la nouvelle vie commence, un nouveau départ ...

Un nouveau départ, pourquoi? Et pourquoi pas? Notre premier voyage a été un grand bonheur, le retour s'est vite conclu par un licenciement économique par notre employeur américain qui maximisera ainsi ses profits en faisant travailler les Indiens à notre place, why not, et qui nous a assez correctement dédommagé pour envisager de naviguer un petit moment sans travailler. Nous avons donc le choix de rebondir sur un nouveau projet professionnel ou reprendre notre projet de voyage en famille. Les enfants sont encore en âge d'apprécier leurs parents, ils veulent repartir, c'est maintenant ou jamais plus, en tous cas plus avec eux. Alors allons-y! On ne sait jamais ce que réserve l'avenir (santé, famille,...)

Un nouveau départ vers où? L'objectif c'est la Polynésie, mais comme l'a dit un philosophe, l'important c'est le chemin. Le chemin, c'est une vie de famille différente, tous ensemble, tout le temps, avec l'école des enfants (4eme et CM1) à assurer. Ce n'est pas aussi facile qu'à terre, pas aussi confortable, pas aussi simple, jamais prévisible, on ne se repose pas sur les autres. Mais le chemin c'est aussi un incomparable sentiment de liberté, une densité de moments intenses, une succession de découvertes de paysages, de gens, de pays, un contact intime avec la nature et l'espace, une vie riche, ...

La nuit s'écoule lentement, la mer est calme, le Cap Creus est franchi à 3 heures du matin. Avec l'aube, le vent revient et l'on établit les voiles. On est pile vent arrière sur notre cap, il faut tirer des bords, le premier nous mènera devant Barcelone dans l'après-midi, le deuxième nous dirige vers les Baléares, que nous avions prévu d'éviter, mais il est parfois bon d'aller là où le vent nous mène. Dans la nuit, le vent nous abandonne, nous continuons au moteur, entourés d'orages monumentaux derrière nous sur la côte espagnole, et devant sur les reliefs de Majorque. On se fait tout petit...

La journée suivante est paisible, les enfants recommencent le CNED, nous passons beaucoup de temps à observer la mer dans l'espoir d'une rencontre avec les cétacés. Nous ne verrons qu'une belle tortue et quelques nageoires de dauphins, furtifs. La pêche ne donne rien. Nous décidons d'aller passer une nuit dans le port d'Eivissa, capitale de l'île d'Ibiza, pour visiter la vieille citadelle. Les murailles sont impressionnantes, chargées de toute l'histoire de la Méditerranée, depuis les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains, les Turcs, les Français, les Espagnols, et bien d'autres. Nous retrouvons avec délice la saveur de la horchata glacée, à la terrasse d'un café.


Les murailles de la citadelle d' Eivissa


Pirates sur les canons

Quelques jours plus tard, nous décidons de mouiller devant la plage de Formentera. Nous connaissons bien l'endroit pour y avoir séjourné plusieurs fois, l'approche se fait tranquillement: les enfants sur le trampoline, Pascale et moi dans le cockpit. Une odeur étrange semble provenir de la plage, où des restaurants repaissent les touristes encore nombreux de mets et boissons diverses. "Ça sent l'alcool", m'assure Pascale, dont l'odorat est bien plus développé que le mien. A deux cent mètres de la plage, ça promet! (En fait elle voulait parler d'alcool à brûler, ce qui était déjà plus proche de la réalité). Au moment de faire descendre l'ancre en position pour le mouillage, le guindeau ne répond plus. Tilt dans ma tête! je rentre dans le carré où la fumée s'insinue déjà à travers les parois du compartiment électrique. J'arrache les coussins qui recouvrent les parois, l'épaisse fumée qui me saute à la gorge et aux yeux me confirme sans hésitation qu'il s'agit d'un début de feu électrique. Le coupe-circuit est à portée de main, je coupe l'alimentation du bord et informe le reste de l'équipage de la situation. Pascale a déjà sorti la couverture anti-feu et l'extincteur, au cas où. On fait enfiler aux enfants leurs gilets de sauvetage, encore au cas où, car rien ne menace vraiment notre sécurité immédiate. Pascale pilote le bateau pendant que je m'assure que la combustion des câbles électriques s'est arrêtée. Nous envisageons de mouiller quand même, à la main, mais il est plus raisonnable de revenir au port tout proche de Formentera pour analyser tranquillement les dégâts. A première vue, aucun autre appareil électrique ne semble touché. En inspectant le circuit électrique du guindeau, il apparaît que la boîte qui assure le relais entre les interrupteurs de contrôle du guindeau et son moteur s'est ratatinée sur elle-même et à fait fondre les câbles connectés. Il faudra démonter le guindeau lui-même pour vérifier si il a souffert de cet incident. Pour l'instant, on s'en sort avec une atroce odeur de brûlé (qui disparaîtra le lendemain), et une petite expérience de plus dans notre vie de marins ... On a au moins la satisfaction d'avoir réagi comme il le fallait, sans panique.

21 Septembre, Formentera

Les jours s'écoulent tranquillement à Formentera. Les journées sont bien remplies par l'école, beaucoup plus que lors de notre précédent voyage : les enfants ont grandi, il y a plus de matières à étudier, et ils n'ont pas encore tout à fait retrouvé le rythme, la concentration, et l'autonomie nécessaire pour le CNED. Ils passent donc plus de temps (et nous aussi) qu'il ne faudrait, et les horaires d'école sont pratiquement les mêmes qu'à terre.

Le guindeau a finalement bien souffert de l'incident électrique, il faut le changer, la réception des pièces et la réparation nous bloquent ici pour plusieurs jours. Dommage, après un gros passage orageux, digne de nos "épisodes cévenols" en Languedoc, la météo est maintenant idéale pour partir vers le sud et passer Gibraltar dans la foulée.

Nous nous sommes quand même accordés une journée de tourisme pour faire le tour de l'île. Des dizaines de navettes débarquent chaque jour des masses de touristes qui se ruent sur les scooters et les vélos de location pour rejoindre les plages bordées de lagons turquoises et émeraudes, comme sous les tropiques. Nous optons pour la voiture, et essayons donc d'éviter les plages au maximum, on en verra suffisamment plus tard.
L'île est relativement petite (une vingtaine de km de long) et plate, sauf deux falaises. Le centre est occupé par des étangs et des salines, on se croirait chez nous. Les salines sont un peu inondées à cause des récents orages, elles n'ont pas leurs teintes rouges habituelles.


Les salines de Formentera

Les quelques reliefs sont recouverts de pinèdes méditerranéennes, nous en profitons pour pique-niquer dans les délicieuses senteurs de pins, entourés par les nombreux petits lézards verts qui pullulent sur cette île. A l'approche des caps, la végétation laisse la place à des plateaux rocailleux désolés. Autour du phare du cap de Barbaria, nous nous interrogeons sur la présence d'une multitude de petits tumulus de pierres. Il s'agit d'abris à puffins (le puffinus mauretanicus pour être précis), un des plus rares de l'éspèce, dont la population est menacée. Ces oiseaux passent toute l'année sur la mer et ne viennent à terre qu'à cet endroit pour se reproduire et nidifier sous des pierres. Les scientifiques tentent de sauvegarder l'espèce en chassant les prédateurs et en construisant ces tumulus. Les touristes ajoutent leurs pierres à l'édifice, en ajoutant quelques tumulus au passage, ce que ne manquent pas de faire Romain et Bastien dès qu'ils apprennent l'existence de ces puffins menacés.


Le lézard de Formentera

Les abris à puffin sur le cap Barbaria

Quelques autres curiosités aperçues sur l'île: la cala San Augusti, minuscule calanque autour de laquelle les pêcheurs ont construits des abris et des rampes de bois pour hisser leurs barques hors de l'eau.


Les abris de la Cala de San Augusti

Partout sur l'île, on peut voir dans des prés entourés de beaux murets de pierre de gros et lourds figuiers dont les branches sont soutenues pour ne pas casser. Souvent, des chèvres ou des moutons s'y protègent du soleil. Les figues avaient été récoltées, nous n'avons pas pu y goûter.
Nous terminons notre tour de l'île par une visite de la cala Saona, belle plage de sable malheureusement envahie par des transats pleins de touristes repus, ainsi que par une armée de petites méduses qui jonchent le sable, rejetées là à chaque vague. Baignade impossible! Ça nous console d'être bloqués au port ...


Une invasion de méduses, dans


l'eau et sur le sable

Les photos du départ d'Ibiza, et de Formentera