La Fin du Voyage

"Home, Sweet Home? ", par Pascal


La Dernière Traversée- de Sao Miguel au Cap Saint-Vincent,
du 3 au 8 Juillet, 813 miles en 5 jours

Samedi 3 Juillet, départ de Sao Miguel
C'est à 15h18 précisément que nous larguons les amarres, par une météo clémente, trop même, il faut marcher au moteur. Le vent est quasi nul. L'avantage c'est que la mer est plate et lisse, propice à l'observation des animaux marins qui abondent dans les parages. Ça ne tarde pas: un festival de plusieurs groupes de dauphins nous occupe un bon moment. Les zigzags que nous faisons en longeant la côte sud de Sao Miguel ne sont pas dus à une panne de pilote ou a un excès de cerveza, mais comme nous ne sommes pas pressés, nous survolons (ne devrait-on pas dire surnaviguons?) le relief sous-marin en suivant approximativement la ligne des -1000 mètres de fond. C'est là que la probabilité de voir des cachalots est maximale, selon les conseils glanés à terre. Chance ou science? toujours est-il que vers 20 heures, nous repérons à tribord le souffle oblique caractéristique du cachalot. C'est un groupe de cinq individus. Nous prenons soin de ne pas les effrayer en nous rapprochant doucement par leur trois-quart arrière, jusqu'à une cinquantaine de mètres. Ils nagent tranquillement en surface, et nous avons tout le temps de les observer, debout sur le trampoline d'Imagine, fascinés tous les quatre. Soudain, un phénoménal jaissement devant sur bâbord nous fige de surprise dans notre contemplation. Nous avons peine à y croire et pourtant ça vient de se produire sous nos yeux en quelques secondes: un cachalot a fait un saut complet hors de l'eau, un saut si parfait qu'il a à peine éclaboussé la surface lisse de la mer et que les remous s'effacent déjà. Prodigieux. Incroyable. Surtout pour un animal d'une douzaine de mètres et pesant quelques dizaines de tonnes! Notre réaction spontanée est d'applaudir cette prouesse, comme au cirque. Et c'est sous nos applaudissements ... que l'énorme artiste répète son numéro!

Un deuxième saut, aussi parfait, aussi puissant, aussi inattendu que le premier. En fait l'enchainement des deux pirouettes consécutives n'aura duré que 30 secondes. Nous avions le doigt sur le bouton de l'appareil photo, mais le cachalot n'indique pas à l'avance à quel endroit il va surgir! La photo est restée dans nos têtes. Celle que nous montrons ici n'est donc pas la notre. Son auteur est un photographe spécialiste des mammifères marins, qui habite aux Açores toute l'année et qui passe son temps à les observer. Il a du patienter huit ans avant de saisir cet instant ... Nous n'oublierons jamais ce moment.

Le saut du cachalot

Après une dizaine de minutes, les cachalots sondent, un par un. On voit bien le dos s'arrondir, puis la queue s'élever dans une courbe majestueuse pour s'enfoncer ensuite à la verticale. Le fond était de 1200 mètres à cet endroit. Nous décidons de tenter de les suivre en surface pendant leur plongée. Nous poursuivons donc notre route en gardant le même cap et la même vitesse que le groupe, soit environ deux noeuds. Nous scrutons patiemment la surface toujours lisse de la mer, colorée par les lueurs du soir. Nous commençons à douter, lorsque le groupe réapparaît trente-trois minutes plus tard à un demi mile sur bâbord, entre Imagine et la côte de Sao Miguel, par 800 mètres de fond. Nous les observons encore pendant cinq minutes, avant qu'ils ne plongent à nouveau. Le crépuscule nous dissuade de continuer notre manège, et nous reprenons notre route. Nous les distinguerons une dernière fois dans la pénombre, loin derrière le bateau. Merci les cachalots pour ces somptueux adieux, il est temps de quitter Sao Miguel, cap sur le continent.
A 21 heures, nous retrouvons Kadavu sur la BLU pour la première vacation radio de cette traversée. Partis de Terceira en début de matinée, ils sont 65 miles plus au nord, nos routes devraient converger rapidement. C'est sympa de se rejoindre en mer! A 23h30, nous coupons enfin le moteur, Imagine avance sous grand-voile et solent. Pour l'instant tout va bien, mais nous savions avant le départ qu'il faudrait subir 24 heures de vent fort de nord-est le deuxième jour, on se prépare donc mentalement à ce long bord de près secoué pour demain. Un petit grain à 3 heures du matin pour se mettre en forme, on prend deux ris et je laisse le quart à Pascale pour aller dormir.

Dimanche 4 Juillet, 2ème jour
Position à 9h UTC: 38°03N, 23°48W
Vitesse moyenne: 5,8 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 95, miles restants sur la route directe: 706
Au matin, je renvoie la toile, et je profite du temps encore calme pour affaler le gennaker et le ranger dans la soute, en prévision du près. J'ai sans doute un peu trop anticipé car ce gennaker aurait pu encore servir toute la journée et nous faire avancer plus vite. Le vent ne monte qu'en soirée, la mer grossit. Un ris, puis deux pour la nuit. Mais nous n'arrivons pas à dormir: la mer est forte, de face, et le vent s'établit au dessus de 30 noeuds (et ces prévisions qui disaient seulement 20 noeuds, on feint de les croire avant le départ pour mieux les maudire en mer ...). J'hésite à prendre le 3ème ris, j'ai un peu la flemme à vrai dire, je me contente de rouler le solent et d'ouvrir le chariot en grand avant d'aller me coucher à 4 heures du matin. Curieusement je passe une bonne nuit, et je me dis que ce cata est décidément bien confortable pour un bord de près par 30 noeuds de vent réel. Au réveil, je comprends: mon réglage très approximatif de la nuit a mis le bateau quasiment à la cape, et nous dérivons à deux noeuds vers le sud depuis quatre heures. Je suis en fait plutôt content de cette erreur qui a rendu la nuit bien plus agréable pour tout le monde et m'a fait découvrir un réglage inédit. Kadavu en a profité pour filer, il est à plus de 20 miles devant, dommage pour les retrouvailles en mer!

Lundi 5 Juillet, 3ème jour
Position à 9h UTC: 38°07N, 20°47W
146 miles parcourus depuis 24h
Vitesse moyenne: 6,1 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 241, miles restants sur la route directe: 564

Dure journée de près contre une mer forte. Tout l'équipage est malade, couché. Je suis moi-même à la limite de vomir en faisant cuire les pâtes. C'est la première fois que ça m'arrive depuis le début du voyage! Les pâtes parviennent quand même à descendre jusqu'à l'estomac ... et y restent. On n'avait pas eu la force de manger depuis la veille, ça fait du bien. Le soleil est revenu, le vent mollit à 20-25 noeuds le soir, mais hélas toujours de nord-est. Il faiblira encore à 18-20 noeuds dans la nuit et tout le monde dormira mieux.

Mardi 6 Juillet, 4ème jour
Position à 9h UTC: 37°49N, 17°31W
156 miles parcourus depuis 24h
Vitesse moyenne: 6,5 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 397, miles restants sur la route directe: 408
Je renvoie le 1er ris à 6h30, reprend le 2ème à 9 heures, puis re-renvoie le 1er à 10 heures. Ça occupe! Il y a toujours 20 noeuds de vent du nord. L'équipage va un peu mieux, bien que les prévisions annoncent du gros temps pour passer le cap Saint-Vincent dans deux jours. On marche toute la journée entre 7 et 9 noeuds sous grand voile à un ris et solent. Nous rattrapons enfin Kadavu en fin de journée, qui avait pris 2 ris pour nous attendre. Dans la nuit le vent adonne enfin et nous marchons au petit largue.

Mercredi 7 Juillet, 5ème jour
Position à 9h UTC: 37°43N, 13°54W
173 miles parcourus depuis 24h
Vitesse moyenne: 7,2 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 570, miles restants sur la route directe: 237

La nuit a été calme, sous deux ris, on se traîne même à 6 noeuds au matin. On renvoie la grand voile haute, et faisons enfin une journée correcte au portant. Les enfants en profitent pour reprendre la construction de leurs maquettes. Vers 20 heures, alors que le moteur tribord tourne pour charger les batteries, ses trois voyants d'alarme s'allument en rouge pétard et sonnent bruyamment. Je coupe immédiatement le moteur et vais inspecter la cale. Il est anormalement chaud, ça ressemble fort à un rotor de pompe à eau qui a lâché. On verra demain, car la nuit tombe.

"Quand j'serai grand j'serai architecte naval..."

Jeudi 8 Juillet, 6ème jour
Position à 11h UTC: 37°04N, 9°27W
217 miles parcourus depuis 26h
Vitesse moyenne: 8,3 noeuds
miles parcourus depuis le départ: 787, miles restants sur la route directe: 21
La nuit a été un peu inconfortable mais rapide, avec une vitesse moyenne de 9 noeuds et des pointes à 12 noeuds. Nous avons fait 200 miles sur les dernières 24 heures, et c'est une bonne nouvelle car nous allons finalement pouvoir passer le cap Saint-Vincent aujourd'hui, juste avant le coup de vent annoncé. Il se dessine à l'horizon, au bout de la côte portugaise, vers 11 heures, sous un beau soleil. Comme prévu le trafic des cargos est dense dans le rail qui remonte vers le nord, et nous devons nous dérouter plusieurs fois pour leur laisser le passage. Nous avons décidé de mouiller dans la baie de Sagres, juste derrière le cap, afin de réparer tranquillement le moteur tribord et de se reposer de la traversée. A 15 heures nous mouillons difficilement contre un vent de 25 noeuds avec un seul moteur. Heureusement la baie est très vaste et peu fréquentée. Kadavu est mouillé devant nous, il nous a précédé de deux heures. Pendant que je change le rotor de la pompe d'eau de mer (une panne classique, mais une première pour moi!), Kadavu va faire des courses à terre et nous nous retrouvons tous sur Imagine pour dîner.


Retour en Méditerranée- de Sagres à Almerimar

du 9 au 11 Juillet, 336 miles

Les jours qui suivent ne sont pas restés gravés comme les meilleurs de ce voyage, mais il fallait bien avancer vers la maison.
Le matin, avec 30 noeuds de vent dans la baie de Sagres, un départ canon sous 2 ris nous laisse espérer une traversée rapide du détroit de Gibraltar. Malheureusement il ne s'agissait que d'un effet de côte, ça se calme rapidement pour devenir variable. C'est une journée de navigation calme, seulement animée par les quelques bandes de dauphins qui nous accompagnent pendant de longs moments. La nuit est tout aussi tranquille, sous voile, à petite vitesse. Au réveil nous sommes à peine à la hauteur de Cadix Toute la journée est une lente et interminable progression vers Gibraltar. Romain répare soigneusement notre leurre fétiche, le dernier "siffleur" qui nous reste. A peine avons-nous remis la ligne à la traîne derrière le bateau que Kadavu nous l'arrache en croisant notre sillage d'un peu trop près. C'est la consternation à bord! Après le déjeuner, alors que Tarifa n'est plus qu'à 20 miles, le vent forçit brusquement et passe à l'est. Bien sur, les prévisions annonçaient un gentil vent d'ouest qui laisser augurer d'une traversée rapide et facile vers la Méditerranée. Une fois de plus il faut déchanter et se résigner à la bagarre. Le vent s'établit à 25 noeuds, nous prenons 1 ris, puis 2, et il me faut affaler le gennaker qui menace de se dérouler tout seul dans les fortes rafales. La manoeuvre sur le trampoline est bien agitée et mouillée, mais j'aime autant éviter un coquetier par 30 noeuds de vent à Tarifa. Justement, Tarifa nous n'y sommes pas encore. Il faudra encore tirer des bords pendant 5 heures entre la côte et le rail des cargos pour couvrir les 19 miles qui nous séparent du goulet d'entrée du détroit. A cause du retard accumulé, les courants sont maintenant contre nous, alors que nous avions bien calculé notre route pour nous faire porter par le flot d'ouest. Heureusement le bateau passe bien.

Ce n'est qu'à 20 heures, que nous saluons le phare de Tarifa, au moteur dans la pétole soudainement revenue. Il ne faut s'étonner de rien dans le détroit de Gibraltar... Nous assistons avec émotion au dernier coucher de soleil sur l'Atlantique, dans notre sillage. Nous faisons nos adieux solennels à l'Océan. Pascale et les enfants aperçoivent un souffle de baleine, mais nous ne réussirons pas à la retrouver.


Dernier coucher de soleil sur l'Atlantique

Les courants s'inversent enfin, et nous atteignons Gibraltar facilement, dans un vent faible qui nous abandonne et laisse la place à la nuit ... et au ronron du moteur. Nous passons avec émotion le rocher tout illuminé, en se rappelant notre arrivée ici. Presque un an déjà! Nous avions l'impression d'atteindre le bout du monde, c'était les portes de l'aventure qui s'ouvraient, maintenant nous fermons la boucle, les portes se referment derrière nous. J'en prend un petit coup au moral ... je vais me coucher.
Pascale me réveille à 23h30, un spectacle magique se déroule dans la nuit devant nos étraves: des dauphins nagent dans l'obscurité totale, mais le plancton phosphorescent s'allume sur leur passage et forme comme un nimbe de verre en fusion qui accompagne tous leurs mouvements. C'est véritablement féerique, à tel point que nous allons sortir les enfants de sous leur couette pour qu'ils puissent rêver éveillé devant ce spectacle rare.

Les dauphins ont un curieux comportement: ils font de brusques écarts de trajectoire. En éclairant la surface de l'eau avec un puissant projecteur, nous comprenons que ce n'est pas un jeu. De minuscules créatures (crevettes, sèches, poulpes? impossible à identifier) virevoltent sur la surface. Eclairées, elles ressemblent à des flammèches échappées d'un brasier. Les dauphins s'en nourrissent, ils les happent au vol avec une précision surprenante. Ce manège dure plus de quatre heures!

Les dauphins dans la nuit

Retour à des détails plus matériels: le dessalinisateur est encore en panne, et nous n'avons plus beaucoup d'eau dans les réservoirs, et de plus je crains que le moteur bâbord ne subisse la même défaillance de pompe à eau que son jumeau tribord, bref, un port serait le bienvenu. Nous choisissons de mettre le cap sur Motril, au centre de la côte andalouse. Le matin se lève sur une mer d'huile dans un calme laiteux juste troublé par le bruit régulier de notre moteur. La journée s'annonce chaude ... et ennuyeuse. Après échange d'email avec Zed et Mimosa, nous décidons finalement d'éviter Motril, qui est un port de commerce sale et mal adapté à la plaisance. Cap sur Almerimar, un peu plus à l'est, où nous avions séjourné à l'aller. C'est dans cette zone que nous avions observé tant de globicéphales, mais cette fois nous n'en verrons pas un seul. Par contre les dauphins sont partout, on en voit à plusieurs reprises dans toutes les directions, par centaines, très occupés à chasser, sautant souvent sauvagement dans tous les sens. Malgré cet indice certain de l'abondance de poissons, nous restons bredouilles. Un marlin vient même nous narguer en effectuant des pirouettes juste devant nos étraves, genre "vous avez eu mes copains des Antilles, mais ne comptez pas sur moi". Il saute cinq ou six fois entièrement hors de l'eau, dans le sillage mais jamais il ne s'accrochera à notre leurre. Le vent ne se décide toujours pas à se lever, et ces longues heures de moteur sont plutôt lassantes. La météo annonce un avis de grand frais d'est pour dans deux jours, qui pourrait durer une semaine. Génial, encore du près pour la remontée vers les Baléares! Si l'on fait escale ce soir, nous ne pourrons pas passer avant le mauvais temps et resterons probablement coincés au port jusqu'à l'accalmie. Malgré l'insistance de Kadavu, qui navigue quelques heures devant nous, pour continuer avec eux, nous sommes trop crevés et avons vraiment besoin de cette pause. Tant pis, on essaiera de se rejoindre aux Baléares, et sinon, on se reverra à La Grande Motte.
Nous atteignons le quai d'accueil d'Almerimar à 1h15 du matin le 12 Juillet, et après un amarrage facile par vent toujours nul, sombrons enfin dans une bonne nuit de sommeil calme, la première depuis le départ des Açores neuf jours plus tôt.

Ce n'est pas une semaine palpitante, mais elle nous fait du bien. Nous faisons la connaissance d'Alain et Maryse, nos voisins de ponton sur leur catamaran Ave, un Azuli 40 sur lequel ils naviguent depuis 17 ans. Ils adoptent tout de suite les enfants (qui envahissent facilement leur entourage, il faut le dire), qui passent de bons moments sur leur bateau. Le reste du temps ils bricolent leurs maquettes et les font naviguer dans le port, et ils pêchent.

Dans le carré d'Ave

Quelques bricolages (notamment le rotor de la pompe eau de mer bâbord, qui allait effectivement nous lâcher), courses, lessives, lecture, la routine du port. Une semaine passe, à suivre quotidiennement la météo en attente de de la prochaine fenêtre favorable. Il faudra se contenter de la pétole qui s'installe sans transition après le coup de vent. C'est toujours trop ou pas assez en Méditerranée! La veille du départ, un feu d'artifice est tiré depuis la jetée du port à 100 mètres devant notre ponton, on est aux premières loges, un peu trop même! Le vent rabat les fusées à la verticale du bateau, et les débris incandescents pleuvent sur le pont. J'admire le spectacle un seau d'eau à la main à coté du bimini. Au réveil le lendemain matin, le bateau est couvert de cendres et jonché de débris de cartons et de morceaux de projectiles divers. Un bon nettoyage au jet s'impose avant le départ. Manque de bol, c'est ce jour là que la municipalité avait prévu de couper l'eau pour faire des travaux! Il faudra attendre l'après-midi pour être de nouveau alimenté, rincer le bateau et remplir les réservoirs. Du coup le départ est repoussé au soir, ce qui nous laisse le temps de prendre un dernier apéro d'adieu avec Maryse et Alain, que nous quittons à regrets. A 20h30 ce 17 juillet, nous laissons derrière nous Almerimar, dernier port avant La Grande Motte.

Les photos des Açores à Almerimar


On rentre à la maison! Almerimar - Baléares - La Grande Motte
du 17 au 24 Juillet, 612 miles

Qu'elle est longue cette remontée vers les Baléares! Tout au moteur, à 4 noeuds de vitesse, à guetter le retour du vent, y croire, hisser les voiles, les regarder battre, les affaler, se résigner, puis y croire encore et recommencer, surveiller les trop nombreux chalutiers qui demandent une veille très attentive. Au petit matin, Pascale en compte 7 sur le radar et elle est obligée de se dérouter par 2 fois pour laisser passer ces chalutiers qui vont pêcher à fond la caisse sans trop surveiller apparemment les bateaux de plaisance (un voilier ami finissant son voyage sera même victime d'une collision dans ce secteur). C'est stressant! Les seules distractions, ce sont les animaux marins qui nous les offrent, et l'on se rend compte à chaque fois que l'on ne s'en lasse toujours pas. Ce sont les habituels dauphins bleus et blancs, et aussi les dauphins communs, mais également des tortues, un poisson-lune qui saute mollement hors de l'eau, sur le coté, et soudain au nord du Cabo de Gata, des ailerons plus inhabituels. Plus grands, plus hauts sur l'eau, très foncés sur un corps presque blanc: aucun doute possible ce sont des dauphins de Risso. Toute une meute, une trentaine d'individus, qui chasse le thon. Ils ne prêtent apparemment aucune attention à nous lorsque nous nous immisçons dans leur groupe. En remontant la ligne de pêche pour ne pas risquer de les accrocher, je ferre un thon par hasard. Malheureusement on le perd au moment de le saisir dans notre grande épuisette. Il faut dire que l'équipage n'était pas prêt pour la pêche, tout occupé à observer ces gros dauphins noirs et blancs. Leur technique de chasse semble être très organisée, avec des rabatteurs qui frappent de la queue la surface de l'eau, et d'autres qui se démènent pour attraper les thons. L'eau très calme et claire nous permet de suivre leurs évolutions en profondeur. Nous restons avec ce groupe plus d'une heure. Un émerveillement de plus pour notre collection!


Dauphin bleu et blanc

Dauphins de Risso

Après le coucher du soleil, trois globicéphales croisent notre route sans se retourner, puis on voit plusieurs petits groupes épars.
Le vent (léger) ne revient que le lendemain soir, 48 heures après notre départ d'Almerimar, alors qu'on met le cap sur Formentera en laissant derrière nous le cap de la Nao. La nuit est calme, nous arrivons au petit jour à 6h15 et mouillons juste derrière l'ilôt Pouet parmi les bateaux endormis. Il nous a fallu 58 heures pour parcourir 263 miles, soit 4,5 noeuds de moyenne dont 90% au moteur. Ce constat peu glorieux ne nous empêche pas d'aller vite nous coucher avant que les enfants ne se réveillent ...

Nous ne dormons pas très longtemps. Si les eaux de Formentera sont aussi belles à cet endroit que celles des Bahamas, la grosse différence c'est la foule sur la plage et le nombre de bateaux au mouillage, pare-choc contre pare-choc (d'ailleurs il en faudrait presque ici pour éviter les problèmes). Des gens tout blancs s'extasient de ces couleurs tropicales et de l'eau à 27°: "tu te rends compte, ce paradis à 1h30 de Paris!". C'est vrai qu'on avait eu le même enthousiasme à l'aller, serait-on devenus difficiles? Je crois que oui, hélas.


Le mouillage à Formentera

Nous levons l'ancre le lendemain matin dans l'espoir de rejoindre Kadavu à Minorque, mais le vent contraire nous fait changer de programme, direction Majorque plus à l'ouest, ce qui nous permet au moins de naviguer à la voile, même si c'est au près. Nous mouillons à la nuit tombée dans le joli port d'Andraitx, très typique, mais lui aussi bondé. Malheureusement nous ne pourrons pas faire les touristes, le prochain coup de vent est annoncé dans deux jours. Si nous traînons par ici, il faudra soit attendre une semaine, ou alors passer le cap Creus (surnommé "le cap Horn de la Méditerranée") contre la tramontane, ce qui n'est pas la façon idéale de terminer un beau voyage. Tant pis, on reviendra, les Baléares c'est la banlieue. Départ donc au matin, après le plein de gasoil, car pour l'instant c'est toujours la pétole totale. On laisse l'île Dragonera sur tribord, passant au pied de belles falaises. On entend les cigales! Ça sent la maison ... d'ailleurs on met le cap sur La Grande Motte en route directe, à 250 miles de notre position. De beaux tursiops font des sauts extraordinaires dans le sillage d'Imagine. L'un d'eux remporte à l'unanimité le trophée du bond le plus haut de tout notre voyage: facilement deux fois sa hauteur, parfaitement à la verticale, ce qui doit placer le bout de son rostre entre 6 et 8 mètres au dessus de la surface. Les dauphins en liberté font aussi bien que dans les parcs d'attraction. Nous parlons pour la dernière fois à Kadavu par BLU, ils sont également en route directe sur La Grande Motte, à une trentaine de miles au nord-est. Après les tursiops, ce sont maintenant des "striped dolphins", ou dauphins bleus et blancs qui font le spectacle. Ils frappent l'eau de leur queue et font des sauts assez hauts, en se laissant retomber sur le coté et même sur le dos. Nous oublions vite notre route directe pour accompagner cette joyeuse bande qui nous mène tout droit ... à une baleine!

Un rorqual commun pour être précis. Il souffle plusieurs fois et finit par plonger en faisant le gros dos. Nous extrapolons sa trajectoire, les rorquals sont plus faciles à suivre que les cachalots car ils plongent moins longtemps. Leur souffle est également plus visible car il monte peut monter jusqu'à 6 mètres de hauteur. La baleine ressort quelques minutes plus tard en compagnie de deux autres de ses congénères. Puis une autre surgit à quelques dizaines de mètres à tribord, une grosse bête! et passe 17 mètres sous le bateau, nous dit le sondeur...sous les yeux incrédules des enfants.

Un rorqual commun sur la route!

Les rorquals communs mesurent entre 15 et 25 mètres et pèsent plusieurs dizaines de tonnes, c'est bien plus gros qu'Imagine! Nous sommes alors à 17 miles dans l'ouest de Majorque, par 1500 mètres de fond. Le groupe replonge, puis réapparaît, et ainsi de suite pendant une heure. Entre deux apparitions, comme pour nous faire patienter, une magnifique raie a la bonne idée de sauter entièrement au dessus de la surface, nous montrant son ventre argenté. Nous finissons par perdre les baleines en fin d'après-midi, on les aperçoit une dernière fois loin derrière le sillage. Il est temps de reprendre la route directe. C'est déjà le coucher du soleil, remarquable ce soir par l'observation d'un beau groupe de tâches solaires, très visibles à l'oeil nu dans la brume au dessus de l'horizon. La nuit se passe sans problèmes, toujours au moteur avec un léger vent dans le nez (un "vent d'pif" comme dirait Romain). Il y a beaucoup de bateaux, le radar sonne trop souvent pour que l'on puisse s'endormir. Toute la journée suivante, c'est la même absence de vent, désespérante. Le ciel est gris, il ne fait plus très chaud. Le coup de tramontane est confirmé pour cette nuit, nous voulons absolument passer le cap Creus avant, nous mettons donc pour une fois les deux moteurs et avançons à 7 noeuds. Vive le motonautisme! Deux tursiops nagent autour de nous, peu avant le cap Bagur à quelques miles du rivage. Ce seront les derniers du voyage.
On passe enfin le cap Creus dans le soleil couchant, poussé à 8 noeuds par une brise de sud bienvenue mais très temporaire. La mer est parfaitement plate. Nous observons une nouvelle fois les tâches solaires, et les enfants vont se coucher. C'est notre dernière nuit en mer, et on sait qu'on ne va pas s'ennuyer. Nous passons le cap Béar à 22h30, toujours pas de tramontane. De beaux orages zèbrent le ciel sur tribord. Finalement j'aimerais autant un bon coup de tramontane maintenant pour laver le ciel, j'ai horreur des orages en mer! J' arrête le bateau pour les laisser partir au large, j'en profite pour prendre deux ris, car on approche de Leucate et le calme qui règne pour le moment ne saurait durer. Effectivement, la tramontane s'établit dans l'heure qui suit, brutalement, un bon force 7, et le passage du cap Leucate à 3 heures du matin est bien secoué. On encaisse, c'est la dernière fois ... on apprécierait presque! Les conditions s'améliorent progressivement jusqu'au petit jour, puis deviennent variable. Nous enchaînons les réglages de voilure, ça nous aide à contenir l'émotion grandissante, mélange de tristesse de finir une si belle aventure et de joie à l'idée de revoir nos familles et nos amis dans quelques heures. Les dernières rafales de Sète font place à la pétole, c'est donc au moteur que nous finissons ce voyage. Une cigale qui s'est aventurée bien loin de sa garrigue vient se poser sur un cordage, comme pour nous souhaiter la bienvenue chez nous. Ça y est, les pyramides de La Grande Motte se profilent à l'horizon. Nous guettons les bateaux sur le plan d'eau, plus exactement le bateau de Michel et Hélène, pour un rendez-vous en mer dont on parlait depuis leur visite sur Imagine à Anguilla, quand ils rêvaient d'acheter un bateau... Et bien voilà, c'est du réel maintenant, nos deux bateaux se sont retrouvés à la hauteur de Maguelonne, nous nous regardons sans trop y croire. C'est à la fois si simple et si magique!


L'accueil de la cigale ...

... et de Michel sur son bateau

Après une séance de cornes de brume et de photos croisées, nous nous décidons à rejoindre La Grande Motte car le comité d'accueil s'y impatiente déjà. A 14h10 ce 24 Juillet, Imagine boucle son périple de 12000 miles et glisse lentement vers le ponton d'accueil où nous attendent parents et amis. Le port résonne des cornes de brume qui se répondent, les bras s'agitent, les gorges se nouent... Amarrage en douceur, ça y est, c'est la fin du voyage.


Le comité d'accueil arrive sur le ponton

La dernière manoeuvre pour l'équipage

C'est fou, on a l'impression de rentrer de la sortie en mer du dimanche. Les gens n'ont pas changé, sauf les enfants, la vie n'a pas changé non plus, le bateau est amarré à la même place, on retrouve immédiatement les mêmes gestes, les mêmes réflexes. A t-on rêvé? c'est une sensation très frustrante! Heureusement, Zed, Mimosa, Kadavu sont là eux aussi, on retrouve toute la bande pour les dernières soirées au resto, les derniers apéros, les dernières pâtes sur tel ou tel bateau. Les enfants se retrouvent ensemble et jouent dans la zone technique pendant que les parents désarment et nettoient les catamarans.
Puis c'est le temps des adieux, tout le monde rentre chez soi, en Belgique, en Bretagne ... Nous réaménageons à la maison le 4 Août, 10 jours après notre arrivée. L'horizon nous manque, mais les retrouvailles et les fêtes de l'été vont nous aider à maintenir le moral au beau fixe.


Les photos de Almerimar à La Grande Motte

Les mammifères marins