De la Guadeloupe à Saint-Martin,
via Montserrat, St-Kitts et Statia

"A l'heure au rendez-vous " par Pascal


Six jours, c'est le temps dont nous disposons pour être au rendez-vous de Saint-Martin. Nous sommes le 1er mars, et nos prochains visiteurs, Hélène et Michel atterrissent le 6 à Saint-Martin. Deux routes sont possibles: par Antigua, Barbuda, Saint-Barth, ou bien plus au sud par Monteserrat, St-Kitts et Nevis, Statia. Le ciel nous épargne les affres d'un choix difficile: les cartes météo nous annoncent un fort vent de nord, et la grosse mer qui va avec, pour .... pas plus tard qu'aujourd'hui. Vent du nord, cela veut dire qu'on ne pourra que difficilement atteindre Antigua située au nord, la route passe donc par Montserrat. Plusieurs sources nous ont mises en garde contre les dangers de l'activité volcanique de l'île de Montserrat. Le dôme du volcan peut s'effondrer n'importe quand sans préavis. Il est fortement conseillé aux marins de s'écarter de l'île largement quand ils croisent dans cette région. Et c'est justement notre cas aujourd'hui. Après les visites de la Montagne Pelée en Martinique et de la Soufrière de Guadeloupe, nous prenons ces avertissements au sérieux. La "crise" du volcan de Montserrat dure depuis plus d'un siècle, avec de nombreux tremblements de terre et éruptions, le dernier épisode marquant ayant dévasté tout le sud de l'île et totalement détruit la capitale, Plymouth, en 1997.

Le seul signe visible aujourd'hui alors que nous approchons, est une épaisse colonne de fumée et de cendres en suspension qui monte lentement dans le ciel, et qui est poussée par le vent. Contourner l'île par le nord aurait rallongé la route, et nous aurait obligé à tirer des bords contre le vent et les vagues, nous passons donc sous le vent du volcan, à une distance raisonnable (nous semble-t-il) de 6 miles. Même à cette distance, il est facile de constater l'étendue des dégâts sur Plymouth. En passant dans la fumée nous serons légèrement incommodés par les gazs pestilentiels pendant un quart d'heure.

Les ruines de Plymouth et la Soufrière de Montserrat

Si le volcan s'est montré calme, la mer en a profité pour se fâcher un peu. Après Montserrat, les creux grandissent, les houles qui contournent l'île se croisent, le vent monte à 30 noeuds, les rafales à 40. Nous sommes au près. L'équipage apprécie ... tout le monde est couché dans le carré, en attendant des heures meilleures. Le soir tombe quand nous abordons les parages de l'île de Nevis, dont le volcan nous offre un bref répit sous son vent. Dans la nuit noire, nous traversons ensuite "The Narrows", le canal entre Nevis et St-Kitts. Le vent forcit encore, et c'est sous un grain violent et une pluie horizontale que nous approchons la petite baie où nous voulions mouiller (Ballast Bay). Nous renonçons vite, vu les conditions et la totale obscurité. La solution de repli est la vaste baie de Basseterre, la capitale de St Kitts, quelques miles plus à l'ouest, dont les lumières mouillées nous promettent une arrivée moins hasardeuse. En fait, c'est au radar que nous évitons les cargos au mouillage et que nous posons finalement l'ancre à 21h30 sous 40 noeuds de vent. Certainement l''atterrissage le plus difficile de notre vie de marin à ce jour!
Je dors à coté des instruments, avec l'alarme de mouillage activée. Dans la nuit, un bateau suédois ancré devant nous chasse sur son ancre, nous frôle dans notre sommeil, et se retrouvre plusieurs centaines de mètres derrière nous au matin.

Le lendemain matin, alors que nous nous apprêtons à prendre un bon petit déjeuner, on nous demande de dégager, nous étions en plein dans la zone de manoeuvre des cargos, au milieu du port de commerce! Nous remouillons un peu plus loin, en face de la douane et des coast guards. La météo ne s'arrange pas au cours des deux jours qui suivent. La pluie est quasi continue, heureusement la baie nous protège bien de la houle. Le vent est tellement fort que les 5 petits chevaux du moteur de notre annexe ne suffiraient pas à nous amener à terre. Aussi restons-nous tranquillement confinés à bord, sans même pouvoir aller faire les formalités d'entrée au bureau des douanes en face. S'ils veulent nous voir, ils savent où nous trouver!

Mouillage dans le port de commerce de Basseterre

Dans l'après-midi, un autre bateau chasse sur son ancre (les bateaux sont volages par ici ...) alors que son propriétaire a mystérieusement disparu en laissant tous les capots ouverts, sous la pluie. Les coasts guards iront le chercher plusieurs heures plus tard, déjà loin au large. Notre ancre tient bon, en fait nous n'avons plus jamais chassé depuis notre mésaventure de Fornells aux Baléares où nous avions failli perdre le bateau la première nuit du voyage.
Les journées s'écoulent tranquillement: reprise de l'école après les vacances de Guadeloupe, rédaction du journal, fabrique du pain par Pascale, lecture, jeux. Ce n'est pas si mal d'être coincés! Seulement un peu frustrant lorsqu'une éclaircie dévoile le somptueux panorama sur Saint-Kitts, une île très verte dont les pentes plongent dans la mer. C'est de cette île que débuta la colonisation des îles voisines par les français et les britanniques. Le célèbre normand Belain d'Esnambuc, qui devait plus tard coloniser la Martinique, s'installa ici en 1624, avec l'accord des indiens Caraïbes. Presque simultanément, une flotte anglaise débarqua sur l'île, mais une fois n'est pas coutume, français et anglais se partagèrent gentiment ce territoire et cohabitèrent plusieurs siècles en paix. Les Caraïbes ne tardèrent pas à être décimés comme partout. Les plantations se développèrent, et au temps où les Antilles vivaient du sucre, Saint-Kitts compta jusqu'à 300 domaines prospères. Aujourd'hui, Saint-Kitts est l'île principale de la fédération de Saint-Kitts et Nevis, pays indépendant qui développe le tourisme.


Au menu: Pain maison et noix de coco

St-Kitts vue de notre mouillage

Un matin, nous sommes réveillés par des bruits bizarres à 6h30. En passant la tête dehors, nous voyons un gros cargo qui bouche tout l'horizon. Tiré par un remorqueur, il est en train d'effectuer une manoeuvre pour se ranger le long d'un quai, à quelques dizaines de mètres d'Imagine. Un deuxième cargo est en approche. C'est distrayant de mouiller au milieu d'un port de commerce!
Nous sommes le 5 Mars, quatre jours se sont écoulés, le vent est toujours aussi fort, la pluie a cessée. Il y a un bulletin météorologique spécial, indiquant un vent fort de nord-est (rafales à 40 noeuds), une mer forte et hachée avec des creux de plus de 3 mètres. Jamais nous ne sommes partis sciemment avec de telles conditions. Mais on ne peut se résoudre à manquer notre rendez-vous avec Hélène et Michel à Saint-Martin. Il nous reste 36 heures pour rejoindre l'île, au près. Nous décidons de naviguer aujourd'hui jusqu'à Statia (Saint-Eustache en français), une petite colonie néerlandaise de 20km² à une vingtaine de miles de notre mouillage, et de voir sur place si nous continuons jusqu'à Saint-Martin. Au moins ça entretient l'espoir, on avance. Le départ est sous le vent de St-Kitts, donc relativement calme. Puis le vent augmente par rafales, jusqu'à 43 noeuds. Nous décidons alors de relever la ligne de pêche. Le vent est tellement fort que le fil vole à l'horizontal, perpendiculairement au bateau, et que j'ai toutes les peines du monde à ne pas pêcher l'annexe accrochée sous les bossoirs. Nous allons bientôt déborder la pointe ouest de Saint-Kitts, nous voyons de grosses déferlantes se profiler sur l'horizon. Nous nous préparons à affronter le gros temps, quand tout d'un coup, la mer se met à bouillonner devant nous. C'est le signe caractéristique d'un banc de poissons qui chasse un autre banc de poissons. Pascale, qui quelques minutes plus tôt m'avait fait relever la ligne arguant avec raison que "on ne pêche pas par 40 noeuds de vent", ne peut résister et me demande de la remettre à l'eau (souvent femme varie!). Moins de trente secondes plus tard, nous bataillons pour remonter un thonidé, dans ce vent violent et cette mer qui enfle. A peine la bête sur le pont, pas le temps de faire la photo, le vrai rock'n roll commence et nous sommes sérieusement secoués pendant un peu plus d'une heure, mais le bateau passe merveilleusement ces énormes vagues, c'est fascinant. A midi, nous sommes au mouillage devant Oranjestad, la capitale de Statia, et nous décidons d'en rester là pour aujourd'hui. Nous ne descendrons pas non plus à terre.


La côte sous le vent de St-Kitts

Mouillage devant Oranjestad à Statia

Le lendemain matin est le jour du rendez-vous. Hélène et Michel atterrissent à 15h30, il nous reste 44 miles jusqu'à Saint-Martin. La météo est "encourageante": les rafales ne soufflent plus que jusqu'à 35 noeuds, la mer toujours forte, mais les creux ne sont plus que de 2m50 à 3 m. Allons-y! Nous avalons ce champ de bosses au bon plein à 8 noeuds de moyenne. De temps en temps, entre les grains, on aperçoit à l'horizon le cône de l'île de Saba, coté ouest, ainsi que Saint-Barth, à l'est. Le vent maximum enregistré par l'anémomètre sera de 38 noeuds. A 14h20, nous mouillons dans la baie de Marigot, où nous trouvons difficilement une place au milieu des 220 concurrents de la "Heineken Reggata", une des plus grosses régates aux Antilles chaque année. Il nous reste juste le temps de faire un peu de ménage avant l'arrivée de nos hôtes.
Nous sommes à l'heure au rendez-vous..

A suivre...

Les photos de Montserrat, Saint-Kitts, et Statia