Les Iles Canaries (4)

La Gomera, par l'omnibus des îles


Du 2 au 7 Novembre, Ile de La Gomera et arrivée sur Gran Canaria
Pascal

On y va, on y va pas? On y a va! Après moultes hésitations nous quittons enfin Santa Cruz de Tenerife pour aller plus loin vers l'ouest visiter l'île de la Gomera. Il faudra peut-être se battre contre les alizés pour revenir ensuite à Gran Canaria, 100 miles plus à l'est, d'où notre hésitation. Mais l'envie d'île est toujours là, qui nous pousse à partir. Et puis tout le monde vente la beauté de cette île, et la gentillesse de ces habitants. Alors on y va, et on verra bien. D'autres choisissent de rester un mois dans la même île, nous c'est plutôt le style "omnibus des îles": on veut tout voir, tout visiter.

Nous y allons, donc, le 2 novembre. Le vent fort à la sortie du port nous lâche rapidement. A part les dauphins et deux bonites pour nous distraire, la traversée n'a rien de très palpitant. Le mont Teide reste caché dans les nuages. C'est au moteur que nous tournons la Punta Rasca, pointe sud de Tenerife, où quelques globicéphales chassent tranquillement dans le crépuscule. Nous atteignons San Sebastian de La Gomera, le seul port de l'île, à 20h. C'est tout petit ici, et les bateaux sont amarrés jusque sur la jetée d'entrée. Nous nous apprêtons à nous mettre à couple de la première coque qui dépasse, mais un marinero nous fait signe dans la nuit avec sa lampe et nous conduit au seul emplacement libre, qui nous attendait. Nous avions téléphoné 3 jours plus tôt pour réserver une place, sans trop y croire. Mais pour une fois ça a marché.


un peu tristounet le passage
vers La Gomera ...

Ce que nous découvrons le lendemain matin sous un beau et chaud soleil nous change radicalement de la grande ville de Santa Cruz de Tenerife. Ici c'est plutôt l'ambiance village, paisible, qui donne envie de prendre son temps. La Gomera est la deuxième plus petite île des Canaries, et sans doute l'une des plus épargnées par le tourisme de masse. Son relief est extrêmement abrupt, ce n'est en fait qu'une succession de ravins escarpés qui descendent d'un plateau central situé entre 800 et 1500 mètres d'altitude. Les nuages de l'alizé, qui se promènent aussi à cette hauteur, forment une mer de brume et fournissent une humidité constante. Ce plateau abrite une relique végétale naturelle, la laurisilva, ou forêt laurifère, classée au patrimoine mondial de l' Humanité par l'UNESCO. C'est cette végétation qui recouvrait le bassin méditerranéen avant que les glaciations du quaternaire ne les détruisent. Les Canaries ont été épargnées par le froid, et La Gomera est la seule île de l'archipel qui n'a connu aucun épisode volcanique depuis cette ère, ce qui lui a permis de conserver sa forêt intacte.
Une ballade s'impose donc dans le parc national de Garajonay qui abrite la sus-dite relique. Je dois avouer que bien que très agréable, la forêt ne m'a pas parue plus spectaculaire que chez nous, sauf peut-être pour un botaniste averti. En regardant de près, il semble bien en effet que tous les arbres soient de la famille des lauriers, et certaines fougères ont tendance a être plus grandes, mais les millions d'années n'ont finalement pas changé grand-chose pour les néophites comme nous. Enfin, c'est quand même une agréable promenade dans le calme et la fraîcheur (calme tout relatif quand les enfants sont en "mission", voir le récit de Bastien ci-dessous ...). Nous continuons la journée en voiture, et admirons les paysages grandioses et accidentés, tantôt verts au nord, avec des cultures en terrasse qui rappellent Madère, tantôt secs au sud comme à Valle Gran Rey, avec partout des palmiers en grand nombre.

Bastien Raconte

Les Canaries (4)

La forêt de Garajonay. Le 4 novembre nous sommes allés voir la forêt de Garajonay. Nous nous sommes d'abord arrêtés à des miradouros (des observatoires). A un miradouro, il y avait un gros caillou en équilibre qui pouvait nous tomber dessus d'un moment à l'autre. Dans la forêt de Garajonay nous avons pris un chemin qui nous a mené jusqu'à une rivière. A côté de la rivière, il y avait un arbre fontaine. En fait, il y avait un trou dans une branche. Nous avons cherché partout, pas de tuyau à côté, sauf dans le trou. C'était très bizarre.
Avec Romain nous nous amusions aux chevaliers et nous avions la mission de retrouver des bandits dans la forêt. Ce qui n'est pas comme dans les autres forêts, c'est qu'il n'y a que des oiseaux, même pas de lapin ni d'autres animaux. Quand nous avons repris la voiture, avec Romain on s'amusait à être des pêcheurs d'animaux (bien qu'il n'y ait pas d'animaux). Nous nous sommes arrêtés près d'un restaurant pour regarder le joli paysage. En repassant devant la porte du bar, un monsieur nous a demandé si on voulait goûter des bananes (on n'a pas pu résister, on en a pris une). Et puis, on est rentré au bateau.

Il y a un petit marché sur la place de San Sebastian de La Gomera, où nous laissons s'exprimer notre penchant naturel pour les produits locaux. Aux Canaries nous avons découvert les papas, la sauce Mojo, le gofio, les fromages et le vin canariens, et bien apprécié la cuisine (à l'ail) en général. Les papas sont de petites pommes de terre toutes rondes, que l'on fait cuire à l'eau de mer et que l'on mange sans les éplucher, trempées dans le "Mojo". C'est une sauce à base d'ail et de piment, avec des variantes rouges ou vertes, douces ou fortes, et l'on s'est appliqués à en essayer le plus possible. Le gofio est une farine de maïs ou de blé complet torréfié, très riche en minéraux et vitamines que l'on utilise au petit déjeuner ou pour faire des desserts (mousse de gofio). Qui a dit que l'on perdait du poids en bateau ?

La Gomera étant l'une des îles les plus à l'ouest des Canaries, c'est naturellement un port de départ pour la traversée, que ce soit vers le Cap Vert, le Sénégal, ou les Caraïbes. Nous faisons nos quatrièmes adieux à Génépi, que nous avons encore retrouvé ici, et qui part pour le Cap Vert. Cette fois nous avons peu de chances de nous revoir, car nous devons revenir sur nos vagues et rejoindre l'île de Gran Canaria pour le départ de l'ARC. C'est une petite traversée de 100 miles, normalement contre les alizés de nord-est, mais un créneau météo s'annonce qui devrait nous éviter de trop se faire secouer. Nous en profitons et quittons cette charmante étape le 6 Novembre à midi. On ne voulait pas se faire secouer, mais quand même pas à ce point là: le bateau est posé sur un miroir, il faut se décider à mettre le moteur après plusieurs heures sans bouger.
En fin de journée, nous avons péniblement parcouru 20 miles, mais nous retrouvons les mêmes globicéphales qu'à l'aller, au même endroit. Nous passons une heure à tourner en rond parmi eux, à essayer de les prendre en photo sous leur meilleur profil, mais ils ne sont pas très pressés de faire la une de Paris-Match. Nous reprenons la route au coucher du soleil, toujours au moteur. L'ennui, c'est que bercés par la nonchalance de La Gomera, nous avions eu la flemme de nous arrêter à la pompe pour faire le plein de gasoil. On comptait sur un minimum de vent pour nous faire avancer. Vers 1h du matin, nous préférons couper le moteur, la jauge dégringolant bien trop vite vers le zéro absolu. Nous passerons le reste de la nuit à dériver au gré des courants entre Tenerife et Gran Canaria, sous la pleine lune. Ce n'était pas désagréable, surtout pour les dormeurs. Un ferry tout illuminé nous a tenu compagnie un moment à moins d'un mille, immobile lui aussi, sans doute pour respecter son horaire d'arrivée du matin. Le jour se lève enfin, les premiers rayons du soleil allument le sommet du Teide, quelques globicéphales nous croisent, des dauphins sautent au loin sur l'eau toujours miroir, j'ai connu des matins plus glauques ...

Le vent se lève enfin, d'abord timidement en cherchant sa route, puis carrément, 20 noeuds de nord. Il faut vite prendre un ris, et on se retrouve au près bon plein à 10 noeuds. L'ambiance est d'un seul coup complètement différente, ça réveille. La houle n'est encore pas trop forte, le bateau bien réglé, un régal malgré le froid et les averses qui se sont invités sur notre coin de mer. Un autre bateau suit une route parallèle à la notre, plus près de la côte. Je le remarque parce que les bateaux vont plutôt d'est en ouest par ici, et aussi parce que celui-la est un monocoque et il semble marcher aussi vite que nous (j'avoue que j'ai toujours un bête esprit de compétition qui reste enfoui quelque part). Je fignole un peu les réglages, histoire de ne pas me faire dépasser. Mais le bateau ne nous lâche pas et pendant 4 heures il ne fera que se rapprocher de nous car il fait un cap un peu meilleur au vent. Lorsqu'il est assez proche, il devient clair que nous n'avons pas affaire à n'importe quel voilier. C'est un monocoque jaune vif, apparemment taillé pour la course, sponsorisé par une société de télécom, avec sept hommes d'équipage sur le pont. Romain me supplie de remettre toute la toile pour les distancer (nous avons toujours un ris et tout le solent), mais je résiste à la tentation et finalement ce beau coursier finit par nous dépasser juste avant l'arrivée sur Las Palmas. Pour satisfaire ma fierté, je me dis que l'on pouvait effectivement aller au moins aussi vite avec toute la toile. Ce qui est amusant c'est que nous retrouvons ce bateau à la pompe pour faire le plein: il s'agissait en fait d'un bateau de course-croisière de 18 mètres très affûté (un X-612, les connaisseurs apprécieront), dont les équipiers viennent tourner autour du catamaran et semblent un peu surpris à la découverte de l'équipage qui leur a tenu tête si longtemps.
Cette anecdote nous aide à oublier la pluie froide qui tombe maintenant sans discontinuer, et l'impression que donne la ville de Las Palmas vue d'ici. Elle donne plutôt envie de repartir: de hauts immeubles gris et sales, une autoroute à 6 voies qui longe le port, et dire que ce port s'appelle Puerto de La Luz (le port de la lumière)! Quand je pense qu'il va falloir passer deux semaines ici, j'ai comme un coup au moral, vivement le départ!

A suivre ...

Les photos