Les Iles Canaries (3)

Tenerife, par les marins montagnards


Du 22 Octobre au 2 Novembre, Ile de Tenerife.
Pascal

Cette traversée impromptue entre Playa Blanca et Santa Cruz de Tenerife s'annonce donc vraiment bien avec du vent de nord-est (donc portant en allant vers l'ouest) modéré, et du beau temps. Mais vous vous doutez bien que les prévisions ne peuvent pas être justes. Ce sont juste des prévisions! Vers 16h, nous quittons la Marina Rubicon avec un vent faible, et pile dans le nez. Optimistes, nous nous disons qu'il va tourner en soirée comme prévu, et hissons même toutes les voiles, prêts à décoller dès que ...
Au crépuscule, d'ailleurs magnifique, nous sommes toujours toutes voiles dehors, mais aussi au moteur et rien ne change.

Le vent restera remarquablement stable toute la nuit, d'ouest. Sauf pendant les grains. Car la grosse distraction de cette nuit sera le slalom entre les orages. On voit des grosses tâches noires sur le radar, le but du jeu est d'anticiper leur déplacement pour passer entre. Ça marche bien pour les trois premiers, mais le quatrième est trop étendu pour être évité. Le vent fait n'importe quoi, il pleut des kalachnikofs, et les éclairs illuminent le ciel comme dans une guerre thermonucléaire. Maman! Il y a des fois où je voudrais me réveiller dans mon lit en sueur et me dire que le cauchemar est fini. Heureusement l'équipage dort, je suis le seul à avoir peur. Je vois Kadavu sur mon radar deux milles devant nous, qui subit la même punition, et on se parle de temps en temps à la VHF. Pour compléter le tableau, il faut aussi mentionner une bonne houle de travers, et les cargos qui nous obligent à nous dérouter à deux reprises. Buenas noches !

Et puis l'aube arrive enfin, les orages sont passés, les dauphins nous font leur numéro du matin, les enfants se réveillent, tout va bien. A 25 miles de l'arrivée, le vent se lève enfin, du nord, et nous filons entre 8 et 10 noeuds. Nous repérons quelques groupes de globicéphales que nous nous empressons d'aller voir de plus près. Ils sont toujours aussi placides, malgré la présence de ces deux catamarans qui manoeuvrent en cercle autour d'eux.

Nous les quittons à regret, et atteignons Santa Cruz en fin d'après-midi, où Kadavu et Imagine s'amarrent à couple le long d'un quai bien sale. Kadavu n'a jamais eu de pare-battage aussi luxueux!

Les globicéphales de Tenerife

Imagine, un pare-battage de luxe pour Kadavu!

A Tenerife, nous retrouvons les bateaux du rallye des Iles du Soleil qui s'apprêtent à prendre le départ vers les îles du Cap-Vert, le Sénégal, le Brésil, et pour finir l'Amazonie. Nous retrouvons aussi Génépi, rencontré à Madère, puis revu à Graciosa, et ensuite à Lanzarote, à qui nous disons adieu à chaque départ, mais que nous retrouvons à chaque fois que nous changeons nos plans.

Un matin, nous avons la surprise de voir Pen Duick VI, le bateau mythique d'Eric Tabarly à quai un peu plus loin derrière nous. Il est en route pour Rio de Janeiro, avec à son bord des équipiers payants. Coup de chance, l'un d'entre eux est un ami de Kadavu, et nous avons droit à une visite de ce bateau qui a fait rêver tant de marins et même le grand public dans les années soixante-dix. Pen Duick VI était conçu pour la régate océanique avec un équipage de seize personnes. Tabarly le menait seul, ce qui semble impossible quand on voit les dimensions et le poids de l'accastillage et des voiles. Et pourtant il le faisait, et il gagnait ! L'intérieur est spartiate, très marin, le pont est très encombré, tout est surdimensionné, c'est du costaud. Après Rio, il continue sur la Patagonie et l'Antartique, beau programme. Pour une autre fois, peut-être.

Pen Duick VI

Tabarly's Kids sur le pont de Pen Duick VI

Santa Cruz de Tenerife est l'endroit où les routes d'Imagine et de plusieurs bateaux amis se séparent. Peu de bateaux français font comme nous la traversée de l'Atlantique avec l'ARC (voir La Route du Rhum). La plupart font une escale au Cap Vert, îles que nous ne verrons malheureusement pas cette fois. Nous voyons donc partir Kadavu à regrets, nous les retrouverons sans doute aux Antilles, voire même au milieu de l'Atlantique pendant la traversée. Nous faisons également nos énièmes adieux à Jean-Pierre et Evelyne, de Génépi. Lors de ce dernier apéro à bord, la conversation vient par hasard sur le sujet de nos origines, la ville de notre enfance, etc... Dans la série "le monde est petit", nous découvrons non seulement que Jean-Pierre et moi étions voisins (même rue à 4 maisons d'écart), mais aussi que sa mère venait nous garder et s'occuper de la maison une fois par semaine, et qu'il venait à cette occasion jouer avec ma soeur (à des jeux de société, je précise). Jean-Pierre a même été capable de me décrire en détails l'intérieur de ma maison. Comme je devais avoir entre 2 et 5 ans, et lui 7 ans de plus, évidemment nous ne nous étions pas reconnus 40 ans plus tard!

Une semaine type en escale : le tourisme ... et le quotidien
Pascale

Une fois les bateaux amis partis, nous démarrons la semaine par la visite de la ville de Santa Cruz de Tenerife, son marché, ses rues commerçantes et typiques. Puis nous louons une voiture pour visiter l'île et le Parc National du Teide, situé au centre de l'île. Le Teide est le sommet le plus haut d'Espagne et de tous les archipels atlantiques. Il culmine par un cône au cratère de 80 mètres de diamètre, se trouvant à 3718 mètres d'altitude. Il est encore actif, et l'on peut voir des fumerolles au sommet et même sentir l'odeur de soufre qui s'en échappe. La dernière éruption, datant de 1798, eut lieu un plus loin dans le parc, sur le volcan Pico Viejo, et l'on peut y voir les gigantesques mers de laves consolidées. Nous nous promenons tout d'abord sur les contreforts du Teide, un cratère d'environ 17km de diamètre, à plus de 2000 mètres d'altitude.

Il commence à faire froid, mais les enfants n'ont pas l'air gênés par l'altitude et courent bien évidemment dans tous les sens. La dernière partie pour accéder au sommet du Teide se fait en téléphérique et là nous nous apercevons que nous ne sommes pas les seuls à vouloir monter, il y a 2 heures d'attente! Ce sont les enfants qui sont le plus motivés pour patienter et nous déjeunons tout en attendant notre tour. L'ascension dure quelques minutes et c'est très impressionnant d'entendre le sifflement du vent faisant remuer la cabine du téléphérique. Là-haut, le vent est glacial et nous nous habillons bien chaudement (tee-shirt, sweat, polaire et veste de quart). Nous faisons le tour du volcan sur un chemin aménagé et là (miracle) les enfants ne courent pas, ne crient pas et marchent tranquillement à côté de nous. C'est bien la première fois! Ils sont comme anesthésiés par l'air ambiant... Nous redescendons assez rapidement, d'ailleurs il est recommandé de ne pas rester plus d'une heure là-haut. Hormis le froid, le temps était relativement dégagé et la vue sur la mer de nuages assez impressionnante, ça valait le coup d'oeil! Nous n'avons pas regretté notre attente.

Puis nous reprenons la route et rentrons au bateau en visitant la côte ouest de l'île tout en évitant les stations balnéaires touristiques colonisées par les Anglais, Irlandais, Hollandais et Allemands qui viennent en charters passer leurs vacances au sud de l'île. Un dernier arrêt dans la petite ville de Icod de los Vinos, de nuit, nous permet d'admirer un arbre vieux de 2500 ans, un dragonnier ("drago tree"). Enfin c'est ce qu'ils affirment dans les guides pour attirer les gens comme nous, et ça marche! Bel arbre quand même.

Le Carnet de Romain

Un vrai congélateur

Le mercredi 29 octobre on est monté sur le Teide. Un congélateur à touristes! En faisant l'ascension nous traversons forêts et reliefs montagneux que nos yeux regardent avec admiration. Puis nous arrivons à un parking, nous nous arrêtons là et continuons à pied jusqu'au téléphérique. Et là... manque de bol, il y a une queue de 2 heures! Tant pis on attendra. Le Teide, c'est quelque chose à ne pas rater! Enfin! c'est à nous; nous montons dans la cabine et commençons l'ascension. Vers la fin de la montée, le vent se fait entendre à l'intérieur, il donne la frousse. Puis on est arrivé en haut. Quel froid! Malgré quatre épaisseurs, il faisait super froid. Au début ça allait, mais après, le froid nous assommait! Nous avancions donc tant bien que mal sur les chemins du Teide. Malheureusement, on ne pouvait pas aller au sommet car il fallait une autorisation que l'on n'avait pas. Nous prenons donc un autre chemin ou nous prenons quelques photos intéressantes comme celle de la Gomera (l'île souris) comme la nomme Bastien (elle a la forme d'une tête de souris) puis nous sommes redescendu. Heureusement il n'y avait presque pas de queue car nous étions K.O. et pressés de redescendre. A part le froid, c'était génial.

Puis le reste de la semaine s'écoule rapidement au rythme des cours du CNED, des lessives, des courses, du bricolage et entretien habituels. En dehors des cours, les enfants passent leur temps sur le ponton à pêcher, attraper des crevettes, et faire la causette aux bateaux français du ponton.

Vous vouliez savoir comment se passe le quotidien et bien je vais vous raconter comment on fait les lessives et les courses. Car plus on descend vers les tropiques et plus c'est différent de chez nous...

D'abord, appréciez chaque jour votre bonheur d'avoir une machine à laver à domicile, car depuis que je navigue, chaque lessive est une aventure suivant le port où l'on se trouve. "Avant", j'étais particulièrement exigeante sur l'entretien du linge, lavage et repassage devaient être impeccable, ce qui me valait la dénomination de maniaque par mon homme, c'est bien un homme! Mais maintenant je suis résignée,... la preuve je ne me suis toujours pas servie de mon fer à repasser que j'ai eu temps de mal à pouvoir emmener... Les machines à laver des laveries automatiques c'est tout un poème, il faut parfois faire des kilomètres pour y aller, elles ne lavent que si le linge est propre et avec mes asticots c'est quasiment impossible. La lessive dure 1/2 heure sans prélavage quel que soit le programme, et en général on ne peut pas régler la température c'est-à-dire que la lessive se fait souvent à l'eau froide. C'est particulièrement vrai ici dans la marina de Santa Cruz... Du coup il faut d'abord laver à la main avant de faire la lessive. Ensuite, je transforme le bateau en séchoir à linge, le vent se chargeant du séchage et défroissage, puis pliage du linge en repassant avec la main et hop dans le placard! C'est la technique internationale de toutes les louves de mer, alors je fais pareil, sans plus d'état d'âme!

Ensuite le ravitaillement, il faut en faire souvent car en dehors des premiers jours de navigation, la mer ça creuse et mes hommes mangent de bon appétit, 3 fois par jour, 7 jours sur 7. Pour les courses, on est organisés, avec notre caddie de ménagère, tout terrain! Ne riez pas, vous qui vous déplacez toujours en voiture, on s'en sert souvent non seulement pour les courses, mais aussi pour le linge, la bouteille de gaz, enfin tout ce qui est lourd quand on doit faire des kilomètres à pied. Donc, jusqu'à présent le temps moyen pour aller au "super-mercado" le plus proche est d'environ une demi-heure à pied bien évidemment. Ici on trouve les mêmes fruits et légumes qu'à Madère mais en beaucoup moins cher encore, pour certains. Exemple le kilo d'anona est à 3€ (au lieu de 28€), je crois bien qu'on s'est fait avoir comme des touristes! Quand on doit faire un gros approvisionnement (1 chariot 1/2 à "hiper dino"), l'avantage c'est que les magasins nous livrent nos courses sur le bateau. Jusque là tout va bien, c'est pratiquement comme à la maison.
Mais, et oui! il y a un mais, on ne peut pas ranger les courses directement sur le bateau, ce serait trop facile. Nous venons d'apprendre, qu'il faut "décontaminer" les courses. Car la plaie des bateaux, ce n'est pas la peste comme disait César de Pagnol, mais le cockroach, la cucaracha, enfin quoi le CAFARD. A partir de ces latitudes, plus chaudes et plus humides, ces affreuses petites bêtes pullulent. Les cafards se reproduisent tous les 27 jours en moyenne, pondent leurs oeufs dans les cartons, sur les boîtes de conserves, les étiquettes des bouteilles d'eau, enfin partout. Il n'est pas rare d'en voir sur les pontons, le long des quais, les laveries automatiques, les magasins... Un bateau nous a raconté en avoir eu à bord, et après bien des essais infructueux pour s'en débarrasser de manière simple (bombe insecticide, pièges à cafards divers), il a dû employer les grands moyens: tout sortir du bateau, vaporiser un insecticide super puissant, fermer le bateau pendant 3 jours et tout nettoyer après. C'est donc la prévention qui prime, et tout le monde prend ça très au sérieux.
Pour en revenir à nos courses, elles ne sont livrées qu'à 19h, et il nous faut au moins 2 heures pour les décontaminer et les ranger. Les paquets en carton sont enlevés quand c'est possible (céréales du matin, gâteaux apéro), pour les autres ils sont au moins vérifiés. Les canettes de coca et bière sont passées au jet d'eau et essuyées avant d'être montées à bord. Idem pour les bouteilles d'eau et autres boissons mais il faut d'abord enlever l'étiquette! Et, j'ai gardé le meilleur pour la fin, les boîtes de conserves. Si on enlève l'étiquette, les repas risquent d'être folkloriques si l'on ne sait pas ce que contiennent les boîtes (sardines, thon, légumes, fruits au sirop, lentilles,,...), donc avant toute chose, il faut y inscrire le contenu au feutre indélébile... Voilà, je me demande combien de temps ça prendra quand on fera l'approvisionnement pour la traversée!!!

Et en dehors des courses, il faut donc respecter des règles d'hygiène telles que ne pas poser son sac par terre (à la laverie par exemple), essuyer ses chaussures avant de remonter sur le bateau, etc... Un vrai bonheur!!!

A suivre ...

Les photos